Corbyn face au Brexit

lundi 25 mars 2019.
 

Dans la perspective du Brexit, la droite britannique est divisée et incapable de gérer la situation. Le parti travailliste de Jeremy Corbyn est-il mieux placé pour négocier ce virage ? Le référendum sur le Brexit et l’élection de Corbyn comme chef de parti ont eu lieu, en 2015, à seulement quelques mois d’écart. Phil Butland revient sur cette période dans le premier d’une série de trois épisodes.

En 2015, en l’espace de trois mois et demi l’un de l’autre, deux événements importants se sont produits. Le 27 mai, David Cameron [alors premier ministre du Royaume-Uni, NDLR] a annoncé qu’il y aurait un référendum sur le Brexit. Et le 12 septembre, Jeremy Corbyn a été élu à la tête du Parti travailliste britannique. Ces deux événements, rarement mentionnés ensemble, ont marqué, sous des formes très différentes, l’effondrement du centrisme dans la politique britannique et la polarisation qui a suivi.

Le Parti travailliste de Corbyn

La première année du mandat de M. Corbyn a été tout aussi enthousiasmante que sa campagne pour le poste de dirigeant du Parti travailliste. Il a pris la parole lors de grands rassemblements de milliers de personnes, souvent plus d’un dans la même journée. Steve Howell, ancien stratège du Parti travailliste, explique comment Corbyn a appris de la campagne électorale de Bernie Sanders :

« Les rassemblements étaient un moteur qui alimentait tous les autres éléments, créant des cercles vertueux de forte activité. Des vidéos étaient diffusées à grande échelle sur les réseaux sociaux. Les nouveaux bénévoles qui s’inscrivaient lors des rassemblements recevaient une formation pour faire du porte-à-porte. Les coordonnées recueillies servaient à diffuser le matériel de campagne et à recueillir des fonds en ligne. »

Corbyn a proposé un programme populaire de mesures réalisables qui bénéficieraient à la vie des gens ordinaires. La demande de renationalisation des quatre grandes industries a reçu un soutien massif : « L’eau en tête du scrutin (83 %), suivie de l’électricité (77 %), du gaz (77 %) et des chemins de fer (76 %). »

Dans la ville natale de Nye Bevan [ancien ministre de la santé, crédité pour la création du Service national de la santé (NHS), NDLR] Tredegar, Corbyn « a déclaré la guerre aux inégalités en matière de santé » et condamné les attaques des Conservateurs contre le NHS. Le document du Parti travailliste Pour financer l’avenir de la Grande-Bretagne (Funding Britain’s Future) promettait de financer les réformes en augmentant l’impôt sur le revenu pour les 5 % les plus riches et sur les sociétés, tout en luttant contre l’évasion fiscale des grandes entreprises et des ultra-riches.

Dans son premier discours de la campagne électorale de 2017, M. Corbyn a fait une déclaration d’intention :

« Si j’étais Southern Rail ou Philip Green [des sociétés privées connues outre-Manche pour leur rapacité, NDLR], je m’inquiéterais qu’il puisse y avoir un gouvernement travailliste. Si j’étais Mike Ashley [le propriétaire de Sports Direct] ou le PDG d’une société multinationale pratiquant l’évasion fiscale, je préférerais voir les Conservateurs l’emporter. Pourquoi ? Parce que ce sont ces gens qui monopolisent la richesse qui devrait être partagée par chacun d’entre nous dans ce pays…

Nous ne permettrons plus à ceux qui sont en haut de l’échelle de siphonner ceux qui se tuent à la tâche avec des contrats zéro heure [contrats qui permettent à l’employeur de ne pas dire à l’avance à l’employé combien d’heures il devra travailler, ce dernier devant être disponible à toute heure, NDLR] ou qui sont obligés de faire des sacrifices pour payer leur prêt immobilier ou leur loyer. »

Ce mélange de participation massive et de revendications populaires a fait bondir le nombre de membres du Parti travailliste. En 2016, le Parti travailliste comptait 550 000 membres et était le plus grand parti politique d’Europe occidentale. La popularité personnelle de Corbyn a progressé avec celle de son parti. Selon Freddie Sayers, rédacteur en chef de YouGov, « Corbyn a rassemblé les jeunes de talent et la classe ouvrière de gauche ».

