Présidentielle : un débat économique à côté des enjeux

samedi 25 septembre 2021.
 

Par Romaric Godin

À huit mois de l’élection, l’économie n’est guère au centre des discussions et le débat s’annonce bien moins vif qu’en 2017. L’illusion conservatrice gouverne la plupart des programmes, et un nouveau consensus néolibéral semble devoir dominer le scrutin.

Alors que la campagne pour l’élection présidentielle de 2022 commence à s’engager, un fait se dégage. La question des politiques économiques peine à s’imposer au cœur des débats, dominés par les thèmes traditionnels de la droite et de l’extrême droite : sécurité, immigration, ethno-nationalisme.

Certes, quelques candidats essaient d’imposer les thèmes économiques, comme Jean-Luc Mélenchon avec la « planification écologique », Delphine Batho lors des débats de la primaire écologique avec la décroissance ou encore Arnaud Montebourg et Xavier Bertrand avec la réindustrialisation, mais ces sujets ne s’imposent guère pour le moment comme centraux ou s’intègrent dans un certain statu quo idéologique.

De même, ce début de campagne est bien marqué par les questions de pouvoir d’achat et de salaires. Anne Hidalgo a tenté une promesse sur le salaire des professeurs et le gouvernement fait timidement pression pour augmenter les bas salaires. Mais ces agitations ne semblent pas assez sérieuses pour engager un débat de fond sur le modèle qui permettrait ces augmentations. On en reste à des slogans électoraux de surface sans réflexion d’ensemble. Et qui sont donc incapables d’engager un débat de fond sur le modèle économique.

Évidemment, l’élection est encore loin et les candidats ne sont pas tous en lice. Le cadre médiatique général, obsédé par les thèmes de l’extrême droite, joue également un rôle. Mais il n’empêche. Les deux primaires en cours, celle des écologistes comme celle de la droite classique, semblent éviter soigneusement d’aborder la question d’une vision économique globale face aux défis de l’époque.

Ce phénomène tranche avec l’élection de 2017, où les questions économiques avaient été centrales. Emmanuel Macron avait fait campagne sur la « modernisation » du pays, l’imposition des « réformes structurelles » et finalement l’achèvement en France de la contre-révolution néolibérale.

Toute sa candidature, autour de laquelle la campagne devait s’organiser, visait à répondre à cette phrase contenue dans son livre-programme Révolution : « Chaque jour, notre pays s’affaiblit de ne pas être adapté à la marche du monde. » Par « marche du monde », le futur président entendait le néolibéralisme qu’il croyait pouvoir présenter alors comme triomphant.

Face à lui, François Fillon adoptait pour se distinguer une version encore plus radicale du néolibéralisme et Jean-Luc Mélenchon assurait la position de défense de l’État-providence. Quant à Marine Le Pen, elle avait payé au prix fort, lors du débat de l’entre-deux-tours, son manque d’intérêt pour les thèmes économiques. L’élection de 2017 était d’abord une élection autour de l’approfondissement des politiques néolibérales en France.

La victoire d’Emmanuel Macron, candidat de cet approfondissement, était ambiguë puisque, au premier tour, les candidats néolibéraux n’étaient pas majoritaires. Il s’est ensuivi un durcissement autoritaire du pouvoir et les crises que l’on sait. On pouvait donc légitimement croire que 2022 serait une forme de retour sur cette ambiguïté portant sur le bilan des réformes du quinquennat et sur la sortie ou non des politiques néolibérales.

La faillite concrète des discours du passé

Il n’en est rien. Et c’est d’autant plus étonnant que la question de ces politiques et de leur pertinence ne peut que se poser. La crise sanitaire a achevé de déchirer les faux-semblants qui avaient pu être au cœur de la campagne de 2017. Les candidats néolibéraux avaient, alors, tenté de dissimuler la crise de leur modèle, engagée depuis 2008, en le présentant comme une « marche du monde » naturelle. Ce n’est désormais plus possible.

