En Grèce, juges, avocats, écrivains et militants au chevet d’un prisonnier d’extrême gauche en grève de la faim

mardi 2 mars 2021.
 

Dimitris Koufontinas, membre de l’organisation d’extrême gauche 17 Novembre, a cessé de s’alimenter le 8 janvier pour réclamer son transfert dans une prison d’Athènes, près de ses proches, comme le permet la loi. Le gouvernement conservateur refuse sa requête.

Des juges, écrivains, avocats appelant le gouvernement au « respect de l’État de droit ». Des rassemblements à Athènes réprimés en quelques minutes par des kyrielles de policiers anti-émeutes. Depuis plusieurs jours, de plus en plus de voix interpellent le gouvernement conservateur grec sur le sort du prisonnier Dimitris Koufontinas, ancien responsable de l’organisation d’extrême gauche 17 Novembre, en grève de la faim depuis 52 jours et en grève de la soif depuis le 22 février.

L’homme de 63 ans réclame son retour à la prison de Korydallos, près d’Athènes, à proximité de sa famille, ce que refuse le gouvernement conservateur. M. Koufontinas a été condamné en 2003 à 11 peines d’emprisonnement à perpétuité pour participation à 11 meurtres. Il est considéré comme le chef des opérations de l’organisation d’inspiration marxiste-léniniste 17 Novembre ou 17-N[1], ayant commis des dizaines d’attentats et tué 23 personnes entre 1975 et 2002. Parmi les cibles du groupe : des tortionnaires de la dictature des colonels (1967-1974) toujours dans la nature après sa chute, le chef d’antenne de la CIA en Grèce – les États-Unis ayant soutenu la junte – des responsables politiques ou hommes d’affaires turcs, grecs, etc.

Affiches en soutien au prisonnier Dimitris Koufontinas. © EP/Mediapart Affiches en soutien au prisonnier Dimitris Koufontinas. © EP/Mediapart

Les appels à l’exécutif grec se font d’autant plus pressants que, selon l’un de ses médecins, le détenu actuellement en soins intensifs risque de perdre la vie dans les prochains jours si rien ne change. Le bureau local du procureur de Lamia (Centre), où il se trouve, a rendu cette semaine une ordonnance exigeant la prise de toutes les mesures médicales nécessaires pour maintenir Koufontinas en vie – ce qui n’implique pas une alimentation forcée. Il serait alors le premier détenu à succomber d’une grève de la faim en Europe depuis 1981, date de la mort par inanition des prisonniers républicains irlandais, dont Bobby Sands, au Royaume-Uni.

La requête de M. Koufontinas est pourtant conforme à la loi, rappellent 1 000 avocats signataires d’une tribune. Depuis 2018, il purgeait sa peine dans une prison rurale, un lieu correctionnel où les prisonniers veillent à des tâches agricoles. Il a toutefois été transféré fin décembre dans la cellule d’une prison de haute sécurité, à Domokos (Centre).

Cette dégradation de ses conditions d’incarcération fait suite à l’adoption du projet de loi 4760/2020 du parti conservateur Nouvelle démocratie au pouvoir. Votée par le Parlement à majorité de droite fin 2020, cette loi annule pour tout prisonnier condamné pour terrorisme le placement en prison rurale, aux conditions plus souples. Concerné par la mesure, Dimitris Koufontinas réclame désormais le droit de retourner dans la prison de Korydallos où il a passé 16 ans de sa peine de 2002 à 2018, au lieu de la prison sécurisée de Domokos. Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis refuse son transfert, arguant entre autres « de raisons sanitaires » ou de l’exigence d’un « traitement privilégié » de la part du détenu à travers cette demande.

L’Union des juges et des procureurs de Grèce a appelé à plus de clémence dans l’examen de cette requête. « Nous condamnons le terrorisme, mais nous défendons l’État de droit et les droits de l’homme. La question qui se pose maintenant n’est pas la nature des crimes du détenu. La loi doit être appliquée sans distinction », précise pour sa part à Mediapart Georges Katrougalos, ancien ministre des affaires étrangères et membre du parti de gauche Syriza.

