Interview de Jean-Luc Mélenchon dans « Libération »

samedi 20 février 2021.
 

Comment et pourquoi avez-vous décidé d’aller chez Hanouna ?

En 2013, j’ai été le premier homme politique à participer à son émission. Nous avions déjà eu entre nous cette discussion. Nous avons depuis un principe : défendre nos idées partout où nous pouvons le faire dans de bonnes conditions. Là, il y avait une belle opportunité. Car en même temps, il y a sur France 2, ce débat entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen. Deux personnages animés par la même névrose, la même obsession négative des musulmans. Être présent ailleurs, au même moment, et parler d’autre chose est un acte de résistance à cette ambiance glauque.

Laquelle ?

Dans l’esprit de ses inventeurs, le débat sur le « séparatisme » devait rendre le macronisme séduisant pour l’extrême droite. Désormais admirateur déclaré de Petain et Maurras, Macron s’est bien mouillé. Cet objectif tourne court. Le RN ne flanche pas. Les autres comprennent qu’il s’agit d’une diversion. Du coup à l’Assemblée, pour se faire remarquer dans les débats sur la loi, certains redoublent de surenchères. Ces gens sont dans une obsession irrationnelle. Cela les conduit, même quand ils sont habituellement cultivés et courtois, à dire des horreurs insupportables sur le sujet des musulmans. Ils glissent sans problème vers l’extrême-droite et son vocabulaire. Cette voie est une impasse absolue pour la France. Elle ignore complètement ce qu’est réellement le peuple français, mélangé et créolisé. On ne fait pas la France en assignant à résidence surveillée cinq millions de musulmans. Ce sont nos parents, nos enfants, nos tontons, tatas, petits-enfants. En fait Le Pen comme Macron tournent le dos à la France réelle. Et nous, nous voulons faire France de tout bois.

Chez Hanouna vous allez parler à cette France qu’ils ne connaissent pas ?

Je parle à tout le monde. La rédaction de France 2 prend la décision d’ériger en débat de référence Madame Le Pen et Monsieur Darmanin. Les deux pensent et parlent de même. Deux hypocrites qui refusent les mesures contre le vrai séparatisme social des riches. Les deux refusent aussi les vraies mesures laïques comme l’abrogation du Concordat. Tous ceux qui ne pense pas pareil ont été mis à l’écart. Et la population concernée de même. C’est un devoir de résister. Je pars en exil politique chez Hanouna. On y parlera de ce qui compte davantage : question sociale, bifurcation écologique, démocratie, libertés.

Vous aussi, qui êtes candidat à l’élection présidentielle, irez dans l’Emission politique de France 2 tôt ou tard…

Pas sûr. Cela dépendra des conditions. J’ai eu plusieurs fois des problèmes avec cette rédaction. Je ne suis pas le seul. Tous les politiques qui ont eu affaire à eux le disent : leur système, c’est le traquenard organisé. Par exemple, avec ces « invités-surprise » dont on découvre ensuite qu’ils sont des militants engagés. Pour moi, c’est fini : je ne remettrai pas les pieds dans ce genre de piège dégradant. Ceux qui s’y soumettent ont peur et se taisent. Je n’ai peur de personne.

Participer à l’émission de Cyril Hanouna, ce n’est pas une manière de participer à la télé-réalité de la politique ?

Qui a transformé la politique en télé-réalité ? Ce sont plutôt ceux qui réduisent tout, en permanence à des questions d’égos, à des disputes personnelles ! Cyril Hanouna, m’a invité pour parler du fond et de mon programme. Donc j’y vais.

Vous parlez de la même façon et des mêmes choses chez Hanouna et sur France 2 ?

Je ne trie ni ne méprise aucun public, aucun lieu. Je pourrais même aller au congrès du Medef pour leur expliquer la planification démocratique. Je leur dirais aussi qu’il sont en dessous de tout dans la crise sociale et pour l’indépendance de la France. Un discours rationnel et des propositions concrètes peuvent convaincre partout.

Pourtant, la semaine dernière, vous avez échangé avec Alix, une personnalité de la téléréalité, à propos des violences policières. En faisant cela, vous cherchez à vous adresser à des populations plutôt jeunes et éloignées des médias traditionnels ?

Je n’ai pas un discours spécifique formaté pour les jeunes. Avec Alix, j’ai parlé des violences policières et des moyens d’y mettre un terme. Comme je l’aurais fait avec quelqu’un d’autre. Et elle pareil. Nos chemins se sont croisés parce que j’ai été impressionné par le courage de ses prises de positions. Et quand je réponds à un jeune de 12 ans qui me parle de politique, je lui parle exactement comme à tout le monde. Je m’efforce d’être compris. Dans le monde politique, on utilise trop souvent un langage codé. Je travaille à l’éviter. C’est une saine obligation que le public m’a imposée.

Pendant la campagne de 2017, vous avez innové avec l’hologramme par exemple. Cette fois aussi, vous allez inventer des choses ?

