L’avenir du système de santé : « Monsieur le Président, montrez-nous qu’on peut compter sur vous »

samedi 30 mai 2020.
 

Alors que s’ouvrent ce lundi des états généraux sur l’avenir du système de santé, un collectif de soignants interpelle Macron et propose un manifeste pour un véritable service public.

Emmenés par le professeur Grimaldi, les signataires de cette lettre, parfois membres du collectif interurgences ou du collectif Inter-Hôpitaux, parfois simples médecins, cadres de santé ou infirmières, ont aussi rédigé un « Manifeste pour des jours heureux », qui dessine les contours d’une réforme du système de santé dans sa globalité, et que Libération publie également dans son édition de lundi.

Monsieur le président de la République,

Depuis des mois, des ­années, bien avant votre élection c’est vrai, de très nombreux professionnels ont exprimé leurs ­inquiétudes quant à l’évolution ­extrêmement préoccupante du système de santé… ­sans réponse à la hauteur des problèmes soulevés.

Et ce que nous craignions tous est advenu  : un cataclysme. L’épidémie de Covid s’est abattue sur la nation, plaçant l’hôpital public fragile, démuni, désossé, en ­première ligne. « Nous sommes en guerre », comme vous l’avez ­répété, et après le Blitzkrieg de la première vague d’assaut, voici venir le temps des tranchées. Il faut tenir, mais les combattants épuisés vont déserter si le « plan massif » que vous avez annoncé, monsieur le Président, n’est pas à la hauteur des enjeux.

Les collègues des Ehpad ont alerté depuis plusieurs années sur le manque de personnels et le manque de moyens. Aujourd’hui ce sont les résidents, nos aînés, et les personnels des Ehpad qui ont payé et payent encore le plus lourd tribut à cette pandémie.

Après eux, les psychiatres ­ont expliqué que leurs moyens n’étaient plus à la hauteur des ­besoins croissants de notre population. Les personnels médicaux et paramédicaux, en nombre, ont été amenés à déserter les services de psychiatrie de l’hôpital public. Certains en sont même venus l’année dernière à se mettre en grève de la faim pour défendre leur spécialité au service de nos concitoyens. Les effets de la pandémie à Covid arrivent sur la psychiatrie. Les enfants et les adultes habituellement suivis ou récemment fragilisés par ces semaines de confinement et ce stress ­généralisé vont avoir besoin de ces soignants spécialisés.

Nos collègues des urgences s’y sont alors mis. Depuis plus d’un an maintenant. Certains, l’été dernier, se sont même fait porter pâles pour espérer être entendus. Aucun geste à la hauteur des enjeux. Et ils ont été en première ligne lorsque la vague est arrivée jusqu’à l’hôpital après avoir submergé nos collègues de ville, médecins généralistes, infirmières, kinésithérapeutes, pharmaciens. La prime ne suffira pas à reconnaître leur travail et leur professionnalisme.

Alors, les autres médecins ­de toutes spécialités, de tous types d’exercice, de tous bords politiques et tous les autres personnels de l’hôpital public, administratifs, ingénieurs, secrétaires, techniciens, brancardiers, se sont à leur tour mobilisés pour défendre l’hôpital public. Résultat  : une toute petite rallonge budgétaire et de petites primes pour une ­petite minorité des personnels.

Alors des services, des hôpitaux entiers ont arrêté la facturation à la Sécurité sociale pour démontrer à leur administration l’absurdité d’un système ne justifiant les soins que s’ils sont « rentables ». Toujours rien. Aucun geste réel pour arrêter cette destruction ­programmée.

Alors, 1 300 chefs de service sont même allés jusqu’à démissionner de leur fonction administrative en tout début d’année. Du jamais-vu. Comme si de rien n’était, les directeurs ont refusé de prendre acte de ces démissions, seule réponse à ce mouvement inédit.

Et ça y est, il faut remettre le système en route. Les affaires reprennent, comme on dit. Les directions reviennent expliquer aux soignants exténués comment ­refaire marcher l’hôpital comme une entreprise commerciale.

Au début du mois de mars, juste avant la vague de Covid, voyant le drame arriver, le Conseil économique, social et environnemental, la troisième assemblée de la République, s’est saisi en urgence des difficultés de l’hôpital public. Il a voté à l’unanimité une résolution le 11 mars, qu’il a nommée « Le droit à la santé pour tous »  : 147 membres du Cese ont voté pour, 2 contre, 1 s’est abstenu. Le Cese transmettra dans quelques semaines un avis au Parlement et à votre gouvernement, monsieur le Président. Nous sommes impatients. Nous espérons que lui, au moins, vous l’écouterez.