Si le gouvernement s’en défend, plusieurs partisans de la requête du prisonnier dénoncent une justice spécialisée à son encontre. Dimitris Koufontinas, qui avait par ailleurs déjà mené plusieurs grèves de la faim, « est un détenu particulier […]. Il ne bénéficie pas du traitement d’un détenu commun mais bien de celui d’un adversaire politique », assurait ainsi récemment son avocate, Ioanna Kourtovic, dans une interview sur un site de gauche. « Le projet de loi de la Nouvelle démocratie voté en décembre concernait les détenus condamnés pour terrorisme en prison rurale, or, il était le seul dans cette situation. Cela apparaît comme une vengeance de la part du gouvernement », dénonce pour sa part Anny Paparousou, avocate du barreau d’Athènes, auprès de Mediapart.

Un soupçon alimenté par le fait que parmi les victimes de l’organisation 17-N figure Pavlos Bakoyannis, le beau-frère de l’actuel premier ministre, Kyriakos Mitsotakis. En 1989, l’assassinat par balles de ce porte-parole de la droite Nouvelle démocratie, l’une des familles politiques les plus influentes de la Grèce, avait été revendiqué par des tracts laissés sur les lieux du meurtre. Étudiant en droit sous la dictature, Dimitris Koufontinas « serait lui entré dans l’organisation – qui comptait une vingtaine de membres – en 1983 et dans la clandestinité en 1985 », rappelle Christophe Chiclet, docteur en histoire du XXe siècle de l’Institut d’études politiques et ayant rédigé plusieurs essais sur le 17 Novembre. Après s’être rendu aux autorités en 2002, M. Koufontinas avait assumé la responsabilité des meurtres du groupe.

Adulé d’une part par des militants d’extrême gauche pour ses convictions, respecté même si critiqué, M. Koufontinas incarne pour d’autres un assassin sans scrupules, responsable de l’élimination de tortionnaires mais aussi de victimes collatérales moins haut placées. Le clivage autour de cette figure se ressent dans le traitement médiatique grec de l’affaire, qui varie selon les inspirations politiques. Les journaux de gauche comme le Journal des rédacteurs (Efsyn), Avghi, The Press Project couvrent chaque avancée de la grève de sa faim et appellent au respect des droits humains.

Les médias conservateurs, aux mains d’armateurs souvent proches de la Nouvelle démocratie, évoquent moins l’affaire ou insistent davantage sur les familles des victimes du 17-N. Sofia Nikolaou, secrétaire générale à la politique anticriminalité au sein du ministère de la protection du citoyen (équivalent de l’Intérieur en France), affirmait ainsi dans les colonnes du journal centriste Ta Nea : « Il est impensable […] dans une démocratie enfin mature de considérer M. Koufontinas comme une victime. Les victimes sont les pauvres Axarlian, Bakoyiannis, Perastikos, Vranopoulos et tous ceux assassinés par “Louka” – son nom de code – et son arme. »

Le 26 février, l’avocate de M. Koufontinas a par ailleurs accusé cinq chaînes de télévision grecques « d’insulter, d’obscurcir la vérité tout en cachant le fait que la seule exigence est l’application d’une loi injuste qui impose cependant son transfert à la prison de Korydallos ».

Des voix tentent aussi de s’élever dans les rues d’Athènes, confinée. Ces derniers jours, plusieurs rassemblements, non autorisés officiellement en raison de la crise sanitaire, ont réuni des centaines de personnes, le plus souvent à l’initiative de groupes d’extrême gauche ou anarchistes. Ces manifestations se sont éteintes en quelques minutes, à grands renforts de policiers anti-émeutes, d’agents à moto, de gaz lacrymogènes et parfois d’un canon à eau pour disperser la foule.


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