« Un employé mieux reposé est plus efficace » : la semaine de quatre jours à l’essai au Royaume-Uni

mercredi 7 décembre 2022.
 

Jusqu’à fin décembre, des dizaines d’entreprises britanniques testent la semaine de quatre jours. L’idée de travailler un jour de moins pour un salaire et une productivité inchangés séduit les salariés, et bien souvent leurs patrons. Même si les réalités économiques peuvent les rattraper.

Londres (Royaume-Uni).– Des plantes dans tous les coins et de larges fenêtres, des vitres pour séparer les pièces et des « bulles de réunion ». Les locaux de l’agence de communication Mox London, dans l’est londonien, ne sont pas très grands mais on y respire. Et Matt Bolton, le fondateur de l’agence, veut donner à son personnel la possibilité de souffler encore plus : « L’agence est fermée le vendredi », annonce-t-il fièrement.

Depuis juin dernier, la semaine de travail y dure 32 heures au lieu de 40, sans baisse de salaire. En contrepartie, les équipes s’engagent à conserver le même niveau de productivité. « C’est très motivant de me dire que si je suis efficace, j’aurai plus de temps pour moi pendant le week-end », explique Steven Collings, responsable du service commercial de l’agence, en caressant son caniche Blue, qu’il a le droit d’emmener au bureau.

« L’équilibre entre travail et vie privée est très important pour nous, explique Matt Bolton. Dans l’industrie créative, il faut avoir des idées, et elles peuvent surgir à tout moment. Nous pensons qu’avec un esprit clair, on a de meilleures idées. » Depuis cet été, le calendrier des nouveaux projets est donc établi sur quatre jours de travail hebdomadaires. « Mais le but est que cela ne fasse aucune différence », ajoute Matt.

Comme cinquante à soixante-dix autres entreprises britanniques, Mox London participe à l’expérimentation autour de la semaine de quatre jours. Lancée en juin et devant se terminer fin décembre, cette initiative est menée par une association dédiée, la « 4 Day Week Campaign », en lien avec le député travailliste Peter Dowd, qui a introduit une proposition de loi en ce sens cet automne. « La semaine de cinq jours n’est pas adaptée au monde moderne », martelait-il mi-octobre dans une tribune publiée dans le quotidien The Guardian. Son but est de faire de la semaine de quatre jours le rythme de travail habituel.

« La société est restée sur l’idée que travailler de longues heures est source de fierté, mais les jeunes générations ne pensent pas comme ça », explique Joe Ryle, directeur de la campagne. Il rappelle que les cinq jours de travail hebdomadaires ne sont pas une réalité universelle, ni éternelle : « Cela ne fait qu’une centaine d’années que la semaine de six jours n’est plus la norme. »

La semaine réduite « peut répondre à la crise de la productivité britannique, estime Joe Ryle. Un employé mieux reposé est plus efficace ». Un argument solide, pour Lawrence Bellamy, professeur de management et doyen de la faculté de Sunderland : « On sait que le pic de productivité est généralement le mardi et que le vendredi, l’efficacité est très réduite. »

Faire le même travail en moins de temps, l’idée a d’abord un peu inquiété Steven Collings, dans l’agence de communication londonienne : « Je suis conscient que je n’ai que ce temps imparti, donc je structure ma journée pour être certain de remplir chacune de mes tâches. Ce sur quoi j’ai dû le plus travailler, c’est la communication avec mes équipes. Ce n’est pas de la pression, plutôt des décisions conscientes. »

La semaine de quatre jours est un superbe concept, mais qui ne conviendra pas à tous les employés ni à toutes les organisations.

Lawrence Bellamy, professeur de management

« Nous ne voulons pas que nos équipes soient tentées de faire des journées plus longues pour remplacer le vendredi chômé, assure pourtant un autre chef d’entreprise, Paul David, de l’agence de marketing Literal Humans. Au début, il a fallu convaincre certains collègues qui n’étaient pas sûrs de vouloir ou de pouvoir changer leur manière de travailler. »

Paul est originaire de Philadelphie (États-Unis) et s’est installé à Londres il y a trois ans, pour échapper à la « folle culture américaine du travail, qui vous détruit ». Pour aider ses employés dans ce nouveau rythme, il leur a donné accès à des séances de coaching.

« Il faut faire attention à ce que cette situation ne génère pas plus de stress », prévient Lawrence Bellamy. Pour lui, la semaine de quatre jours est un « superbe concept », mais « qui ne conviendra pas à tous les employés ni à toutes les organisations » : le secteur du bâtiment ne pourra pas construire plus rapidement sans compromettre la sécurité, ou les chauffeurs routiers ne pourront pas rouler plus vite.

