La démagogie sécuritaire, la participation à la manifestation réactionnaire du 19 mai et, depuis l’écriture de cet article, la demande de renvoyer dans leur pays d’origine les demandeurs d’exile déboutés, sont lourdes de conséquences, non seulement pour la campagne, mais aussi pour l’avenir — et peut-être l’existence même — du PCF.
Sous couvert d’hommage aux membres de forces de l’ordre tués au cours des semaines précédentes, la manifestation du 19 mai dernier devant l’Assemblée nationale était un rassemblement politique. Son but était de mettre en avant l’agenda idéologique et revendicatif des syndicats policiers d’extrême droite. Et c’est exactement ce qu’elle a fait.
Un mot d’ordre retiendra l’attention médiatique : « Le problème de la police, c’est la justice ! » Interviewé sur BFMTV, le 10 mai, Fabien Vanhemelryck (Alliance Police Nationale) a affirmé qu’une « grosse partie de la justice a une certaine idéologie [selon laquelle] il est interdit de mettre quelqu’un en prison ». Selon lui, la justice « favorise la crapule contre le citoyen » et défend une idéologie anti-police, au point que la France sombre dans une situation « non loin du chaos, voire de l’insurrection ». Rejoint par de nombreuses personnalités de droite et d’extrême droite, ce rassemblement, en parallèle avec les menaces de coup d’État de la part de militaires retraités et actifs, souligne la montée en puissance de tendances autoritaires et fascisantes au sein des forces de l’ordre. Encouragées par les orientations « sécuritaires » du gouvernement (d’où la participation de Gérald Darmanin), ces tendances constituent une grave menace pour la démocratie et pour la lutte contre la régression sociale.
La présence de plusieurs dirigeants du PCF, dont Fabien Roussel, a profondément choqué de nombreux militants et sympathisants – actuels et potentiels – du parti. Et pour cause. Sur tous les continents du monde, des mouvements massifs comme Black Lives Matter se lèvent contre la brutalité et le racisme au sein de la police. En France, la police est intervenue violemment contre des manifestations syndicales, pour bloquer et désagréger les cortèges, intimider, gazer et matraquer des manifestants pacifiques. Les Gilets Jaunes et les millions de personnes qui les soutenaient ont vu l’usage d’armes extrêmement dangereuses qui ont laissé des dizaines de manifestants défigurés et mutilés. Alliance, rappelons-le, approuvait sans réserve cette violence policière. Elle n’a eu de cesse d’insulter les Gilets Jaunes, les traitant de criminels et même, dans un communiqué officiel, de « sous-êtres humains ». Non, cette police n’est pas un « service public ». Ce langage n’est pas celui de simples « travailleurs en uniforme ». Il est plus proche de celui du Ku Klux Klan ou des Nazis ! Que le candidat présidentiel et d’autres dirigeants du PCF participent à une manifestation dominée par Alliance et d’autres organisations d’extrême droite est choquant. C’est une faute politique majeure, lourde de conséquences pour le parti et pour sa campagne présidentielle.
Selon le mythe « républicain », la police est au service des citoyens. Parmi ses missions, il est vrai, il y a la protection des personnes et des biens et la lutte contre la criminalité. Cependant, la police n’est pas un simple service public. Elle est un instrument de maintien de l’ordre, c’est-à-dire d’intimidation et de répression, qui protège et perpétue l’ordre capitaliste. Dans le contexte actuel, où le capitalisme signifie une régression sociale permanente, la stabilité du système et le pouvoir gouvernemental reposent de plus en plus directement sur la puissance répressive des forces de l’ordre. Macron et Darmanin ne sont pas contre la violence. C’est juste qu’ils en veulent le monopole. Des investissements massifs sont consacrés au surarmement de la police et à la surveillance, au détriment des moyens de lutte contre la criminalité et au détriment, aussi, des conditions de travail des policiers. 20 millions d’heures supplémentaires sont impayées. Et pourtant l’argent ne manque pas pour acheter des drones, des véhicules blindés, des canons à eau et tout un arsenal d’armes intermédiaires.