Bien-sûr. D’abord parce que ça m’amuse. Et mon équipe est aussi très motivée la dessus. J’ai horreur des campagnes on l’on s’ennuie. Et puis, nous avons la volonté d’être à la pointe des moyens techniques de notre temps pour diffuser des idées. Cette fois-ci, nous avons lancé un réseau social. Il s’appelle « actionpopulaire.fr ». Je ne veux pas me faire surprendre par un mauvais tour de Facebook, Twitter ou WhatsApp. Ils l’ont déjà fait, avec Podemos ou l’ancien Président de l’Equateur Rafael Correa. Ils annoncent déjà une restriction de la diffusion des messages politiques. Donc on prend nos précautions. Avec notre réseau social, nous pouvons atteindre les 200 000 personnes qui ont signé sur « Nous sommes pour ». Quand un mouvement politique a-t-il eu cette possibilité de s’adresser personnellement à chacun de ses membres instantanément à toute heure ?

Vous disiez vouloir faire une campagne en positif, centrée sur vos propositions, mais on dirait que vous avez du mal à faire autre chose qu’être dans la contestation du gouvernement. Est-ce que vous êtes partis trop tôt ?

Comment ça ? Au contraire ! On est en plein débat du programme. La vente du numéro un de la Revue sur le programme marche fort. Le fait que je me soit déclaré tôt en mettant sur la table un programme a obligé les autres à bouger. Soit ils se rapprochent de nous pour discuter des propositions. Soit ils refusent et ça fait sectaire. Mais en tout cas, chacun est obligé d’aller au bout de ses idées. La planification écologique : pour ou contre ? Et si vous êtes contre, quelle méthode alternative proposez-vous pour faire bifurquer l’économie ? Idem pour la démocratie et la 6ème République. Et ainsi de suite. Et ça marche.

Mais est-ce que les gens ont envie de parler de politique en ce moment ?

Depuis le mois de mars, je le répète : le moment que nous vivons ne met pas entre parenthèses la politique. Au contraire, les gens parlent du matin au soir du fonctionnement de l’hôpital public, de l’école, des masques, des vaccins. Ils remettent en cause la légitimité du pouvoir. C’est de la politique ! Des idées comme le pôle public du médicament ou la liberté de produire les vaccins sont écoutés. Mon premier objectif de campagne est de mettre en mouvement le million de personnes qui suivent de plus ou moins près notre famille politique. J’appelle ce secteur de la société le « parti sans murs ». Il a une capacité d’entrainement de la société qui va se prouver.

Quand vous dites qu’elle est remise en question de la légitimité du pouvoir, ça veut dire qu’il y a une colère. Comment on fait pour la transformer en mobilisation et en adhésion ?

Il faut être ceux qui savent quoi faire dans le chaos. Nous ne déclenchons pas les moments révolutionnaires. Comme disait le Libé d’une époque, « une seule étincelle peut mettre le feu à la plaine ». Sauf qu’on ne décide pas quand et comment l’étincelle s’allume. Les révolutions citoyennes n’ont pas lieu pour des raisons idéologiques. À chaque fois, un évènement fortuit se produit et conduit ensuite seulement à une remise en cause du pouvoir politique. Les peuples commencent par poser cette question à leurs dirigeants : « à quoi servez-vous si vous n’êtes pas capables de régler nos problèmes concrets » ? En France, le moment gilets jaunes a déjà été cela. La classe politique traditionnelle a été désemparée. Pas nous. Nous savions quoi faire. Nous avons une option claire à proposer : la Constituante. Le peuple décide lui-même des règles du jeu politique. L’objectif pour moi c’est d’être assimilé le plus clairement possible à mon programme. Que les gens sachent clair et net ce que fera notre gouvernement et qu’ils aient envie d’y participer. Je veux être le bulletin de vote sans face cachée.

Vous avez vu Arnaud Montebourg puis Benoît Hamon. C’était quoi le sujet de vos échanges ?

J’ai parlé du revenu universel avec Benoît Hamon et de stratégie avec Arnaud Montebourg. Je suis disponible pour échanger avec tout le monde. Je ne suis pas sectaire. J’ai proposé ma candidature quand j’ai acquis la conviction que chacun aurait son candidat. Les Verts le confirment pour les régionales : ils font des listes entre eux. Ma vie est faite. Je ne me suis pas lancé pour ma notoriété personnelle mais parce que je crois pouvoir être un point d’appui, quelque chose de stable dans la période. Je suis avant tout un programme : « L’Avenir en commun ». Je suis prêt à en parler avec qui le veut bien. Mais pour cela, il ne faut pas masquer ses idées. Le seul qui les assume clairement pour l’instant, c’est Jadot. Il veut récréer un espace au centre. Une sorte de Hollande en vert. Moi je défends la rupture écologique, économique et sociale pour entraîner la société dans le grand changement dont elle a besoin.

Vous l’avez dit, le moment est politique et beaucoup de sujets que vous avez porté sont validés par la crise : l’indépendance industrielle etc. Pourquoi ça ne se traduit pas politiquement ?

