« La Commune de Paris est un bien commun que la République se doit de célébrer »

dimanche 28 mars 2021.
 

Alors qu’au Conseil de Paris les élus de droite se sont opposés à la célébration des 150 ans de la Commune, l’historien rappelle, dans une tribune au « Monde », l’importance du « premier pouvoir » qui s’est appuyé sur des valeurs démocratiques et sociales « qui n’ont pas pris une ride ».

Le 3 février, au Conseil de Paris, la droite parisienne a lancé un tollé contre les commémorations prévues pour les 150 ans de la Commune de Paris. Engluée dans son passé, elle persiste à dire que célébrer cet anniversaire revient à glorifier « les événements les plus violents de la Commune ».

De quoi s’agit-il, en fait ? Le 18 mars 1871, les bataillons de la garde nationale – qui participent depuis septembre 1870 à la défense de Paris [contre l’armée prussienne qui l’encercle] – s’emparent du pouvoir dans une capitale désertée par les autorités. Quelques jours plus tard, des élections désignent, à 40 % des électeurs inscrits, une majorité de républicains parmi les plus à gauche de cette période troublée. La nouvelle assemblée élue va se réunir régulièrement pendant cinquante-quatre jours : quarante-huit d’entre eux ont été occupés par la guerre civile, la plus brutale qu’ait connue Paris depuis les guerres de religion.

Pendant cette brève période, en même temps qu’elle fait la guerre, la Commune remet en marche les administrations, fait fonctionner les services publics, organise le ravitaillement et les soins aux blessés, assure la sécurité dans les rues. Dans l’esprit de la « République démocratique et sociale » que la révolution de 1848 a promue avant elle, elle met en application ce que ses responsables ont annoncé. Elle confirme le moratoire des loyers dus pendant une partie du siège de Paris, décide la restitution partielle des objets déposés au mont-de-piété, réquisitionne les logements abandonnés par leurs propriétaires après le 18 mars. Elle procède de même pour les ateliers abandonnés, dont elle veut confier la gestion aux travailleurs eux-mêmes. Elle soumet les marchés publics à des contraintes sociales strictes.

Une autre conception du « vivre-ensemble »

Elle ne fait pas que de la redistribution sociale. Elle proclame la séparation de l’Eglise et de l’Etat, abolit le système injuste de conscription militaire alors en vigueur, accepte qu’on brûle la guillotine devant la mairie du 11e arrondissement. Elle met en place un enseignement primaire et professionnel laïque et gratuit, ouvre l’enseignement professionnel aux filles, commence à mettre en cause l’ordre traditionnel de la famille. Elle cherche à changer en profondeur le rapport entre électeurs et élus, prévoit la révocabilité des élus et organise la consultation des citoyens et citoyennes pour préparer les décisions de l’assemblée communale.

Sans doctrine figée, sans même un programme achevé, la Commune a fait en quelques semaines ce que la République mettra bien du temps à décider. Elle a ouvert la voie à une autre conception du « vivre-ensemble », fondée sur l’égalité et la solidarité. Elle a enfin esquissé la possibilité d’une démocratie moins étroitement représentative, plus directement citoyenne. En bref, elle a voulu mettre concrètement en œuvre ce « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » dont le président américain Lincoln avait annoncé l’avènement quelques années plus tôt [le 19 novembre 1863, lors du discours prononcé à Gettysburg].

La République a perdu du temps

Bien sûr, la Commune n’a souvent fait que désigner une part du chemin et peu de ses décisions ont eu le temps d’être réellement appliquées. Bien sûr encore, les conditions de la guerre civile l’ont poussée à des décisions cruelles, qui ont été d’ailleurs bien loin de faire l’unanimité dans les rangs communards (décret stipulant que « toutes personnes prévenues de complicité avec le gouvernement de Versailles (…) seront les otages du peuple de Paris », suppression de journaux…). Mais, en noyant dans le sang l’expérience du printemps 1871, en recouvrant son souvenir du voile opaque et persistant de l’oubli, il n’est pas exagéré de penser que la République a perdu du temps.

« Le Paris de 1871 a connu un type de gouvernement populaire et même ouvrier, comme il n’y en a jamais eu en France auparavant, et comme il n’y en aura plus jusqu’à ce jour »

Faire de la Commune un modèle qu’il suffirait de recopier n’a pas grand sens. Notre société a changé, l’époque n’est plus la même et bien des expériences ont suivi celle de la Commune qu’il nous faut bien méditer aujourd’hui. Il reste toutefois que le Paris de 1871 a connu un type de gouvernement populaire et même ouvrier, comme il n’y en a jamais eu en France auparavant et comme il n’y en aura plus jusqu’à ce jour. Il reste que la Commune est le premier pouvoir qui ait mis au centre de son action des valeurs démocratiques et sociales qui n’ont pas pris une ride depuis 1871.

Le 29 novembre 2016, l’Assemblée nationale a adopté une résolution réhabilitant enfin les victimes de la « semaine sanglante » [qui a vu la répression des communards entre le 21 et le 28 mai 1871]. Elle ajoutait vouloir que « soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines portées par la Commune ». Elle souhaitait « que la République rende honneur et dignité à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté ». Le temps est venu de mettre en application cette résolution.

La droite parisienne s’inscrit, sans vergogne, dans la lignée du journaliste anticommunard Maxime Du Camp [1822-1894], qui justifiait la barbarie gouvernementale de la « semaine sanglante » par la nécessité d’exterminer « la postérité de Caïn ». Ce climat de guerre civile ne devrait plus être de mise de nos jours. Dans notre société déchirée, il est plus que jamais dérisoire de mettre en avant la centaine de malheureux otages exécutés pendant la Commune pour mieux occulter les milliers, voire dizaines de milliers, de communards et communardes massacrés sans pitié en mai 1871.

La République se doit de commémorer la Commune de Paris de 1871. Nul n’est tenu, en son âme et conscience, de la « célébrer ». Mais, à l’inverse, rien ne sert de délégitimer celles et ceux qui entendent le faire, sans renoncer pour autant à l’exercice de la critique. Leur nombre est considérable et leur diversité est à l’image de ce que fut la Commune : une expérience inédite, des actes innovants et une multitude de possibles à peine suggérés. Cette diversité est une richesse. Encore faut-il qu’elle ne fasse pas oublier que la Commune est… un bien commun, qui mérite que l’on se retrouve pour crier ensemble, encore et toujours, le beau cri du « Vive la Commune ! ».

Roger Martelli (Historien)


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