Pour Une Rupture de Gauche. Renouons avec le socialisme de Jaurès, où le politique prime sur l’économique et où l’état garde un rôle majeur (Marie Noelle Lienemann)

dimanche 29 juillet 2007.
 

L’appel à la « rénovation » de la gauche est un grand classique des lendemains de défaite. Elle s’accompagne généralement de vives critiques contre la « vieille gauche », responsable idéale de la débâcle des « modernes ». Le procès en archaïsme a un mérite : il permet d’exonérer de leurs responsabilités celles et ceux que le peuple vient de sanctionner ! Et si, au contraire, c’était la logique du renoncement et de l’abandon que les électeurs venaient de rejeter ?

Ces donneurs de leçons pèchent par ignorance : partisans de l’accompagnement de l’ordre économique dominant et de l’alignement sur la social-démocratie, ils en oublient la réalité politique. Le bilan de la sacro-sainte social-démocratie européenne ne brille ni par ses résultats, ni par son efficacité sociale. L’âge de la retraite porté à 67 ans et de très bas salaires bien inférieurs à notre Smic en Allemagne, les 60 heures de travail par semaine en Autriche, 44% des emplois en temps partiel au Danemark : est-ce cela que nous souhaitons pour notre pays ?

Aux partisans du non au TCE, aux tenants d’une campagne sur le terrain économique et social, aux promoteurs des stratégies industrielles et antidélocalisation, les spécialistes du brouillage de l’identité de la gauche ont opposé une autre stratégie : elle vient d’être défaite nettement dans les urnes.

Une partie des dirigeants du parti, vieux ou jeunes, hommes ou femmes, a renoncé à l’ambition stratégique de la gauche. Surtout, tournant le dos à la spécificité du socialisme français, ils ont tenté de nous vendre une bouillie idéologique dépassée qui ne résiste ni à la confrontation avec la droite tant elle ressemble à certaines de ses idées, ni à la réalité du temps.

Car les temps sont durs pour beaucoup et plaident pour une véritable rupture. Il ne s’agit pas tant d’être « plus » ou « moins » à gauche que de redonner corps aux idées, aux valeurs et aux fondamentaux de la gauche et du socialisme. Héritiers de Blum, nous savons que la transformation, fût-elle radicale, de la société passe’ par la démocratie et l’exercice du pouvoir. Mais notre objectif reste la recherche d’une alternative à l’ultra libéralisme. Tout cela n’a rien d’abstrait. Il s’agit du quotidien des Français. Qui ne voit que le capitalisme financier transnational provoque des drames humains et écologiques, aussi bien dans nos pays que dans ceux dits en voie de développement. Les puissants, les multinationales sont les grands gagnants et les seuls bénéficiaires du démantèlement des Etats nations, de l’affaiblissement des protections. Oui, plus que jamais, la rupture est à l’ordre du jour. La gauche doit désormais assumer son opposition à l’idéologie du « laisser faire », du « laisser passer », à la théorie de la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes (on notera au passage que, bien évidemment, celles des hommes n’a jamais lieu !).

Tant qu’elle continuera à présenter comme inéluctable le libre-échangisme et se contentera de plaider pour l’édiction de quelques règles sociales environnementales pour le « réguler », elle sera vouée à l’impuissance. D’autant que les salariés eux-mêmes n’y croient pas. Ils savent que l’entrée de l’Inde et de la Chine dans ce libre marché change tout.

Notre perspective, c’est l’avènement d’un monde multipolaire, où les échanges économiques doivent être négociés, organisés pour permettre à chacun un développement équilibré, soumis aux choix des peuples et au service du développement humain.

En France et en Europe, l’heure est au changement de cap. Nicolas Sarkozy l’a utilisé, lui qui est a fait de la « préférence communautaire » et de la fin de l’euro fort des axes de campagne qui lui ont permis de capter des voix d’ouvriers et d’employés qui, une fois encore, nous ont fait défaut.

La priorité pour la gauche, la condition de son sursaut, c’est bien de retrouver ce socle sociologique. Elle doit fédérer les ouvriers, employés, salariés et, au-delà, celles et ceux qui ne vivent que de leur travail, leur création, leurs talents et non pas de l’héritage, la rente, les placements financiers, les dividendes du capital. Cette alliance des productifs est rendue davantage nécessaire par la financiarisation de l’économie. Elle permet aussi de véritables convergences entre les salariés de certains chefs d’entreprise, de PME, d’artisans dont la seule richesse est leur force de travail. La hausse du Smic et des salaires, permise par une refonte des cotisations sociales et des aides aux entreprises, aurait donné un débouché concret au souci de « valoriser le travail ».

« L’alliance des couches moyennes et des exclus », longtemps présentée comme le nec plus ultra de la modernité socialiste, faisait l’impasse sur le cœur du salariat et nous a éloignés des questions essentielles : les rémunérations, la production et la répartition des richesses, le pouvoir des salariés dans la sphère économique.

Au-delà, il devient urgent de redonner un contenu neuf à l’idée d’économie mixte, rouvrant la possibilité de capital public ou socialisé dans certains secteurs économiques stratégiques, pour éviter les délocalisations ou de rachats prédateurs, pour favoriser l’émergence rapide de nouvelles activités. L’économie française est devenue hyper vulnérable aux capitaux étrangers et nous travaillons de plus en plus pour des fonds de pensions et les retraités d’autres pays. La restauration publique du capital d’EDF, la constitution d’un pôle avec GDF, la recapitalisation d’Airbus participent de la reconquête de notre souveraineté économique.

« Souveraineté » : ce mot n’a rien d’archaïque. Menacés par la mondialisation, abandonnés par une Europe incapable de les protéger, les Français sentent confusément que l’Etat nation reste, en dépit des théories savantes, un cadre pertinent pour agir. Pas besoin d’agiter des drapeaux si c’est pour expliquer que l’avenir du socialisme est ailleurs. Il y a une identité particulière du socialisme français profondément matricé par la République. Le socialisme de Jean Jaurès a été et demeure une branche distincte de la social-démocratie.

Le politique y prime sur l’économique, l’Etat garde un rôle majeur, l’universalité des droits de l’homme s’affirme dans le champ social (c’est le sens de la revendication très actuelle du droit au logement). Le service public est la colonne vertébrale de l’égalité quand la mixité sociale et le refus du communautarisme parlent de fraternité et de laïcité. Pour les socialistes, l’ordre républicain n’est pas séparable de l’émancipation, et réciproquement.

C’est parce que nous avons oublié ces fondamentaux que nous avons été défaits. L’obsession modernisatrice d’une partie de la gauche n’a d’égal que son doute profond sur elle-même. Comment convaincre, rassembler sans être persuadés de trouver dans l’identité socialiste française les ressorts pour ouvrir une ère nouvelle de progrès, ici et dans le monde ?


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