Pour faire face à la vague du Covid-19, l’hôpital public, malgré ces cris d’alerte jamais entendus, s’est organisé à la hâte, solidaire, collectif, efficace comme il l’est ­ facilement quand on lui en donne les moyens pour réagir au mieux, sur tout le territoire, tant dans le nord-est de la France, submergé, que dans le Sud, solidaire. Il a fallu courir après les lits, après les personnels, après le matériel, après les médicaments. Et ce n’est pas fini. Aujourd’hui, les réani­mations se vident petit à petit, les services de rééducation débordent mais l’épidémie n’est pas terminée et les patients non Covid reviennent enfin, encore plus fragiles. L’hôpital n’en peut plus. L’exceptionnel de quelques ­semaines ne pourra pas tenir ­plusieurs mois.

Pourtant, tous les soirs, les usagers nous remercient. Tous les matins, tous les midis, en garde, le week-end, ils cuisinent pour nous. Les enfants nous adressent des dessins de remerciements. Et nous sommes nous aussi profondément reconnaissants à tous nos concitoyens qui ont envie de prendre soin de nous à leur tour. Mais cela ne va pas suffire, monsieur le Président. Ils vont ­devoir nous aider à vous montrer que vos paroles ne suffisent plus, qu’ils souhaitent eux aussi un ­hôpital public fort, véritable ­recours au milieu de son territoire, en connexion permanente avec les médecins libéraux, les structures privées, tous les collègues des soins primaires qui ont dû s’organiser pour faire face et qui montent désormais en première ligne. Certainement pas « quoi qu’il en coûte », selon vos propres ­termes, mais seulement « au juste coût », pour la santé de nos ­anciens, de nos enfants, de tous nos concitoyens.

« Vous avez pu compter sur nous », monsieur le Président, montrez-nous que nous pouvons désormais compter sur vous. Mettez en œuvre le programme de santé des « jours heureux » proposé par les professionnels de santé  !

Signataires :

Ont participé à la rédaction collective du programme :

André Baruchel, Alain Beaupin, Hakim Bécheur, Chistian Bensimon, Francis Berenbaum, François Bourdillon, Julie Bourmaleau, Michel Canis, Sophie Crozier, Stéphane Dauger, Mady Denantes, Bruno Devergie, Alain Fischer, Alain Gaudric, Julien Gaudric, Anne Gervais, Yves Gervais, Nathalie Godard, André Grimaldi, Jean-Pierre Hugot, Hugo Huon, Paul Jacquin, Christophe Jolivet, Xavier Lecoutour, Evelyne Lenoble, Philippe Lévy, Anne Marie Magnier, Dominique Malgrange, Dominique Méda, Didier Ménard, Olivier Milleron , Isabelle Montet, Fabienne Orsi, Antoine Pélissolo, Jean-Charles Piette, Carine Rolland, François Salachas, Rémi Salomon, Alfred Spira, Pierre Suesser, Juliana Veras, Jean-Paul Vernant.

En approuvent l’orientation en faveur du service public de santé avec ses 5 piliers et les propositions présentées :

Pierre Amarenco, Fabrizio Andreelli, Isabelle Andreu, Jean Marc Baleyte,Thierry Baudet, Dominique Bégué, Hélène Bihan,Alexandre Blebtreu, Jean François Bergmann, Catherine Boileau,Olivier Bonnot, Philippe de Botton, Clara Bouché, Eric Bruckert, Claire Carette, Simon Cattan, Eric Caumes, Lucy Chaillous, Philippe Chanson , Jean-Philippe Collet, Line Commery, Julie Cosserat, Barbara Coué, Patrice Darmont, Sophie Demeret, Isabelle Desguerre, Camille Deybach, Caroline Dubertret, Yves Dulac, Anne Dutour, Gilles Edan, Fabienne Eymard, Bertrand Fontaine, Philippe Fossati, Irène Frachon, Vincent Gajdos, Philippe Grimbert, Philippe Guerci, Christian Guy-Coichard, Julien Haroche, Agnès Hartemann, Axel Hoffmann, Jean-Pierre Hugot, Marie Line Jacquemont, Sandra Janson, Guillaume Jondeau, Jean Luc Jouve, Mathieu Lafaurie, Sandrine Lafille, Etienne Larger, Joelle Laugier, Céline Laville , Catherine Lubetski, Michèle Maestracci, Luc Mallet, Xavier Mariette, Christophe Marguet, Paulette Morin, Marie Rose Moro, Luc Mothon, Philippe Moulin, Alex Pariente,Thomas Papo, Fabien Paris, Alfred Penfornis, Antoinette Perlat, Florence Pinsard, Oriane Plumet, Marc Popelier, Bernard Pradines, Vincent Rigalleau, Jean-Pierre Riveline, Gilberte Robain, Benjamin Rohaut, Ronan Roussel, Philippe Rousselot, Nicole Smolski, Mélanie Tessier, José Timsit, Jacques Trévidic, Christophe Trivalle, Roland Tubiana, Laurent Vassal, Cécile Vigneau, Jacques Young…

Les jours heureux, collectif de soignants médicaux et paramédicaux


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