A sauver de l’oubli... Mika Etchebéhère, la capitana

jeudi 4 février 2021.
 

Mai 1968, rue Gay Lussac, des étudiants et des jeunes construisent une barricade, une « dame » de 66 ans, cheveux blanc, vêtue de noir tient à participer et amène des pavés, elle parle avec un indéfinissable accent (Yiddish ? Espagnol ?)....Elle conseille aux jeunes de porter des gants blancs pour garder les mains propres en cas de contrôle...

C’est ainsi que Mika Etchebéhère, née Feldman en 1902 à Moises-Ville ,province de Santa Fé en Argentine poursuit sa vie de révolutionnaire... Moises -Ville a été fondée en 1889 par des juifs russes et ukrainiens qui fuyaient les pogroms tsaristes.

A 14 ans, Mika adhère au groupe anarchiste « Louise Michel » à Rosario....

Elle suit des études d’odontologie à Buenos Aires ou elle rencontre Hippolyte Etchebéhère, basque français émigré en Argentine. Le couple entre au parti communiste argentin en 1923, elle se distingue par son militantisme et ses discours enflammés à la porte des usines. Ils sont tous deux exclu du PCA en 1926 pour « gauchisme et anarchisme », en fait pour leur soutien à l’opposition de gauche trotskyste.

Hippolyte, dit « Hippo » a contracté la tuberculose, ils doivent partir en Patagonie dont le climat est plus favorable. Ils y restent deux ans et à la rémission de santé d’Hippo », ils décident de partir en Europe car c’est là, pensent-ils que va se jouer la Révolution mondiale. Séjour à Paris ou ils collaborent à la revue « Monde » de Barbusse. De là ils se rendent en Allemagne ou ils suivent les cours de l’école communiste allemande, le plus puissant parti communiste après le russe...Lui se forme à l’action militaire, elle à l’action sanitaire. Ils se lient avec un groupe d’opposants, le groupe dit de Wedding mené par Klara et Kurt Landau ( ce groupe d’abord lié à Trotsky s’en sépare ensuite).

Ils assistent impuissants à la montée du nazisme et à la prise du pouvoir légale d’Adolphe Hitler. Le PCA, malgré sa puissance, ses milices, sa presse développe une politique suicidaire : le parti socialiste est plus dangereux qu’Hitler !!! Hitler au pouvoir détruit sans combat le PCA. Mika et Hippo retournent à Paris ou ils collaborent au groupe oppositionnel « Que Faire » d’André Ferrat. Ils se lient aussi avec Marguerite et Alfred Rosmer.

En mai 1936, suite à la victoire électorale du « Frente Popular » en Espagne et l’agitation révolutionnaire qui gagne tout le pays, Hyppo se rends à Madrid et appelle Mika à le rejoindre.

Le « putsch des généraux » du 18 juillet 36 déclenche une riposte ouvrière : Madrid,Barcelone, les grandes villes se soulèvent , une guerre civile commence. Hyppo et Mika décident de rentrer dans une milice dirigée par le POUM. Sans adhérer au POUM.

Le POUM, parti ouvrier d’unification marxiste a été fondé peu de temps auparavant par des opposants communistes:Andrés Nin venant du trotskisme et Maurin venant de l’opposition Boukharinienne. Ce parti reste modeste, mais est assez implanté en Catalogne. Il décide de participer au gouvernement de Front populaire, ce qui amène sa rupture avec Trotsky.

Hippo dirige vite militairement une compagnie, Mika s’occupant de l’aspect sanitaire, mais n’hésite pas à prendre le fusil.

Lors de la bataille de Sigüenza (Août 1936), Hippo est tué. Il est remplacé à la tête de la colonne par Arturo Guerrero qui prend comme adjointe Mika. Quand Guerrero est blessé et évacué, les miliciens élisent Mika comme « capitana ». Ce sera la seule femme de l’armée républicaine à atteindre ce grade.

Des femmes viennent s’enrôler dans sa colonne : « j’ai entendu dire que dans votre colonne les miliciennes avaient les mêmes droits que les hommes, qu’elles ne s’occupaient ni de lessive ni de vaisselle ! » dit l’une d’elles.

Contre les avions allemands, les canons et les mitrailleuses, il n’y a aucune arme lourde, peu de fusils, encore moins de munitions, mais les miliciens savent bricoler des bombes et utiliser la dynamite. Mika fait connaissance avec les poux, la saleté, le froid, l’humidité, la chaleur, la mauvaise nourriture. La colonne se bat partout, arrête plusieurs attaques fascistes, mais les armes que livre Staline vont prioritairement aux milices communistes.

« L’histoire ne dira pas que nous avons été à la caserne de la Montana, ne dira pas que nous avons remporté la victoire de Sigüenza. L’histoire ne dira rien de nous parce que nous sommes des trotskistes du POUM . » dit Tomas, 17 ans, membre de la colonne.

Le poids des armes russes , la transformation des milices en armée régulière, le retrait des femmes des troupes combattantes, telles sont les mesures imposées par les « conseillers » soviétiques. La campagne anti trotskyste fait rage : les staliniens arrêtent Mika (le POUM est interdit). Elle est libérée sur intervention du « général » Cipriano Mera, chef d’une armée anarchiste que les staliniens ne peuvent « toucher » car elle tient des points sensibles de la défense de Madrid. Protégée par Mera, elle assiste à la chute de Madrid en 1939, se cache, fait jouer son passeport français (Hyppo était français) pour passer la frontière. A la défaite de 1940, elle retourne en Argentine ou elle reste jusqu’en 1946 : elle fuit alors la dictature péroniste et restera en France jusqu’à sa mort en 1992....

Quelle vie !!!

Pierre Saccoman


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