Mélenchon en quête d’une « investiture populaire » (Politis)

dimanche 15 novembre 2020.
 

Le chef de file de la France insoumise, qui a lancé sa troisième campagne présidentielle dimanche sur TF1, conditionne sa candidature définitive à l’obtention de 150.000 « parrainages citoyens ».

Au 20h de TF1 hier, le chef de file de la France insoumise s’est dit « prêt » à être candidat à l’élection présidentielle une troisième fois. Comme en 2011 et en 2016 quand il avait déjà « proposé » sa candidature, la première fois au Front de gauche, la seconde fois « hors cadre des partis », Jean-Luc Mélenchon l’a à nouveau « proposé ». « Mais… car il y a un mais », en demandant « une investiture populaire » :

Je serai candidat définitivement si et seulement si j’ai recueilli 150.000 signatures de parrainage, à ce moment-là je me sentirais investi par le peuple.

Pourquoi 150.000 ?

Le chiffre fait écho à une proposition de loi organique déposée fin octobre par le groupe France insoumise, a expliqué le député de Marseille. Celle-ci modifierait la procédure de parrainage actuelle, qui nécessite pour être candidat à l’élection présidentielle de recueillir la signature de 500 élus, en confiant ce filtre directement aux citoyens au même titre qu’aux élus : 150.000 signatures validées par le Conseil constitutionnel seraient alors nécessaires. Cette proposition, rappellent les députés FI dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi, avait été suggérée par une commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, mise en place en 2012, et présidée par l’ancien Premier ministre Lionel Jospin. Constatant l’essoufflement du système des parrainages d’élus depuis l’élection présidentielle de 2001, cette commission déplorait qu’il crée une « incertitude sur la possibilité, pour certains courants significatifs de la vie politique du pays, d’être représentés au premier tour de l’élection présidentielle ».

Même si la barre des 150.000 parrainages citoyens recueillis sur un site internet, donc sans les exigences que fixeraient une procédure officielle organisée sous le contrôle du Conseil constitutionnel, ne présente aucune difficulté pour un candidat qui obtenu 7 millions de voix en 2017 – lundi à 14h30, au moment de boucler cet article, près de 80.000 soutiens étaient enregistrés –, ce seuil n’est pas une simple coquetterie. L’objectif est triple.

Vraisemblablement imposer un rapport de force dans le camp de la gauche et des écologistes et y préempter le terrain. Dans ce camp les écologistes d’EELV ont repoussé la désignation de leur candidat à la fin juin, contre le souhait de Yannick Jadot qui réclamait qu’il y soit procédé avant Noël. Le congrès du PS, où devait se discuter en décembre sa stratégie pour 2022, a été repoussé sine die. Et le plus important appel (à ce jour) en faveur d’une candidature commune à la présidentielle, lancé le 13 octobre par 1.000 élus et militants, avait recueilli ce week-end « près de 30.000 signatures », selon ses initiateurs.

« La force du nombre » évoquée par plusieurs responsables de LFI vise sans doute aussi à légitimer la candidature de Jean-Luc Mélenchon auprès des élus qui, en février 2022, seront encore les seuls à pouvoir le parrainer ; or la France insoumise n’en compte pas assez dans ses rangs pour être assurée d’obtenir les 500 paraphes nécessaires.

L’objectif est surtout d’impliquer ces « parrains citoyens » dans l’organisation de sa campagne, un peu comme on lèverait une armée de militants. Pour l’heure, ceux-ci sont invités à soumettre des modifications au programme « L’Avenir en commun » dont une version actualisée pour tenir compte de trois années de mobilisations sociales et de travail parlementaire a été mise en ligne juste après son passage sur TF1. Mais sur la plateforme, il leur est aussi demandé s’ils veulent s’engager près de chez eux, être actifs sur les réseaux sociaux, etc.

Pourquoi se déclarer si tôt ?

À près de 18 mois de l’élection, alors que la France vit son deuxième confinement depuis neuf jours, et qu’une incertitude plane sur l’organisation au printemps des régionales et départementales, l’annonce de cette candidature a surpris. Très critiquée dans les rangs macroniens, où l’on oublie qu’en novembre 2015 un petit noyau travaillait déjà au « projet d’EM » autour de Cédric O, Stanislas Guérini et Benjamin Grivaux notamment, dénoncée également par le patron du PS, Olivier Faure, cette entrée en campagne était prévisible depuis qu’au sortir de l’été le député de Marseille avait déclaré qu’il ferait connaître sa décision au mois d’octobre après consultation de ses amis. Le retour du Covid et les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et Nice ont légèrement bousculé ce calendrier. Mais le député de Marseille, qui s’était déjà déclaré 15 mois avant l’échéance en 2011 et 2016, était convaincu qu’il ne fallait pas plus attendre, d’où cette déclaration dimanche après une ultime réunion de consultation des députés nationaux et européens de LFI samedi. Pour trois raisons.

Seule une campagne longue peut, estime-t-il, lui permettre de déployer ses arguments, de les ancrer dans l’opinion et populariser le projet de société de « l’Avenir en commun » très éloigné des canons libéraux, productivistes et sécuritaires ordinairement professés dans les médias dominants.

Une telle campagne a d’autant plus besoin de temps pour se développer, expliquent les responsables de LFI, que l’état d’urgence sanitaire, qui vient d’être prolongé jusqu’au 16 février, et l’interdiction durable de tenir des réunions publiques compliquent la donne. D’où également la nécessité de mobiliser, sans attendre, un grand nombre de « parrains citoyens » pour parvenir par un travail de fourmi dans la société à « déconfiner les esprits », comme l’ambitionne Mélenchon.

Dernière raison formulée par Mathilde Panot, vice-présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, dans un entretien à l’Insoumission hebdo : Marine Le Pen est en campagne, Emmanuel Macron également, or les deux « représentent des nuances d’une même vision autoritaire de la société » et « aucun n’offre un avenir désirable ». Cela rendait urgent, explique-t-elle, de proposer « un horizon heureux pour le pays ». Ce que Mélenchon a ramassé sur TF1 dans une formule, lyrique pour certains, mégalo pour d’autres : « Quand tout va mal et que ça semble être nuit noire pour beaucoup de gens qui ne trouvent pas leur compte dans la brutalité de cette société, il faut allumer une lumière pour qu’on se dise : il y a un bout au tunnel, on peut faire autrement. »

PAR MICHEL SOUDAIS

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