Car ce ne sont pas les politiques néolibérales qui ont permis au pays – et au monde – de traverser la crise sanitaire. Tandis que les hôpitaux ployaient sous les effets de la sévère austérité qui leur a été imposée au nom du « sérieux budgétaire » pendant dix ans, l’État devait corriger en catastrophe, mais partiellement, ce sous-investissement chronique dans son système de santé.

Cette politique du « quoi qu’il en coûte » a fait de l’État l’assureur en dernier ressort du secteur privé.

En parallèle, ce même État mettait en place un filet de sécurité inédit pour les entreprises privées au nom de la « sauvegarde de l’emploi ». Les salaires ont été payés par l’État, c’est-à-dire par la dette publique. Cette même dette a également financé une grande partie des pertes des entreprises, soit directement par des aides, soit par des prêts garantis. Cette politique du « quoi qu’il en coûte » a fait de l’État l’assureur en dernier ressort du secteur privé.

Et ce système de « socialisme de l’offre » ne se limite pas aux effets directs de la crise. Les récentes décisions gouvernementales l’ont pérennisé, à travers des « aides sectorielles » ou bien encore les « activités partielles de longue durée » (ALPD), sorte de chômage partiel quasi permanent permettant aux entreprises de transférer à l’État une partie notable de leurs coûts de production.

La crise sanitaire a montré que le capitalisme contemporain était décidément boiteux et devait désormais s’appuyer, pour poursuivre sa pénible marche, sur les deux béquilles de l’aide massive des banques centrales et des États. Difficile, dans ce cas, de promouvoir une économie « libérée de l’entrave de l’État ».

La question des politiques économiques peine à s’imposer au cœur des premiers débats de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart La question des politiques économiques peine à s’imposer au cœur des premiers débats de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022.

La crise a aussi mis en avant les faiblesses d’une économie mondialisée fondée sur un mélange du « time to market », l’adaptation permanente aux évolutions du marché, et de l’optimisation mondiale des coûts de production. Les pénuries diverses pendant et après la crise sont venues le prouver, mettant en évidence la dépendance du pays pour quasiment tout ce qui est nécessaire au bien-être de sa population. Plus question dans ce cas de vendre une « mondialisation heureuse qui crée des emplois et baisse les prix ».

À cela s’ajoute, enfin, la crise écologique qui s’accélère et dont les manifestations sont de plus en plus visibles et catastrophiques. Une crise qui rend le mode de production et de consommation actuel intenable non plus seulement à long terme, mais à court et moyen terme.

En toute logique, on pouvait donc s’attendre à ce qu’une crise de cette ampleur et la réponse étatique apportée viennent poser à plat la question de la pertinence des politiques néolibérales. Les ressorts traditionnels, et largement mobilisés en 2017, de ces politiques semblent effectivement se fracasser sur la réalité.

Comment fustiger la dette publique au nom de la « libération des énergies » lorsque cette dernière est utilisée comme substitut aux revenus privés ? Comment condamner les transferts sociaux et l’assistanat lorsque plus de 200 milliards d’euros ont été utilisés pour empêcher des faillites ? Comment évoquer une pseudo-« marche du monde » à laquelle la France serait contrainte de s’adapter alors que le consensus néolibéral mondial, déjà malade en 2017, est désormais en voie de désintégration. Les deux plus grandes puissances économiques du monde, la Chine et les États-Unis, adoptent désormais des politiques autonomes et prennent leurs distances avec la doxa néolibérale.

L’heure serait donc logiquement à une réflexion d’ensemble autour du dépassement du modèle de l’avant-2020. Comment assurer un système de santé durablement plus solide face aux risques nouveaux ? Comment sortir d’une mondialisation dont on voit les limites chaque jour ? Comment assurer une gestion de la crise écologique qui assurerait la justice sociale ? Autant de grandes questions, parmi d’autres, qui sont soigneusement évitées par le débat actuel. La prime au conservatisme

Car le débat présidentiel ne semble pas devoir s’orienter vers une réflexion d’ensemble autour d’un modèle économique post-néolibéral. Du centre-gauche à l’extrême droite, les thèmes économiques se déclinent autour d’une acceptation du rôle central des entreprises dans la transition écologique ou la relance et dans la nécessité d’une politique de soutien à l’offre.