Attaqué par ses propres députés

Malgré ses succès, Corbyn n’a jamais eu le soutien des cadres de son propre parti. Dès le début, les hauts responsables travaillistes ont utilisé le Guardian, journal étiqueté à gauche mais farouchement anti-Corbyn, pour déplorer sa « non-éligibilité ». L’ancien directeur de la communication de Tony Blair, Alastair Campbell, s’est plaint que « Je ne sais comment, nous nous retrouvons avec un leader qui est impossible à élire mais inamovible. » Un autre ancien député blairiste, Peter Mandelson, a déclaré que Corbyn « va finir par exclure le Parti travailliste du pouvoir ».

Et pourtant, ce Corbyn « non éligible » continuait à gagner des élections.

En 2016, juste après l’annonce du résultat du référendum sur la sortie de l’UE, les députés blairistes ont organisé ce que l’on a appelé le « coup de la poule mouillée », accusant Corbyn d’« être tiède sur l’UE », et répétant leur conviction que, dans une élection nationale, il « rendrait son parti impossible à élire ».

Des membres du cabinet fantôme [sorte d’équivalent du gouvernement mais au sein de l’opposition au parlement britannique, NDLR] démissionnaient en série à chaque heure qui passait. Le 28 juin, les députés travaillistes ont voté par 172 voix contre 40 la défiance envers Corbyn. Pourtant, lorsque tous les membres du parti ont participé à une nouvelle élection de leur dirigeant, 61,8 % ont appuyé Corbyn contre Owen Smith, qui lui disputait la place. C’était plus que le nombre de votes que Corbyn avait obtenu la première fois.

Mais ce n’était pas la fin des attaques contre Corbyn. À l’approche d’une élection nationale, l’accusation de non-éligibilité de Corbyn a été soulevée à plusieurs reprises. Les dirigeants du Parti travailliste se sont succédés pour annoncer aux médias comment les Travaillistes de Corbyn seraient écrasés aux prochaines élections. Le socialiste britannique Mark L. Thomas a écrit une analyse approfondie de la campagne électorale de Corbyn pour la revue International Socialism. Il y note comment cela a affecté la campagne électorale des partisans de l’aile droite travailliste :

« De nombreux députés travaillistes, convaincus de l’impopularité de Corbyn sur le terrain, ont non seulement occulté son nom dans leur matériel électoral local, mais ont également dit aux électeurs que ces derniers voteraient pour eux personnellement et non pour Corbyn. YouGov a constaté par la suite que seulement 6 % des électeurs travaillistes ont indiqué que la raison principale de leur vote était leur député local. »

Élections législatives de 2017

En raison du chaos entourant le Brexit, les Conservateurs ont été forcés de déclencher des élections législatives anticipées. Malgré des sondages lui prédisant une défaite retentissante et l’absence de soutien de son groupe parlementaire, le Parti travailliste de Corbyn n’a perdu que de justesse les élections de 2017, surpassant largement toutes les attentes.

Theresa May a pu accéder au pouvoir, mais seulement grâce à la promesse d’une aide d’un milliard de livres sterling pour l’Irlande du Nord en échange du soutien du DUP, parti nord-irlandais profondément réactionnaire. La dépendance des conservateurs envers le DUP est l’une des raisons de leur incapacité à trouver une solution raisonnable pour gérer la frontière irlandaise après le Brexit.

Mark L. Thomas explique ce que Corbyn a réussi à accomplir :

« Le Parti travailliste a obtenu la plus forte hausse des votes en pourcentage entre deux élections de toute la période après 1945. Le vote pour les Travaillistes est passé de 30,4 % en 2015 à 40 % seulement 2 ans plus tard. Pour la première fois en 20 ans, le Parti travailliste a augmenté le nombre de ses députés lors d’une élection. »

Le succès de Corbyn est dû à une campagne très grand public :

« Le tournant s’est produit à la mi-mai, lorsque Corbyn s’est adressé à une foule de 2 000 personnes à York, puis à des centaines de personnes dans la petite ville du Yorkshire de Hebden Bridge, et enfin à 3 000 autres à Leeds. Quelques jours plus tard, Corbyn a prononcé un discours à des milliers de personnes sur la plage de West Kirby sur le Wirral, puis une foule de milliers de jeunes en extase l’attendaient quand il est monté sur scène lors d’un concert des Libertines au stade Prenton Park (c’est là qu’est né le chant “Oh, Jeremy Corbyn” qui a retenti durant les festivals de l’été et au-delà).

Ces mobilisations sont allées crescendo jusqu’à l’énorme foule de 10 000 personnes que Corbyn a rassemblée trois jours avant les élections à Gateshead. »

Phil Butland

Traduit d’un article pour la lettre internationale de Die Linke Berlin. Traduction Europe insoumise.


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