Deux ans après : Retour sur l’analyse du Non au Traité Constitutionnel

dimanche 24 juin 2007.
 

Michel Simon : « Un événement porteur de radicalité »

Vous avez étudié de près les résultats du référendum sur le projet de constitution européenne. Peut-on affirmer que le « non » était majoritairement un « non » de gauche ?

Michel Simon. La première caractéristique du « non », c’est d’avoir été d’autant plus massif qu’on appartenait davantage aux catégories populaires et ouvrières : quelle que soit la technique utilisée (enquêtes par sondages, cartographie des votes, entretiens in situ), tous les travaux publiés convergent sur ce point. La polarisation sociale qui marque le scrutin du 29 mai se projette dans la géographie du vote. Le contraste entre les centres urbains où se retrouvent les couches aisées, voire beaucoup plus qu’aisées, et les quartiers et les cités populaires est parfois abyssal. Si l’on perd de vue ce point, on manque l’essentiel de la signification du vote du 29 mai : sa dimension protestataire. Du point de vue politique, gauche et droite se sont divisées. Mais si on synthétise les estimations disponibles, pas loin de 60 % de ceux qui ont dit « non » se disent proches d’un parti de gauche ou d’extrême gauche, 10 % à 15 % d’un parti de droite, et 25 % à 30 % de l’extrême droite. En revanche, 35 % seulement des « oui » se disent proches de la gauche, contre 65 % de la droite ou (marginalement) de l’extrême droite. Enfin, les motivations du « non » diffèrent selon qu’on vient soit de la gauche, soit de la droite ou de l’extrême droite. Dans le premier cas, les considérations sociales et économiques prévalent. C’est en ce sens (et en ce sens seulement) que leur « non » revêt une dimension antilibérale forte. Dans le second cas, ce sont les craintes souverainistes, voire nationalistes qui poussent vers un « non » pourtant condamné par l’immense majorité des autorités politiques, médiatiques et spirituelles. Il y a certes un antilibéralisme de droite, mais il est très minoritaire, y compris chez ceux qui ont voté « non ».

Avez-vous le sentiment que la campagne de la présidentielle et celle des législatives ont pris en compte le potentiel d’exigences et de clarification que ce vote apportait ?

Michel Simon. Le coup de tonnerre du 29 mai (c’était il y a seulement deux ans) reste un événement majeur. Il a vu les principales forces politiques, et notamment le Parti socialiste, mises en échec. Les divisions qui les ont traversées ne sont pas indépendantes de l’appartenance de classe : selon qu’on est cadre supérieur ou employé et ouvrier, le « non » passait de 48 % à 72 % quand on était de gauche, de 31 % à 75 % quand on n’était ni de droite ni de gauche, et de 27 % à 41 % quand on était de droite. En ce sens, le vote référendaire demeure un vote de crise. Les potentialités qu’il ouvrait n’en demeuraient pas moins considérables. La gauche a été incapable de les exploiter, faute d’assumer une « radicalité réaliste » à la hauteur de la révolte exprimée alors. Elle a laissé Sarkozy proposer une « rupture de substitution » clairement orientée à droite. Notons toutefois que les catégories qui lui ont été les plus favorables (milieux aisés, personnes âgées) sont aussi celles qui avaient le plus massivement voté « oui ». Cela dit, le feu couve, comme le montre « l’effet TVA sociale » qui rappelle, toutes proportions gardées, « l’effet Bolkestein » lors du référendum.

(Entretien réalisé par Lucien Degoy)


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