Il s’ensuit un refus d’une réflexion profonde sur la nature du « quoi qu’il en coûte », sur la remise en cause des réformes structurelles du passé ou de la confiance globale dans les mécanismes de marché. Tandis que le RN, qui se veut désormais une « droite populaire », envisage de nouvelles baisses d’impôts, notamment sur les successions, Anne Hidalgo, candidate déclarée du PS, soutient Bernard Arnault après l’action d’Attac contre la Samaritaine « au nom de l’emploi », et l’obsession de la compétitivité reste centrale pour les défenseurs de la réindustrialisation tels que Xavier Bertrand et Arnaud Montebourg.

L’emprise du consensus néolibéral sur la politique française semble plus forte que jamais et, en tout cas, plus forte qu’en 2017.

Certes, on trouve bien des slogans ou de vagues promesses de « responsabilisation » des entreprises, de redistribution ou de hausse des salaires, mais toujours de manière isolée et sans prendre en compte que ces promesses induisent un changement plus profond qui devrait, précisément, faire l’objet d’un projet global. Et la forme principale que prend ce conservatisme est d’ailleurs le rejet-réflexe assez général de la « décroissance », considérée comme un éloge de la récession permanente et d’une aventure dangereuse.

En réalité, l’emprise du consensus néolibéral sur la politique française semble plus forte que jamais et, en tout cas, plus forte qu’en 2017. Comment expliquer un tel paradoxe ? On peut avancer quelques hypothèses. On peut y voir d’abord l’effet de la répression contre les mouvements sociaux qui, en quelque sorte, aurait affaibli et épuisé la résistance au néolibéralisme, mais il existe d’autres hypothèses.

Il en est une qui tient à la nature même de l’action de l’État dans la crise sanitaire. Certes, elle bat en brèche le discours néolibéral, mais son caractère d’urgence permet d’effacer toute objection quant au retour au « business as usual » en termes de politique économique. C’est là la vocation du mot de Bruno Le Maire : « En régime de croisière, l’État n’a pas vocation à intervenir dans l’économie. » Autrement dit, une fois la crise close, tout redevient comme avant et l’on peut reprendre discours et politiques néolibérales.

Ce discours n’est cependant pas le fruit du hasard. Il s’appuie évidemment sur le caractère profond de la crise actuelle, qui fait naître de l’instabilité et de l’incertitude. S’il est difficile d’évaluer précisément les conséquences de la crise sanitaire, on peut déjà en voir quelques éléments comme les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement, la hausse de la pauvreté et des inégalités, les hausses de prix ou encore la crainte de la reprise des faillites une fois les aides levées. Ces risques inquiètent à juste titre. Et la réponse des politiques est, comme souvent en pareil cas, de s’appuyer sur le connu et de rassurer sur la possibilité du retour en arrière.

Aussi voit-on prospérer le récit d’un capitalisme en pleine forme à la veille de la crise, vers lequel il faudrait à nouveau se diriger.

Chantage à l’emploi

Or, précisément, ce capitalisme est celui du néolibéralisme qui apparaît donc, comme par magie, comme un ancrage de stabilité. Et comme la « reprise est là », puisque après la pluie vient le beau temps, et qu’il serait donc permis de caresser l’espoir d’un retour à la normale, ceux qui insistent sur le caractère structurel de la crise et demandent de profiter de la situation pour passer à un autre modèle apparaissent comme des opposants à la stabilité et inquiètent. C’est aussi pour cette raison que le chantage à l’emploi du capital a été entièrement accepté par une large partie de l’offre politique : affronter le capital, c’est prendre un risque que l’opinion n’est pas prête à prendre, pour l’instant.

