Adèle Haenel : Une femme puissante

dimanche 17 novembre 2019.
Source : Médiapart
 

Adèle Haenel a été entendue. Des artistes, des politiques, et des anonymes par milliers relaient sa parole, témoignent de leur soutien, de leur émotion, racontent leurs propres tragédies, détaillent ce qu’ils ont vu ou entendu comme simples témoins. C’est la première fois.

Comme le nuage de Tchernobyl, #MeToo s’était arrêté aux frontières de la France. Cela fait pourtant des années que Mediapart, et bien avant l’affaire Weinstein, enquête sur les affaires de violences sexuelles, analyse les mécanismes à l’œuvre, rapporte la parole de victimes. Dans un désintérêt quasi général.

Et si ces femmes mentaient ? Et si un homme était un jour accusé à tort ? Et si ces femmes voulaient seulement se faire un nom, booster leur carrière ? Et si ce n’était que de la galanterie à la française mal interprétée ? Et si, et si, et si…

Adèle Haenel a pourtant été entendue. Si vous n’avez pas eu le temps de lire l’enquête de Marine Turchi, il faut à tout prix vous y plonger. Si vous n’avez pas pu visionner l’interview de l’actrice lors de notre live, faites-le sans plus attendre, en intégralité.

Cette fois, on ne parle pas de l’affaire Besson, de Baupin ou de Polanski. Cette fois, le nom de l’agresseur présumé disparaît : il est inconnu du grand public. Celle qui se dit victime est plus connue, plus forte, plus puissante. Et le monde du cinéma se range de son côté (lire ici et là).

Qui était là pour soutenir les neuf femmes témoignant à l’encontre du géant Luc Besson ? Qui se tenait à leurs côtés ? Quelle chaîne de télévision y a consacré un sujet ? Oui, notre journaliste a mené pendant sept mois un formidable travail à partir du témoignage d’Adèle Haenel, pour retrouver des témoins par dizaines, des lettres, des extraits de journaux intimes, des photos, etc.

Mais le travail de cette même journaliste n’était pas moins admirable il y a quelques mois quand elle travaillait sur Luc Besson ou le ministre Gérald Darmanin. Les récits de femmes, les témoignages les accompagnant, étaient même parfois plus nombreux. Qui s’offusquait ?

Adèle Haenel est en position de force. Et elle sait que cela change tout. Oui, l’émotion gagne le lecteur quand elle décrit des scènes d’oppression, les caresses et les baisers qu’elle fuyait tant bien que mal pendant trois ans, alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans.

Pourtant – et alors qu’en général, on attend d’une victime qu’elle témoigne, pas qu’elle analyse – c’est bien quand Adèle Haenel explique pourquoi elle peut parler, pourquoi elle doit parler, que les larmes montent aux yeux : « Dans ma situation actuelle – mon confort matériel, la certitude du travail, mon statut social –, je ne peux pas accepter le silence. Et s’il faut que cela me colle à la peau toute ma vie, si ma carrière au cinéma doit s’arrêter après cela, tant pis. Mon engagement militant est d’assumer, de dire “voilà, j’ai vécu cela”, et ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on doit porter la honte, qu’on doit accepter l’impunité des bourreaux. On doit leur montrer l’image d’eux qu’ils ne veulent pas voir. »

Il y aura un avant et un après Adèle Haenel. Dorénavant, il faudra toujours se demander : y avait-il plus de raisons de croire Adèle Haenel ?


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