L’idée d’une rupture en profondeur avance. C’est une incubation lente. Mais n’oubliez pas l’ampleur de la débâcle idéologique que le PS a infligé aux idées de gauche. Le verdict est tombé en 2017. C’est tout récent : trois ans. Dans ma lecture de l’histoire, le cycle de notre courant politique, il commence avec Attac puis José Bové et le démontage du McDo en 1999. C’est un petit événement mais l’hirondelle annonçait le printemps : la pente s’est inversée tout doucement. En 2005, nous gagnons le référendum contre la Constitution libérale de l’Europe. Je quitte le PS en 2008 et j’assume avec les communistes dans les urnes ce nouveau récit. Les campagnes de 2012 et 2017 ont participé à construire notre audience et à la placer en tête de notre famille. Il n’y a pas de raison de désespérer. Nous aurons le dernier mot si nous restons concrets et sans concession.

L’annulation de la dette était un sujet presque tabou, aujourd’hui l’idée gagne du terrain, vous vivez ce moment comme un victoire ?

Oui. C’est une belle victoire idéologique pour nous. La dette est le talon d’Achille du capitalisme globalisé Depuis des années je dis qu’elle ne sera pas remboursée et que les sacrifices faits par les peuples en son nom sont vains. En mai dernier, j’ai déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution pour annuler la dette à la banque centrale européenne. C’est possible et cela ne spoliera aucun investisseur privé. Car la banque centrale possède dans ses coffres entre 20% et 25% de la dette française. Elle peut l’effacer ou la geler grâce au pouvoir qu’elle a sur la monnaie. Elle crée elle-même les euros en circulation. On voit à la réaction des libéraux combien ils craignent de perdre leur fétiche. La Commission européenne, le FMI, Macron se préparent déjà à un nouveau tour de vis sur les services publics et les systèmes de sécurité sociale. Plutôt Je dis : au lieu de consacrer notre énergie à cette activité absurde qu’est rembourser la dette nous pouvons l’investir dans la reconstruction écologique et le progrès humain.

De nombreuses images tournent, on voit des jeunes faire la queue pour manger pas cher, vous qui mettez toujours en avant votre expérience, vous avez déjà vu ça ?

Non, jamais. Je ne sais pas comment nommer le sentiment de révolte absolue que ça m’inspire. Dans un pays riche comme la France, un étudiant doit mendier pour manger ! Avec les députés Insoumis, on avait prévenu qu’arrivait un problème avec les jeunes précarisés. Nous avons publié en avril 2020 un plan d’urgence sociale pour les étudiants. En vain. Le déclassement du pays pour des gens comme moi, c’est insupportable. Pas à pas, ce sentiment d’abaissement du pays s’est imposé à moi. C’est à pleurer. Produire des masques, trouver un vaccin : nous n’avons même pas été capable de le faire. La finance a pillé le pays. Combien de temps les gens vont-ils se laisser faire ? Et les jeunes gens de 20 ou 25 ans ? Sans rien ni perpectives d’avenir ?

Il y a les élections dans un an et demi, on verra vers qui va la force.

Oui. Je crois aux élections et à rien d’autre. Cela va être de nouveau un bras de fer entre les trois grandes forces qui structurent l’opinion du pays. Une défaite pourrait être terrible pour nous. Une victoire totale de l’extrême-droite est possible. Mais nous pouvons gagner. J’ai dit au début de ma campagne qu’il y avait un trou de souris. Mais en vérité, cela pourrait aussi bien être un porche pour éléphant. On ne sait pas. Les révolutions citoyennes victorieuses se font souvent dans des conditions incroyables. Quelques semaines voir quelques jours avant, personne n’y croyait. Et pourtant, cela se produit. On ne peut peut prévoir les moments de bascule. Mais on peut être en revanche un point d’appui. Nous sommes prêts à gouverner.

En début de semaine, le ministre de la Santé, Olivier Veran, a reçu sa première dose du vaccin devant les caméras. C’est quand votre tour ?

Je trouve ridicule cette mise en scène sur la vaccination des importants. Dans le même temps, tant de difficultés sont rencontrées sur le terrain. Je me ferai vacciner, quand cela sera mon tour, après discussion avec mon médecin sur les différentes options. Mais pour cela, encore faut-il qu’il y ait plusieurs options. C’est pourquoi j’ai critiqué depuis le début la politique du « Pfizer sinon rien ». La bonne société m’a ri au nez quand j’ai dit qu’il fallait s’intéresser aussi au vaccin russe. Leurs préjugés idéologiques les avaient empêché de voir qu’il était efficace. Par ailleurs, je veux mettre l’accent sur un point : la question des brevets. Les Big Pharma protègent jalousement leurs droits de propriété intellectuelle et les profits qui vont avec alors que la recherche sur les vaccins anti-covid a été largement financée par les États ! À cause de leur cupidité, les vaccins ne vont pas être accessibles à tout le monde avant très longtemps. Ils sont à la fois trop chers et produits en trop petites quantités. Ça suffit. Il faut émettre des licences d’office pour mettre le vaccin à la disposition de tous. La même logique s’applique aux traitements en développement en ce moment.


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