Il y a donc une prime au conservatisme économique qui n’est certainement possible que parce que l’on est en phase de sortie immédiate de crise et que l’aspect durable de cette dernière ne peut pas encore apparaître. Mais qui, sans doute, traduit aussi une réalité sociologique propre à notre pays, puisque, étrangement, même une tentative modeste mais réelle de briser le consensus comme celle de Joe Biden ne fait guère florès dans notre paysage politique. De ce point de vue, la nature des luttes sociales qui ont largement abandonné le terrain macroéconomique peut être une piste d’explication.

Encore davantage qu’après 2008, la crise du néolibéralisme renforce le néolibéralisme.

Évidemment, le président sortant et son ministre des finances jouent pleinement sur ce besoin de conservatisme qui leur permet de mettre en avant leur bilan supposé. Mais ils placent aussi les autres candidats devant un dilemme : il faut évidemment proposer autre chose, sans effrayer un corps électoral encore traumatisé par une crise sanitaire inédite. D’où le manque d’ambition des projets économiques et, partant, la focalisation du débat sur des thèmes réactionnaires visant à caresser le besoin de stabilité de l’opinion dans le sens du poil. Aussi doit-on reconnaître ce fait : pour l’instant, et encore davantage qu’après 2008, la crise du néolibéralisme renforce le néolibéralisme.

Cela arrange, au reste, tout le monde : les « centristes » ne sont jamais à l’aise avec la remise en cause de l’ordre existant et l’extrême droite peut devenir centrale dans le débat au prix d’un aggiornamento économique sous forme d’acceptation de la doxa dominante. Les débats se concentrent alors au sein d’un « bloc bourgeois » comme il a été défini par Bruno Amable et Stefano Palombarini, fortement teinté d’autoritarisme et de nationalisme.

Les habits neufs du néolibéralisme

Pour autant, les projets économiques néolibéraux qui sont avancés ne sont pas ceux de 2017. On a vu que les arguments d’alors ne sont plus guère tenables. À la différence de 2017, et malgré l’explosion de la dette publique, cette question n’est clairement pas centrale dans des projets qui, pour l’instant du moins, restent en retrait sur la question de la future austérité. Là encore, l’effet de déstabilisation induit par le souvenir de la rechute de 2011-2013 conduit sans doute à la prudence.

Même à LR, dernier bastion du néolibéralisme classique, les coupes budgétaires promises par des candidats comme Valérie Pécresse dans un entretien du 17 septembre aux Échos, paraissent bien faibles au regard du programme de François Fillon (baisse ciblée du nombre de fonctionnaires, retour à un niveau de dette de 100 % du PIB).

Si le conservatisme économique s’est élargi, il a aussi changé de forme. Et l’on retrouve ici un des éléments de force du néolibéralisme : son caractère protéiforme. Si l’on accepte l’idée que ce néolibéralisme est un mode de gestion du capitalisme et que son sous-jacent théorique n’est pas unique, mais multiple, constitué autant des apports de l’école autrichienne de Hayek et Mises, que de l’ordolibéralisme allemand ou du néokeynésianisme, alors on comprend qu’il est capable, selon les circonstances, de s’appuyer sur certaines de ses composantes pour assurer sa propre critique interne et, partant, sa pérennité.

Face à la crise, le processus est simple : il s’agit de défendre une des positions de ces composantes en critiquant le néolibéralisme comme inefficace parce que, précisément, c’est un compromis qui n’applique pas la pureté de cette position. Le tout, bien sûr, pour maintenir l’essentiel : un soutien public global au capital et à sa rentabilité. Par ailleurs, ces composantes peuvent parfois se mêler pour créer de nouvelles formes de consensus interne au néolibéralisme.