Le fait d’avoir apporté une caution morale et politique à un tel rassemblement réactionnaire est grave. Mais il y a aussi la question des revendications que défend le candidat du PCF en ce qui concerne la justice et celle du rôle social qu’il attribue à la police et à l’armée. Disons d’abord que, contrairement à ce que certains prétendent, la sécurité ne doit pas être considérée comme un sujet « de droite », auquel la gauche ne doit pas toucher. L’insécurité – pour les femmes qui rentrent du travail le soir, pour les victimes de cambriolages, de vols, d’agressions racistes, de harcèlement sexuel, etc. – est un vrai problème de société. Et ce n’est pas parce que la droite et certains médias exagèrent ce problème à des fins politiques que le PCF devrait l’ignorer. Au contraire, le PCF doit présenter un programme sur ce sujet – mais pas n’importe lequel.
Fabien Roussel a fait le choix de faire de la sécurité l’un des thèmes principaux de sa campagne. À l’entendre, il pense pouvoir récupérer de cette façon une partie du « vote populaire ». Il réclame 30 000 agents supplémentaires pour une police de proximité. Il dénonce le laxisme de la justice. Il exige une politique de répression plus ferme contre la délinquance, une peine de 30 ans de sûreté carcérale pour l’assassinat de fonctionnaires de police et autres « détenteurs d’autorité ». Il veut élargir le champ d’application des « circonstances aggravantes » aux auteurs d’agressions contre d’autres corps de métiers représentant eux aussi « l’autorité », comme ceux des pompiers et des enseignants.
Ces revendications, qui sont loin de faire l’unanimité chez les communistes, n’ont jamais, à notre connaissance, été sérieusement discutées et validées par une quelconque instance représentative du PCF. Validées ou pas, elles posent de nombreux problèmes. L’expérience précédente de la police de proximité n’était pas concluante. Elle n’a pas sérieusement modifié les rapports entre la police et la population. Dans les quartiers difficiles que Fabien Roussel évoque, la police de proximité était un échec patent. L’efficacité dissuasive de peines plus lourdes dans la prévention de meurtres n’est pas démontrée. C’est une revendication discriminatoire, qui se base sur une hiérarchisation des citoyens, sur l’idée que certaines vies valent moins que d’autres. Le PCF lutte contre les inégalités, et voilà que son candidat se déclare pour une inégalité de traitement pénal selon que les victimes d’agression aient « de l’autorité » ou pas. Le meurtre d’une caissière de supermarché est-il moins grave qu’un meurtre de policier, juste parce qu’elle ne détient pas « de l’autorité » ? C’est une idée aussi absurde que réactionnaire, qui n’a rien à faire dans le programme du PCF.
Vouloir des sanctions plus lourdes pour ceux qui agressent les « détenteurs d’autorité » soulève d’autres problèmes. Que fait-on si les agresseurs des pompiers sont des policiers ? Plusieurs confrontations violentes entre les forces de l’ordre et les pompiers ont déjà eu lieu [voir les vidéos ici et ici]. Or, le policier qui matraque un pompier, qui utilise contre lui des engins explosifs, des gaz, etc., ne sera pas dérangé par la justice. Il ne fait que son travail de « service public », après tout ! En revanche, le pompier qui se défend risque une condamnation avec circonstances aggravantes ! Sous le régime actuel, il y a violence et violence. La loi « républicaine » n’est pas pareille pour tout le monde. La violence infligée par les « autorités » est légale mais illégitime de notre point de vue. À l’inverse, une violence illégale, mais légitime est parfois nécessaire pour se défendre contre les attaques de la police. Et s’il y a bien un problème de laxisme dans la réponse pénale à la criminalité, c’est surtout à l’égard des crimes de capitalistes et de politiciens corrompus. Si on est riche et puissant, on ne risque pas grand-chose. Il y a aussi du laxisme à l’égard des brutalités fréquentes et parfois mortelles de la part de policiers.
Voici le texte intégral d’un communiqué publié par la CGT de la Préfecture de Police de Paris, deux jours après la manifestation du 19 mai.
« Non, toute la CGT du Ministère de l’intérieur n’a pas appelé à se joindre au rassemblement « citoyen » organisé ce 19 mai, en soutien à la police républicaine.