Et de fait, la plupart des entreprises qui prennent part à l’essai ne produisent pas des biens matériels. À quelques exceptions près, comme une brasserie au nord de Londres, ou un marchand de « fish and chips » dans l’est de l’Angleterre. « Le but n’est pas de travailler plus mais de le faire plus intelligemment », rappelle Lawrence Bellamy. C’est dans une plus grande automatisation des tâches que l’efficacité peut être trouvée, estime-t-il, conscient que cette option est controversée. Selon lui, la rationalisation des tâches administratives est tout aussi importante.

Moins de téléphone et rationalisation de l’offre Bookishly est une PME qui fabrique et vend, en ligne et chez des revendeurs, des articles de décoration inspirés par la littérature. Elle crée certains de ses produits sur commande dans le nord de l’Angleterre. L’entreprise a choisi de fermer les mercredis : « Si nous devions gérer tous les lundis les commandes passées lors d’un week-end de trois jours, cela serait très stressant pour les équipes, explique la fondatrice, Louise Verity. Avec le mercredi, on a un peu des semaines de deux jours. »

Son équipe est composée de dix personnes, dont deux à temps partiel. « Pour compenser l’augmentation dont les temps pleins ont de fait bénéficié, nous avons augmenté le salaire des mi-temps de 25 % », raconte-t-elle. Il lui a fallu adapter le rythme, sans compromettre la qualité. « Nous avons eu une discussion franche sur l’utilisation des téléphones et des réseaux sociaux pendant les heures de travail, explique Louise Verity. Mais nous avons aussi mis l’accent sur la préparation, en anticipant plus la demande et en confectionnant certains produits à l’avance. »

Le site a par ailleurs dû rationaliser son offre : « Nous ne permettons plus aux revendeurs d’acheter un seul exemplaire de nos sacs en toile, mais uniquement des lots de quatre, précise la fondatrice. Ainsi, quand nous avons une commande pour douze articles, nous n’avons plus que trois types de dessins à imprimer. »

Mais la clef, pour Louise Verity, est la flexibilité. Quitte à laisser de côté l’objectif initial, pour un temps : « En novembre et décembre, nous travaillons aussi le mercredi. C’est un choix collectif pour éviter la pression que les fêtes de fin d’année peuvent entraîner. » La directrice doit encore décider si elle compense ces jours travaillés par des vacances, ou si elle les paiera en heures supplémentaires.

Nous sommes en concurrence avec des géants comme Google et YouTube […]. C’est une manière intelligente d’encourager les talents à nous choisir.

Matt Bolton, patron de l’agence Mox London À Londres, Matt Bolton a lui aussi demandé à ses équipes de travailler certains vendredis, « pour respecter la date butoir de certains projets ». « Mais je dirais que 75 % des vendredis ont été chômés », calcule-t-il. Il rencontre par ailleurs des difficultés qu’il n’avait pas anticipées avec le planning des vacances : « Si les salariés posent seulement quatre jours quand ils prennent une semaine de congé, cela fait énormément d’absences au cours de l’année. Nous leur avons donc demandé de poser cinq jours, vendredi inclus. »

Comme 80 % des entreprises qui prennent part à l’expérimentation selon l’association, l’agence compte conserver la semaine de quatre jours après la fin de l’année. « Ce sera une décision collégiale, mais je ne nous vois pas revenir à cinq jours », dit le patron. Le chiffre d’affaires n’a pas diminué, les équipes sont satisfaites, et c’est même un facteur d’attractivité.

« Nous sommes en concurrence avec des géants comme Google et YouTube, qui ont les moyens d’offrir des avantages colossaux à leurs employés, rappelle Matt. C’est une manière intelligente d’encourager les talents à choisir des entreprises plus petites comme la nôtre. »

Au moins, une entreprise a décidé de « s’éloigner de l’essai ». « Ce n’est pas le bon moment pour nous », explique ce studio d’animation installé près de Londres. Les difficultés économiques que traverse le Royaume-Uni semblent être une des explications.

Mais pour Mariam Salman, de la « 4 Day Week Campaign », ce rythme de travail donne justement « un jour de plus aux gens pour dépenser de l’argent et faire tourner l’économie ». C’est aussi un moyen de réduire le coût des gardes d’enfants pour les familles, tout comme celui des trajets, ajoute-t-elle. L’impact environnemental pourrait aussi être amélioré avec la diminution des déplacements. Mais cela dépendra de ce que les bénéficiaires feront de leur jour de congé.

Marie Billon


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