Parmi toutes ces nuances, la forme dominante semble, bien sûr, être le néokeynésianisme ou le keynésianisme de droite. Cette vision a toujours défendu une intervention de l’État pour « corriger » les imperfections du marché, mais dans un sens favorable à l’offre productive. Ce keynésianisme soutient donc les subventions et aides aux entreprises, ainsi que la baisse des impôts et les réformes du marché du travail.

Son chef de file, Olivier Blanchard, a beaucoup critiqué à partir de 2015 les politiques menées parce qu’elles n’étaient pas assez fondée sur l’action budgétaire, mais il est aussi très critique de l’ampleur du plan Biden. Grossièrement, sa doctrine peut se résumer à celle de Bruno Le Maire : laisser faire le marché par temps clair, intervenir en cas de crise. Et, d’ailleurs, le gouvernement lui a récemment demandé un rapport, signé avec Jean Tirole, qui sera le fondement du programme présidentiel.

L’intérêt de tous reste la somme des intérêts particuliers des entreprises.

Ce néokeynésianisme permet de sauvegarder l’essentiel des politiques néolibérales tout en donnant une image d’interventionnisme étatique qui, tranchant avec l’idée que la population se fait du néolibéralisme, apparaît comme une rupture. L’actuel gouvernement joue beaucoup sur cette ambiguïté, mais on la retrouve un peu partout dans l’offre politique actuelle, du PS à Xavier Bertrand en passant par Arnaud Montebourg et même au RN.

Le « retour de l’État », qui pourtant n’était jamais parti, mais avait pris une forme néolibérale, est incontournable. Concrètement, les propositions se ressemblent : l’État doit soutenir les entreprises et le secteur privé par des baisses d’impôts, des soutiens à l’investissement ou des subventions. Rien de bien différent du fameux « plan de relance » de septembre 2020, qui est une nouvelle vague de soutien aux entreprises. La logique est toujours la même : l’État paye et soutient, mais c’est le capital qui fait, décide et touche les profits. L’intérêt de tous reste la somme des intérêts particuliers des entreprises.

L’autre composante à la mode chez les politiques français, rarement revendiquée ouvertement, est l’ordolibéralisme, cette version allemande du néolibéralisme. Cette doctrine est fondée sur un cadre national, parfois européen, dans lequel l’État fixe des règles du jeu au marché, mais ne se mêle pas directement d’économie. Ce qui importe, c’est que l’ordre économique soit respecté par les acteurs. Sous sa forme historique, il s’agit de la source du mercantilisme allemand et elle s’appuie sur deux piliers : une priorité donnée aux exportations et à la compétitivité et une collaboration de classe pour satisfaire cette priorité.

Pour vendre aux Allemands cet ordolibéralisme, le ministre de l’économie et futur chancelier Ludwig Erhard avait inventé le terme d’« économie sociale de marché » où les bénéfices du marché devaient assurer le bien-être social. Ce terme a été repris depuis par le centre-gauche européen qui l’a (mal) compris en « économie de marché sociale », ce qu’elle n’a jamais été. La modération salariale allemande des années 1990-2000 le prouve.

Reste que, derrière les mots de restauration de la « souveraineté », nationale ou européenne, très présents dans les projets d’Arnaud Montebourg, de Xavier Bertrand, d’Emmanuel Macron ou encore de Marine Le Pen, on retrouve souvent, dans les faits, les recettes ordolibérales : une collaboration de classe autour de l’intérêt « national » du rétablissement de la compétitivité et un marché intérieur organisé de telle sorte qu’il soit favorable, lui aussi, à cet objectif.

C’est ce redressement, ou cette « remontada », qui permettra, en retour, une redistribution plus juste entre le capital et les travailleurs. Auparavant, il faut toutefois redresser la compétitivité grâce à l’argent de l’État et aux efforts des salariés. Ce qui, à ne pas douter, suppose de nouvelles « réformes structurelles ».

