Pourquoi l’Europe sociale n’a pas eu lieu

lundi 6 mai 2019.
 

En constitutionnalisant le néolibéralisme, les traités successifs ont édifié un ordre juridique qui fait obstacle à toute volonté de transformation sociale et écologique.

L’accrochage fut bref mais parlant. Il opposa, le 4 avril sur France 2, devant des centaines de milliers de téléspectateurs, Yannick Jadot, tête de liste d’Europe Écologie-Les Verts, à Manon Aubry, qui conduit la liste de La France insoumise, le premier voulant rester dans les traités actuels lorsque son adversaire refuse « l’Europe à tout prix ». « Comment faites-vous la transition écologique, interroge l’Insoumise, quand vous avez juste 3 % de déficit, avec […] douze traités de libre-échange qui vont être signés et organiser le grand déménagement du monde ? » Réplique de l’eurodéputé écolo : « J’espère, madame, que vous serez élue au Parlement européen. Vous verrez que l’on peut faire plein de choses sans changer les traités. Sur la pêche électrique, les énergies renouvelables, le glyphosate, et même l’investissement… »

La gauche a longtemps rêvé l’Europe avant de se diviser à son sujet. Des États-Unis d’Europe imaginés par Victor Hugo au tournant des années 1840-1850 à « l’Europe socialiste » fêtée par le PS dans les jardins du Trocadéro fin mai 1979, à quelques jours de la première élection du Parlement européen au suffrage universel, cette Europe promise n’est jamais advenue. Pire, elle s’est construite contre elle.

Conçue à l’époque de la guerre froide et de la lutte contre le communisme, la construction européenne n’a jamais été politiquement neutre. Marquée par la volonté des « pères fondateurs » de rendre impossible le retour de la guerre au moyen d’une limitation des souverainetés nationales, elle s’oriente d’emblée comme l’instrument de la reconstruction du libre-échange. Dès la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1951), l’intégration communautaire privilégie la voie du marché. « Les institutions étaient en apparence économiques et techniques, mais leurs objectifs étaient politiques », écrit Jean Monnet, son premier président, dans ses Mémoires (1976).

Ce marché commun, institutionnalisé par le traité de Rome de 1957, qui induit la libre circulation des travailleurs, des capitaux et des marchandises, va infléchir progressivement de l’extérieur le dirigisme des États nations et produire un ordre juridique favorable à la libre concurrence. « L’Europe se range ainsi durablement sous la bannière d’une idéologie politique qui a pour ennemi principal le socialisme, sous toutes ses formes », résument les sociologues François Denord et Antoine Schwartz dans un essai au titre désenchanté (1).

Cette donnée était parfaitement intégrée par François Stasse, le conseiller économique de François Mitterrand à l’Élysée, quand, pour justifier le tournant libéral de 1983, il assénait qu’il fallait « choisir entre la gauche et l’Europe ». Un choix confirmé par le PS à chaque nouveau traité : l’Acte unique (1986), qui parachève la constitution du marché unique ; le traité de Maastricht (1992), qui fonde l’Union européenne, ouvre la voie à la monnaie unique et, avec ses critères de convergence, enlève aux gouvernements des États membres l’essentiel de leurs marges de manœuvre en matière de politique budgétaire ; le traité d’Amsterdam (1997), qui étend les domaines de compétences de l’UE ; le traité de Nice (2001), qui adapte le fonctionnement de l’UE à l’élargissement prévu à 28 pays. Et bien sûr le traité de Lisbonne (2008), qui régit aujourd’hui l’architecture institutionnelle de l’UE ainsi que ses objectifs politiques et compétences, alors qu’il reprenait la quasi-totalité des dispositions contenues dans le traité constitutionnel européen (TCE), rejeté par le peuple français en 2005.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message