Intercommunalités : Démocratie aux abonnés absents

mardi 18 février 2020.
 

Il y a quatre ans encore des personnes pourtant au courant des enjeux politiques de l’eau ignoraient qui la gérait. De même ne savaient-elles pas que leur commune faisait partie d’un Établissement public, d’un Territoire. À Saint-Maur des Fossés (Val-de-Marne), par exemple, elles découvraient que la compétence eau était dévolue au Territoire, que leur maire en était même vice-président ainsi que du syndicat qui gère l’eau par délégation. Grande était l’ignorance sur ces nouvelles intercommunalités créées par le gouvernement Hollande avec les lois Notre et Maptam.

Mais aujourd’hui encore qui connait l’existence de ces structures, qui sait qui y siège et quelles sont leurs compétences ? Pourtant, leurs compétences les rend de plus en plus puissantes : eau, déchets, urbanisme et logement, politique de la ville … Que reste-t-il aux communes qui sont pourtant le premier échelon de la vie démocratique ?

À la veille des élections municipales, cette question est fondamentale pour celles et ceux qui s’y investissent.

Comment maîtriser l’urbanisme dans sa commune quand l’élaboration du Plan local d’urbanisme ne dépend plus d’elle mais d’un Plan local d’urbanisme Intercommunal, un PLUI du Territoire ? Comment mettre en œuvre des politiques publiques innovantes en matière de gestion des déchets quand on n’a plus la main sur cette compétence ? Comment pouvoir mener le combat pour une régie publique de l’eau dans sa commune si elle n’en a plus la compétence ?

Et surtout, comment, avec tout cela, répondre aux besoins des habitant.e.s sur ces sujets alors que celles et ceux qui pourraient le faire sont éloignés des populations ?

On touche là le cœur du problème : l’éloignement des citoyen.ne.s des lieux de prises de décisions et des élu.e.s qui les prennent. Et cet éloignement n’est pas un accident. C’est le but premier de ces lois. Surtout faire en sorte que les gens ne se mêlent pas de la chose publique (on ne sait jamais, des fois qu’ils trouvent à redire aux décisions prises par les élu.e.s). Surtout les laisser dans l’ignorance, ne pas rendre compte de qui y fait quoi et de ce qui s’y décide.

La démocratisation dans les intercommunalités ne suit pas.

Les élu.e.s de ces intercommunalités sont issu.e.s des conseils municipaux au sein desquels ils ont été désignés par d’autres élu.e.s. Les ordres du jour de ces assemblées ne font l’objet d’aucune publicité en dehors d’un affichage obligatoire en mairie, les compte-rendu de débat sont souvent introuvables, et, de fait, les votes ne sont que très rarement connus.

Reprenons l’exemple de la gestion de l’eau.

Avec la reprise de la compétence eau, la loi Notre a offert aux nouvelles intercommunalités la possibilité de réfléchir au mode de gestion qu’elles voulaient. En région parisienne, douze territoires, composés de communes pour certaines adhérentes au Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (SEDIF) ayant délégué sa compétence à Véolia, avaient donc la possibilité de reprendre la gestion de l’eau à Véolia pour la gérer en régie publique. Alors que cette question du mode de gestion aurait mérité un débat public de grande envergure avec les usagers, une minorité d’élu.e.s, dans le secret de leur lieu de décision, en a décidé autrement. Aucun débat public, aucun compte-rendu, aucun vote public. Le néant démocratique.

Le mode de fonctionnement de ces nouvelles intercommunalités empêche lui aussi toute démocratie.

En effet, au sein des Territoires, le consensus est la règle. En d’autres termes : pas de vagues, pas de majorité, ni d’opposition. Les vice-présidents (généralement les maires) se réunissent entre eux (ils forment le “bureau”) pour convenir des ordres du jours des assemblées. Aucun suspens sur les votes le jour J puisque tout le monde s’est mis d’accord avant. Personne pour froisser le voisin, qui en retour ne froisse personne.

Charles-Eric Lemaignen, premier vice-président de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) parle même de « refus de la politisation, certains élus ayant toujours eu peur que les oppositions du conseil municipal se retrouvent à l’intercommunalité »[1]

Le débat est donc ainsi anesthésié et la démocratie sacrifiée sur l’autel du consensus.

Selon un sondage de septembre 2018 relayé par Le courrier des maires et des élus locaux [2], « si 86% des Français pensent que le principe de l’intercommunalité est une bonne chose, ses actions, ses compétences ou ses projets sont généralement moins bien identifiés par les Français… ». Étonnant !

Enfin, ce sont des lieux d’exercice du pouvoir dans lequel la parité n’a pas court. En effet, si la composition des conseils municipaux doit être paritaire, il se trouve que 80% des maires sont des hommes. Les maires étant élus de droit dans ces intercommunalités, les hommes y sont donc déjà surreprésentés de fait.

De plus, les compétences dévolues aux intercommunalités sont des compétences historiquement masculines (eau, urbanisme) alors que celles qui restent à l’échelon communales sont surreprésentées par les femmes (petite enfance, enfance, personnes âgées …). Les élus municipaux appelés à siéger dans ces structure sont donc majoritairement des hommes. Vous avez donc une structure dirigée par un bureau de maires (des hommes), et composée d’élus majoritairement masculins.

A titre d’exemple, reprenons la région parisienne.

11 Territoires, 11 présidents. Que des hommes.

Concernant les vice-présidences, sur 179, seules 42 sont occupées par des femmes. Avec par contre de véritables disparités selon les Territoires, certains jouant le jeu de la parité, quand d’autre, s’en tenant à la loi, n’en ont que faire.

La place des intercommunalités dans ces élections sera donc essentielle. Les élections de 2020 devront être un temps d’explication sur leur fonctionnement, leur compétence et leur composition et le programme municipal ne pourra pas faire l’économie d’un programme intercommunal.

Pour les futures élu.e.s qui y siégeront, leur mandat sera de politiser, de féminiser et de démocratiser ces nouvelles couches de mille feuilles.

NOTES

[1] Le Courrier des Maires et des élus locaux, 12 avril 2019, “Les intercommunalités, futures grandes absentes des élections municipales ?”

[2] Idem

Delphine Fenasse


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