Par François COCQ, Secrétaire National à l’Éducation du Parti de Gauche, et Francis DASPE, Secrétaire Général de l’AGAUREPS-Prométhée
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Faut-il continuer à financer les écoles privées ?
Dans son discours du 27 mai 2010, prononcé à l’Institut protestant de théologie de Paris, Nicolas Sarkozy convoquait les religions pour tenter de sauver le capitalisme en débâcle : « Alors (...) que le capitalisme est en quête de morale, le silence des grandes religions serait incompréhensible tant elles sont dépositaires ensemble d’une partie essentielle de la sagesse humaine. » Ces propos, s’inscrivant dans la lignée de ceux prononcés à Latran ou à Riyad, qui théorisaient la prétendue « supériorité du prêtre sur l’instituteur dans la transmission des valeurs » et initiaient le concept de « laïcité positive », témoignent de l’inquiétant processus de reconfessionnalisation de la sphère publique. L’école de la République se situe bien évidemment en première ligne.
Les éléments tangibles ne manquent pas en effet pour venir étayer cette thèse. Signature de l’accord « Vatican- Kouchner » reconnaissant les diplômes de l’enseignement supérieur catholique à l’égal de ceux du public désormais élargi aux établissements protestants, doublement du nombre de postes ouverts au concours du Cafep-Capes (le Capes pour l’enseignement privé) pour la rentrée 2010, alors que la saignée dans le public se poursuit, avec près de 60 000 suppressions de postes en quatre ans, déroulement de nombreux examens et concours publics sous le patronage de crucifix et autres symboles religieux, loi Carle à l’automne 2009 rendant obligatoire le financement par les communes de résidence des frais de scolarité d’un élève inscrit dans une école primaire privée hors de ladite commune : on voit nettement qu’aucun niveau n’est épargné. L’ampleur de l’offensive ne laisse pas de doute sur la nature des intentions.
Le 19 juin 1960, une foule immense, rassemblée à Vincennes, prononçait le serment solennel visant à « obtenir que l’effort scolaire de la République soit uniquement réservé à l’école de la nation ». Il s’agissait alors pour les représentants des 10 813 697 pétitionnaires de lutter pour l’abrogation de la loi Debré du 31 décembre 1959. Celleci instaurait en effet un système de contrats (simple ou d’association) entre l’État et les écoles privées le souhaitant : une aide est accordée par l’État pour la rémunération des maîtres agréés ou les dépenses de fonctionnement, les programmes devant en contrepartie être les mêmes que ceux de l’enseignement public. La loi Debré fait en réalité fonction d’authentique concordat, servant de revanche inespérée à l’Église catholique sur la loi de séparation de 1905. L’article premier de la loi, garantissant aux établissements le respect de leur « caractère propre », n’était dans cette optique pas une stipulation anodine.
Le slogan « fonds publics pour l’école publique », scandé à Vincennes, s’avère d’une extrême actualité à bien des égards cinquante ans après. Comment ne pas penser que les 9 milliards d’euros qui, tous les ans, partent financer des établissements privés aux visées idéologiques et/ou mercantiles ne devraient pas en priorité alimenter les besoins des établissements publics dont l’honneur est d’accueillir indistinctement en son sein tous les enfants de la République ? L’intérêt général doit servir d’unique boussole en ces domaines.
La droite a aujourd’hui beau jeu de mettre en lumière les insuffisances de notre système éducatif quand les moyens qui lui sont alloués sont méthodiquement rognés alors que les tâches assignées sont sans cesse croissantes. Cette asphyxie organisée de l’école publique, dans le cadre d’une concurrence déloyale et faussée, relève d’une stratégie délibérée de la part des libéraux, elle vise à prouver par l’absurde la prétendue supériorité du privé.
Face à cette inquiétante pente menant à une reconfessionnalisation en règle de la sphère publique, il devient plus que jamais urgent de renouer avec l’esprit même du serment de Vincennes. La liberté se construit par l’émancipation individuelle et collective que seule l’école de la République peut offrir à tous. Au frontispice de nos bâtiments publics, la liberté fait sens parce qu’elle est indissociablement liée à l’égalité et à la fraternité, la laïcité en constituant le ciment.
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