De 1450 à 1550, le développement économique, le chèque, l’imprimerie, la montre, la chirurgie, les progrès du Droit, des Sciences et des Arts commencent à faire basculer l’Europe occidentale dans le monde moderne. Historiens, peintres et poètes font revivre l’Antiquité. La laïcisation de la culture, le développement de l’esprit critique et l’application de l’intelligence à des questions concrètes enfantent les grands noms de la Renaissance : Rabelais, Erasme, Léonard de Vinci, Copernic...
Des villes comme Villefranche, Millau ... et même Rodez connaissent une évolution rapide (commerce, architecture, enseignement...) mais cela n’entame guère le mode de production féodal rural, la puissance de l’Eglise et des féodaux qui vont profiter des Guerres de religion pour éradiquer les velléités humanistes nées en milieu urbain. Pour l’essentiel, le Rouergue s’identifie au slogan qu’il inscrit sur sa cathédrale "Disparaissez pyramides d’Egypte, masses insensées, honneur aux vraies merveilles du monde". La réputation de ses barons cruels et batailleurs parvient jusqu’au poète Clément Marot à Paris ("Sévérac torture et pille"). La culture reste propriété d’Eglise et elle n’est guère renaissante (opuscules pour la confession, école de théologie, livres du Prince des thomistes...). Comme dans toutes les sociétés peu évolutives, l’afflux d’argent et de richesses passe dans l’architecture, religieuse en particulier.
L’Inquisition continue son oeuvre. En 1492, année de la "découverte de l’Amérique", l’évêque se préoccupe de la découverte de "sorcières" à Millau. "Béatrix fut mise à la torture par Barthélémy N, celui-là même qui avait précédemment exécuté et brûlé la femme du hameau del Pinel... Le lendemain 19 juillet, suivant l’ordonnance de M l’Inquisiteur, furent mis à la torture son mari Guillaume et ensuite Colombe M... Comme le dit Guillaume contrefit le mort, on lui appliqua un brandon enflammé au bas-ventre ce qui le fit parler... 10 deniers, M l’Inquisiteur ayant manifesté le désir de boire pendant qu’on étirait ladite Colombe". Colombe meurt et Béatrix est brûlée vive.
La justice féodale et religieuse continue son oeuvre. "Très fréquemment en Rouergue, le voyageur rencontrait sur sa route des instruments de supplice" (Bosc). En 1516, le sinistre évêque François d’Estaing obtient du roi la multiplication des gibets ; pour les seuls environs de Villefranche, se dressent ainsi 3 piliers au lieu de 2 à La Bastide l’Evêque, 3 au lieu de 2 à Saint Rémy, 3 au lieu de 2 à Saint Igest, 4 au lieu de 3 à Morlhon... Aux Etats Généraux de Tours, les députés du Rouergue signalent l’abus par l’Eglise des procédures d’excommunication (peine religieuse excluant des sacrements mais aussi de la communauté civile d’alors) "Il y a plusieurs gens excommuniés à cause de leur pauvreté... n’ont de quoi payer leurs créanciers... meurent en terre profane (refus d’enterrement au cimetière)... plusieurs ont abandonné leurs filles au péché à cause qu’ils n’ont de quoi leur donner à manger ni marier...".
Les féodaux continuent aussi leur oeuvre. En 1553, des habitants du Haut-Rouergue rechignent à payer une redevance non justifiée ; l’Eglise publie un monitoire dans chaque paroisse (obligation de se présenter devant la justice sous peine d’excommunication). Des dépositions présentent le seigneur Jean de Castelnau comme "violent et terrible" grâce à "ses gens de guerre tenant leurs paysans en grande crainte, procédant contre eux par emprisonnement", "le bâton est monnaie courante". "La crainte de grands dommages et de grands coups" fait sans cesse accourir les manants pour travailler gratuitement au manoir féodal, au moulin, au four banal. Quand le seigneur a besoin de paille, de foin, de bois, il "en instruit tel ou tel villageois qui s’empresse de le servir à souhait... et s’en retourne sans rétribution" ; parfois, un des deux ruminants tirant le char "a été jugé digne de contribuer au régal du seigneur". Si le paysan, les larmes aux yeux, essaie de réclamer, on le congédie à coups de bâton. " Faut-il au seigneur un mouton, des poules, des chevreaux ? les domestiques n’ont qu’à exécuter une petite tournée sans bourse délier... le paysan se laisse dépouiller sans mot dire, preuve de raison : en présence de deux maux, il faut choisir le moindre". Ainsi, "dociles comme des moutons" les habitants font le guet au château durant les nuits les plus froides en pleine paix. "Des troupes de soldats... indisciplinés, encouragés au mal par les instructions du seigneur (contre tel ou tel) commettent toute sorte d’oppressions, coups, pilleries, etc. La justice n’intervient pas. Le clergé ne bouge non plus qu’une motte" (Henri Affre).
Le bilan historique de cette histoire, c’est que les ruraux de ce même secteur seront les plus acharnés du département pour défendre l’Eglise et les seigneurs de 1791 à 1793 ; ils vont s’identifier à cette tradition pour le reste du millénaire, votant systématiquement à droite ou à l’extrême droite. L’habitude d’allégeance personnelle à un noble ou un notable se maintiendra très longtemps dans les milieux ruraux aveyronnais : habitude de les saluer dévôtement et de les soutenir sans faille. Dans la mouvance d’extrême droite cléricale fascisante de 1870 à 1944, forte d’une trentaine de milliers d’individus, colonne vertébrale de la droite locale, beaucoup sont des pauvres ancestralement ancrés dans la soumission au prêtre, au suzerain, au riche. Une personne ayant beaucoup compté dans mon enfance disait "L’ombra dels castels vos a totes apapisits" (L’ombre des châteaux vous a tous apapisits) ; le mot occitan apapisits signifie affidé du pape mais aussi "ramolli comme du pain trempé".
Histoire de l’Aveyron 1 : L’installation de l’Eglise et les débuts de la féodalité
Histoire de l’Aveyron 4 : La Sainte Ligue sort victorieuse des Guerres de religion
Histoire de l’Aveyron 5 : L’Ancien régime en Rouergue, deux siècles d’extinction des Lumières
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