À l’approche des fêtes, le mouvement de grève restait déterminé. Le gouvernement qui misait sur cette période pour mettre fin au mouvement a déchanté. Appuyé par les médias, il a pourtant utilisé plusieurs stratagèmes et diverses intox. Mais sans résultat.
La première manœuvre est de prétendre que la grève s’effiloche. La direction a sans doute présenté des chiffres de grévistes en baisse, mais, curieusement, pas de trafic en hausse ! Lundi 23 décembre, il n’y avait par exemple qu’un transilien sur cinq et un intercités sur quatre. Même en ayant mobilisé ses cadres, le « pool fac », une brigade de conducteurs de réserve, surpayés pour remplacer les grévistes, la circulation des TGV n’était que de deux sur cinq. La grève restait massive chez les roulants. Dans bon nombre d’ateliers, la direction annonçait des chiffres de grévistes très minoritaires. Mais par exemple, au Landy Centre, où travaillent en temps normal plusieurs centaines de cheminots, alors qu’une alarme incendie forçait l’évacuation de tout l’atelier jeudi 19, seuls une vingtaine sont sortis. La plupart des ateliers tournent au ralenti, entre la grève, les congés et les arrêts-maladies. Et quand des cheminots ont repris, ce n’est jamais en abandonnant le mouvement, mais parce qu’ils disent être coincés financièrement. Mais ils s’affirment tous dans le camp de la grève et prêts à se remobiliser, ce qui renforce le moral de ceux qui sont restés en grève.
Puis cela a été le chantage à la trêve de Noël. Quasiment tous les membres du gouvernement et Macron lui-même, depuis sa réception à Abidjan, ont tenté de dresser l’opinion publique contre les grévistes, accusés d’empêcher les familles de se retrouver. Mais partout, leur réponse a été : « Le gouvernement ne fait pas de trêve, nous non plus ! » Et ils savent, non seulement par les sondages, mais parce qu’ils le mesurent autour d’eux, dans leur famille, dans les distributions de tracts ou les collectes de soutien, que, malgré la gêne, les travailleurs sont de leur côté. Et c’est aussi ce soutien moral, parfois matériel, qui leur permet de tenir, car ils savent qu’ils portent, comme le disait une gréviste, « le flambeau de la lutte » et qu’ils ouvrent la voie.
La troisième manœuvre a été de rallier des dirigeants syndicaux pour inciter à la reprise. Pour cette opération, le gouvernement a demandé aux directions de la SNCF et de la RATP de lâcher des mesures catégorielles, visant, disent-ils, à amortir la transition vers le nouveau régime de retraite.
Il n’en a pas fallu plus pour que jeudi 19 décembre, les dirigeants de l’UNSA ferroviaire sortent un communiqué saluant les « signes d’ouverture du gouvernement » et appelant à « marquer une pause », donc à stopper la grève. Il est notable que cette décision était prise non seulement indépendamment des grévistes mais même de leurs propres militants. Elle n’a d’ailleurs été prise que par 36 voix pour, 31 contre et 3 abstentions des secteurs fédéraux.
Le soir même, plusieurs secteurs régionaux UNSA ferroviaire dénonçaient publiquement cette position. Et il est notable que le lendemain dans de nombreuses assemblées, des militants UNSA ont ôté leur chasuble et tout sigle syndical pour s’affirmer pour la grève jusqu’au retrait de la réforme, sous les applaudissements nourris de tous les grévistes. Quant à l’UNSA-RATP, bien plus influente parmi les grévistes qu’à la SNCF, elle appelait le soir même « à la mobilisation sans trêve ». Le lâchage, à vrai dire prévisible, de la direction de l’UNSA, n’était donc d’aucun effet sur la grève. Quant à la CFDT-Cheminots, elle n’osait pas non plus défendre la position de Laurent Berger demandant une trêve car cela aurait signifié se discréditer totalement auprès de la base. Cela repose aussi sur un fait : il n’y a aujourd’hui dans le mouvement de la SNCF et de la RATP pas de prise pour le corporatisme, pour le chacun pour soi. La preuve en a été donnée par le mépris avec lequel les cheminots ont ignoré les prétendues avancées jetées en pâture aux bureaucrates.
Mais bien plus que la position de l’UNSA et de la CFDT-Cheminots, qui ont souvent peu de poids sur les grévistes, c’est le communiqué de l’intersyndicale CGT-Solidaires-FO-FSU du jeudi 19 au soir qui a fait vivement réagir, sur les réseaux sociaux le soir même et dans les assemblées qui ont suivi. Ce communiqué continuait de réclamer le retrait du projet de réforme, mais précisait : « En conséquence, au-delà des initiatives d’ores et déjà programmées, le 19 décembre et sans trêve jusqu’à la fin de l’année 2019, les organisations appellent à une nouvelle puissante journée de grève et de manifestations interprofessionnelles et intergénérationnelles le jeudi 9 janvier 2020. » Cet appel à la journée du 9 janvier représentait dans les autres secteurs que les transports, comme les enseignants, en vacances jusqu’au 6 janvier, ou le privé, alors que de nombreuses entreprises sont fermées pour les fêtes, un point d’appui pour préparer la suite du mouvement. Mais dans les secteurs grévistes, cette date lointaine apparaissait comme l’annonce d’une trêve sans le dire. Leur réaction montrait à la fois leur combativité et leur méfiance vis-à-vis des directions syndicales et la crainte qu’elles ne lâchent le mouvement au milieu du gué. Toutefois, dans toutes les assemblées dès le lendemain, tous les militants affirmaient au contraire leur détermination à continuer le mouvement. C’était en particulier le cas de la fédération des cheminots CGT, la plus influente, qui appelait à « multiplier les actions chaque jour ».
C’est donc revigorés que les grévistes ont voté partout la reconduction du mouvement et réaffirmé qu’ils réclamaient le retrait total de la réforme. De toutes façons, comme l’ont affirmé des grévistes en de nombreux endroits : « Si des syndicats lâchent, nous, on continue ! » L’avenir du mouvement dépend en effet de la détermination des grévistes, à continuer et élargir leur mouvement. Tant que leur grève tient, tant qu’ils conservent leur combativité, ils peuvent y parvenir et remettre en lutte dans la période qui vient d’autres fractions du monde du travail.
Christian BERNAC
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