Troisième nuance de néolibéralisme, celle du néoschumpétérisme. L’idée centrale de cette doctrine, dont Philippe Aghion est le chef de file, est de concentrer l’action de l’État sur le soutien à l’innovation afin de laisser jouer la « destruction créatrice » et créer un nouvel élan de croissance durable.

Plus encore que le néokeynésianisme, c’est cette doctrine qui est au cœur du discours gouvernemental et justifie les baisses d’impôts sur le capital. Mais il peut être mobilisé ailleurs, notamment pour répondre aux incertitudes de la « croissance verte » qui deviendrait possible par la magie de l’innovation, mais aussi pour soutenir la réindustrialisation grâce à une hypothétique « montée en gamme » qui n’est pas sans rappeler les succès d’antan de l’industrie française. Cette religion de l’innovation permet de laisser espérer un avenir radieux à moindres frais, c’est-à-dire en maintenant l’essentiel de la politique actuelle de baisses d’impôts et d’incitations fiscales. Il peut même, par son étatisme modéré et sa demande de « filets de sécurité », servir de source d’inspiration à certaines formations de centre-gauche. Un rêve de statu quo, mais un réveil douloureux ?

C’est donc sans doute autour de ces trois ensembles de doctrines que le néolibéralisme français entend construire son discours « neuf » pendant la campagne électorale. Une nouveauté largement de façade. D’abord parce qu’il s’agit de justifier des politiques connues et habituelles (baisses d’impôts, baisse du coût du travail, soumission de l’État à l’intérêt du capital). Ensuite, parce que ces nouvelles synthèses prennent souvent la forme d’une nostalgie des Trente Glorieuses et du gaullisme, où, selon l’image d’Épinal, la collaboration de classe et la politique industrielle innovante assuraient la prospérité.

On comprend là encore que face à une crise profonde et structurelle, on soit tenté de chercher l’inspiration dans un passé glorieux. Mais c’est encore une fois une illusion conservatrice, qui profite à un statu quo néolibéral.

Une fois le scrutin passé, l’heure sera à la gestion des contradictions du néolibéralisme en crise.

Ce statu quo programmatique est cependant de mauvais augure quant à l’avenir des politiques économiques après l’élection de 2022. Une fois le scrutin passé, l’heure sera à la gestion des contradictions du néolibéralisme en crise. Le moment des faux-semblants et des illusions sera terminé. Soumis à une baisse constante des gains de productivité, le capitalisme contemporain ne peut guère se permettre de redistribution à grande échelle et il a un besoin constant de soutien public.

Pour assurer la pérennité de ce soutien, la seule solution sera de modifier en profondeur ce qui reste de l’État social par un rééquilibrage vers une assurance du profit « afin de sauvegarder l’emploi » au détriment de la sécurité sociale traditionnelle. La fin des cotisations maladie et chômage en 2018 et la réforme à points des retraites, déjà promise par l’exécutif, permettront cette évolution qui pourrait s’accompagner d’un nouvel affaiblissement structurel du monde du travail.

Il n’est d’ailleurs pas exclu que cette évolution soit même accélérée par un tour de vis austéritaire. Ce 15 septembre dans Les Échos, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lui-même artisan et acteur de la crise de la zone euro, rappelle que « la maîtrise – ou pas - des finances publiques, comme celle de l’endettement, seront un élément clé de différenciation entre les États européens » et annonce des propositions de réformes structurelles de sa juridiction. Et cela évidemment sans prendre en compte les risques qui s’amoncellent à l’horizon, d’une réponse trop vive des banques centrales à la poussée inflationniste en passant par l’effondrement de la bulle immobilière chinoise.

Autrement dit, derrière le conservatisme du débat économique, il n’y a rien d’autre qu’une fuite en avant d’un capitalisme néolibéral en crise profonde et permanente. Continuer à croire que des réformes, des baisses d’impôts et de l’argent public aux entreprises pourront offrir les clés d’une future prospérité est un leurre qui pourrait s’avérer cruel pour les Français. Après le rêve d’un retour à la stabilité, le réveil pourrait être brutal.


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