Il ne nous appartient pas de commenter les appels à y participer, y compris par le syndicat CGT Intérieur-Police. Cependant et afin d’éviter tout amalgame, nous souhaitons succinctement expliquer notre position. Bien évidemment, en tant qu’organisation syndicale et nous dirions même simplement en tant qu’êtres humains, nous compatissons sincèrement avec les familles des victimes de collègues morts dans l’exercice de leurs missions. Il ne sera jamais acceptable pour la CGT de mourir au travail. C’est vrai pour les 11 policiers et gendarmes concernés par cet événement tragique en 2020, d’après les chiffres officiels, mais également pour les 176 morts d’accident du travail rien que dans le secteur du BTP en 2019. Pourquoi cette comparaison ? Parce que pour la CGT Préfecture de Police, la vie d’un salarié à la même valeur quel que soit son secteur d’activité. Mais alors nous direz-vous, pourquoi un gouvernement si prompt à rendre hommage aux policiers morts victimes de leurs devoirs, à grand renfort de déclarations et de « larmes de crocodile », et parallèlement si muet sur les autres secteurs ? D’ailleurs, n’est-ce pas ce même gouvernement, certes dans la continuité des politiques menées depuis des décennies, qui continue à détruire le Code du travail protecteur pour les salariés avec notamment en point d’orgue la suppression des CHSCT ? Pourquoi un ministre présent dans un rassemblement syndical, une première dans l’histoire de la république, accompagné d’un préfet de Police devenu symbole de la répression contre les mouvements sociaux ? Sincère compassion ou récupération politique intéressée ?
Car oui, en termes de récupération, ce rassemblement du 19 mai a été le théâtre de tous les « excès ». Il ne manquait quasiment aucun parti. Alors peut-être que les motivations de certains étaient sincères…mais tout de même, ouvrons les yeux !!!!
Un appel à un rassemblement « citoyen » pour soutenir la « police républicaine » à l’initiative des syndicats représentatifs dans le secteur. Très jolie formulation sur le papier, mais qui ne résiste pas au poids de la réalité. Des syndicats de police « républicains », qui n’ont eu de cesse de critiquer et attaquer la justice, rompant une fois de plus avec le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs dans la république ? Des demandes de durcissement des peines à destination des auteurs d’attaques de policiers, avec notamment l’instauration de peines plancher alors même que déjà testées ces principes n’ont aucunement réduit les exactions ? Quels sont finalement les véritables objectifs de ces organisations ? L’instauration d’une police ayant tout pouvoir, intouchable, au service des plus puissants ? Sont-ils aussi aveugles pour nier la subjectivité et l’homogénéité de la police permettant ainsi la légitimation de tous les dérapages ? Que doivent comprendre les dizaines de milliers de citoyens gazés, blessés, morts lors de contrôle ou de manifestation du fait même des interventions policières ? Ce sont cela les valeurs « républicaines » défendues par ces syndicats ? Les médias mainstream s’étonnaient hier d’avoir finalement vu peu de citoyens lors du rassemblement, arguant que les Parisiens avaient préféré la réouverture des terrasses au soutien de leur police. Il se pourrait que la police, devenue une force autonome et non contrôlée, ait creusé un fossé d’incompréhension avec une large partie de la société, notamment au sein des couches populaires. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ! Ces médias nous croient atteints du syndrome de Stockholm ?
Alors bien évidemment, pour la CGT Préfecture de Police le niveau de conscience actuel de l’humanité nécessite le maintien d’une police pour protéger les plus faibles, comme un tiers nécessaire. Nous sommes loin de pouvoir tous individuellement nous autolimiter, condition sine qua non à la suppression de toute force de police. Pour autant, la montée en puissance de cette institution dotée de prérogatives excessives peut devenir un danger pour la démocratie et le mouvement social dans son ensemble. C’est la raison pour laquelle, nous ne saurions partager la vision manichéenne et corporatiste de ces syndicats policiers et prétendons défendre encore une analyse éclairée et raisonnée sur des missions de la police assujetties à une éthique de service public et sur une place démocratiquement maîtrisée de cette institution dans la société.
Analyser la violence que sous le prisme des idéologies sécuritaires, c’est vouloir effacer des symptômes sans s’attaquer à la maladie. Car la première violence subie par nombre de citoyens, c’est bien la violence sociale résultant des politiques libérales mises en œuvre depuis des décennies. Bien entendu il existera à ce stade toujours des voyous et brigands, mais n’oublions jamais que l’augmentation des violences et du climat d’insécurité prospère sur le terreau de la misère sociale. Ainsi défendre une police qui jusque à preuve du contraire participe activement à défendre les intérêts particuliers des classes dominantes contre le reste de la société, lors des mouvements sociaux sans analyse ni autocritique, c’est faire le choix de justifier la répression.
