« L’impact des conditions socio-économiques sur le cerveau des enfants »

samedi 16 mars 2019.
 

Kim Noble, pédiatre de formation, dirige le Neurocognitive Early Experience and Development Lab (NEED Lab) à l’université Columbia de New York, un laboratoire de recherche qui étudie l’influence des expériences précoces sur les apprentissages et la croissance des enfants.

Que sait-on aujourd’hui de l’impact de la précarité sur le cerveau des enfants ?

Plusieurs études ont montré que de la petite enfance à l’adolescence, il existe des disparités socio-économiques dans le développement du langage, des capacités de mémorisation et d’auto-contrôle. Point important, aucun effet de ces disparités socio-économiques sur le cerveau n’a été constaté à la naissance. C’est cohérent avec l’hypothèse que ce sont les expériences post-natales qui comptent, même si nous n’en avons pas de preuve formelle.

Récemment, des travaux en neuro-imagerie, dont ceux de notre équipe, ont permis de confirmer que l’impact des conditions socio-économiques est perceptible au niveau structurel, précisément dans les régions cérébrales qui supportent le langage, la mémoire et l’autocontrôle. La surface et l’épaisseur du cortex de ces zones sont significativement réduites chez les enfants vivant dans des familles en situation de précarité.

De nombreux paramètres peuvent être impliqués dans les liens entre pauvreté et développement cérébral, et des études sont en cours pour déterminer leur poids respectif. Notre laboratoire s’intéresse en particulier à deux facteurs dont le rôle paraît majeur : la qualité et la quantité d’exposition au langage ; et le stress, physiologique ou ressenti.

Vous allez débuter une étude inédite pour évaluer si ces troubles du développement cérébral peuvent être prévenus par une aide financière apportée aux familles en difficulté. Comment allez-vous procéder en pratique ?

Nous prévoyons de recruter 1000 mères à faible revenu, au moment de leur accouchement, sur plusieurs sites à travers les Etats-Unis. Après un tirage au sort, la moitié d’entre elles recevront un complément confortable (333 dollars mensuels, soit 283 euros), l’autre moitié un montant symbolique (20 dollars mensuels, soit 19 euros).

Nous suivrons leurs enfants durant les trois premières années de leur vie, période où le cerveau en développement est particulièrement sensible aux différences d’expériences. Le postulat de départ est simple, mais c’est une étude ambitieuse, sans précédent. Le coût total du projet est évalué à 16 millions de dollars (15 millions d’euros). Les Instituts nationaux de la santé (NIH) devraient prendre en charge les évaluations, c’est-à-dire les coûts de la recherche proprement dite. Le budget correspondant aux aides financières sera, lui, assuré par des fonds privés et des philanthropes. Douze millions de dollars ont été levés ou sont en passe de l’être, et nous recherchons activement des fonds pour les quatre millions restants. Si nous y parvenons, l’étude pourrait commencer courant 2017.

Ne craignez-vous pas que les familles qui reçoivent seulement 20 dollars par mois quittent l’étude, par manque de motivation ?

Il faut préciser qu’outre les transferts mensuels, toutes les familles percevront une compensation financière pour leur participation à la recherche : 50 dollars lors de l’inclusion, autant lors des contrôles réalisés au premier et deuxième anniversaire de l’enfant, et 200 pour le bilan pratiqué au laboratoire à trois ans. L’étude pilote que nous avons menée auprès de 30 familles suggère que même dans le groupe contrôle, un supplément mensuel de 20 dollars constitue une aide. Dans cet essai, le taux de rétention – niveau de participation – des volontaires est resté élevé, dans les deux groupes.

Pourquoi ne pas débuter le soutien financier pendant la grossesse, pour améliorer les conditions de celle-ci et pour protéger plus précocement le développement du cerveau de l’enfant ?

Nous avons envisagé cette possibilité, mais du fait des contraintes logistiques, nous avons conclu que la faisabilité serait plus élevée si le recrutement était réalisé à la maternité au moment de la naissance : aux Etats-Unis, la plupart des femmes accouchent à l’hôpital, mais le suivi prénatal est très variable.

L’objectif majeur de ce que l’on appelle aujourd’hui les neurosciences de la pauvreté est de mettre en lumière les mécanismes qui produisent des inégalités. C’est fondamental pour mettre en place des stratégies fondées sur les preuves, qui permettront d’augmenter les chances que tous les enfants atteignent leur plein potentiel de développement. J’en suis convaincue, la pauvreté est la plus grande barrière pour atteindre cet objectif.


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