L’article R 434-14 du code de sécurité intérieure de la police nationale dispose que la police est au service de la population. Gageons que le soutien populaire tant demandé prendra forme lorsque cet article deviendra réalité. »
Cette déclaration est parfaitement limpide. Personne ne pourrait accuser la CGT Préfecture de Paris de ne pas être solidaire ou de manquer de compassion envers les familles des policiers assassinés. Mais le texte expose l’idéologie réactionnaire derrière la manifestation et explique clairement pourquoi la CGT Préfecture de Paris ne voulait pas s’y associer. Si, utilisant des arguments similaires, Fabien Roussel et la direction du parti avaient refusé de participer à ce carnaval réactionnaire, pratiquement personne ni dans le parti ni dans son électorat potentiel n’aurait contesté sa décision. Sa participation au rassemblement était une faute grave. Il vaut mieux le reconnaître comme tel et corriger le tir. Le PCF dans son ensemble n’est pas en cause ici. Fabien Roussel et les autres dirigeants du parti ont décidé eux-mêmes de participer au rassemblement. À l’avenir, aucun dirigeant ne devrait jamais, sous aucun prétexte, s’associer à une manifestation de droite ou d’extrême droite, que ce soit dans le milieu policier ou ailleurs. On manifeste contre la droite, pas avec elle.
Certains propos de Fabien Roussel concernant les forces de l’ordre portent gravement atteinte à l’héritage théorique du mouvement communiste. Le rôle de la police et de l’armée dans la société capitaliste occupe une place centrale dans les écrits et l’action politique de Marx et Engels, surtout après l’expérience de la Commune de Paris, dont nous venons de fêter le 150e anniversaire. Leur théorie de l’État constitue l’une des pierres angulaires de l’idéologie communiste. Dans son entretien télévisé avec Jean-Jacques Bourdin, (11 mai 2021) Fabien Roussel déclare : « C’est quand même la police et l’armée, le dernier rempart pour assurer la cohésion de la nation ». Ceci n’est pas vrai et n’a jamais été vrai. Qui a massacré les Communards ? Quel était le rôle de la police sous Vichy ? Que dire de la répression sanglante des grèves d’après-guerre, du coup d’État militaire de 1958, de la violence policière en 1968 ? Et aujourd’hui encore, les forces de l’ordre n’hésitent pas à brutaliser, gazer et mutiler des syndicalistes ou des jeunes en lutte.
L’analyse de l’origine et de la fonction sociale des « détachements armés » de l’État constitue l’un des piliers de la théorie révolutionnaire marxiste. Ceci ne doit rien au hasard. Aucune classe dirigeante n’a jamais cédé sa place aux forces sociales qui s’y opposent sans recourir – ou du moins tenter de recourir – à la violence. Dans le Manifeste Communiste de 1848, Marx et Engels n’abordent pas cette question directement, mais après l’expérience des révolutions européennes de cette année-là et surtout l’expérience de la défaite de la Commune de Paris, l’attitude du mouvement ouvrier envers la question de la police et l’armée se trouvait au cœur de leur pensée politique. Leurs conclusions sont présentées dans La Guerre civile en France (notamment dans la préface rédigée par Engels) et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Dans ce dernier ouvrage, Engels explique que l’existence de l’appareil répressif étatique « est l’aveu que cette société s’empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’"ordre" ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État. »
Pour Marx et Engels, donc, l’armée et la police n’ont pas pour rôle de concilier les classes en conflit, mais seulement de maintenir ce conflit dans les limites de l’ordre social existant et empêcher le renversement de ce dernier. L’armée et la police sont des organismes de domination de classe, d’oppression d’une classe par une autre. Elles constituent un rempart non pas de la « cohésion sociale » comme l’imagine Fabien Roussel, mais de l’ordre social existant, du système capitaliste.
Ajoutons que la cohésion nationale n’est sûrement pas un objectif communiste. Comment peut-il y avoir « cohésion » entre exploiteurs et exploités ? Les capitalistes, Macron, Le Pen, tous font partie de la nation. La nation est divisée en classes et nous, les communistes, nous sommes partisans, non pas de la cohésion nationale, mais de la lutte des classes. Notons aussi, à propos de cette « nation » qu’évoque Fabien Roussel dans pratiquement toutes ses interventions, qu’un nombre considérable de travailleurs en France n’en font pas partie. Plutôt que de parler en termes de nationalité, parlons en termes de classes.
Les policiers sont-ils donc nos ennemis, à traiter comme tels ? Ou alors sont-ils nos alliés, de simples « fonctionnaires » ou « travailleurs en uniforme » ? Que doivent être notre attitude et notre politique envers les policiers de base et leurs conditions de travail ?
Plusieurs sondages indiquent qu’une très large majorité de policiers sont de droite et que 40-50% envisagent de voter RN. Cependant, le simple fait que des fonctionnaires de police votent pour Macron ou même pour Le Pen ne signifie pas pour autant qu’ils sont irrémédiablement réactionnaires. Nous ne devons pas les considérer d’emblée comme des ennemis. Traiter tous les policiers de fascistes ou de racistes n’est sûrement pas la meilleure façon de les convaincre de rejoindre la lutte contre le capitalisme. À l’inverse, se déclarer « solidaires des forces de l’ordre » ou affirmer « comprendre la colère des policiers », à la manière de Fabien Roussel, est une approche tout aussi calamiteuse, parce qu’elle ignore – ou fait semblant d’ignorer – l’existence au sein de la police d’un puissant courant autoritaire et réactionnaire, se rattachant historiquement aux ligues fascistes des années 30, au pétainisme et à la police gaulliste. N’oublions pas que de Gaulle avait mis au point une opération policière, pendant les événements de mai 1968, pour arrêter en pleine nuit et regrouper dans des stades des milliers de délégués syndicaux, militants communistes et autres « gauchistes ». L’opération a été annulée à la dernière minute. Mais le fait qu’elle ait existé en dit long sur le rôle de la police, qui n’a rien à voir avec la cohésion sociale. Les mots d’ordre et les discours qui dominaient la manifestation du 19 mai 2021 l’inscrivent indiscutablement dans cette tradition policière fascisante.
Certes, les policiers ne sont pas tous des réactionnaires convaincus. Mais il y en a beaucoup qui le sont. Quand ils se lancent à bâtons rompus sur des manifestants pacifiques, quand ils aspergent de gaz des infirmiers ou aident un Alexandre Benalla venu agresser gratuitement des citoyens, ils n’ont pas l’air de le faire à contrecœur. On ne peut pas mettre tous les comportements des forces de l’ordre sur le compte des seules décisions de la hiérarchie policière et gouvernementale. Cependant, évitons également de les mettre tous dans le même sac. Une approche programmatique révolutionnaire doit servir à séparer aussi radicalement que possible les éléments réactionnaires de ceux qui ne le sont pas. Des périodes d’exacerbation de la lutte des classes – et nous avons des raisons de croire que nous entrerons dans une telle période prochainement – peuvent provoquer une différentiation au sein de l’armée et de la police. Le programme et la propagande des révolutionnaires doivent servir à faciliter et accélérer cette différentiation. Un programme de ce type pourrait inclure, par exemple :
En finir avec le surarmement de la police. Interdiction de LBD, canons à eau, engins explosifs, gaz, drones de surveillance, lors des manifestations syndicales, associatives, etc. Interdiction de tout usage de force contre des manifestants pacifiques. Réserver l’utilisation d’armes de guerre aux opérations de police dangereuses. Embauche de policiers en fonction des besoins réels de protection de la population. Dissolution des CRS et de tout autre corps de police spécialisé dans la répression. Interdiction des interventions de police dans l’expulsion de locataires. Interdiction des contrôles d’identité abusifs, sans rapport avec la commission d’un délit. Purger la police de tous les agents appartenant à des organisations de type fasciste. Immunité totale de tout policier refusant de suivre des ordres remettant en cause des libertés constitutionnelles. Démettre de la police les agents coupables de brutalités, dans et en dehors des commissariats. Suspension de tout agent proférant des propos racistes ou sexistes. Interdiction de l’utilisation de la police contre des grèves et l’action syndicale en générale. Suppression de l’IGPN et son remplacement par une instance indépendante de traitement des plaintes. Paiement immédiat de toutes les heures supplémentaires déjà effectuées. Stricte limitation du nombre d’heures supplémentaires autorisées. Réfection des commissariats et postes de police.
Un programme révolutionnaire doit répondre à la nécessité de réduire les capacités répressives de l’appareil policier, tendre la main aux policiers qui n’acceptent pas d’être le bras armé du gouvernement et des puissants, et purger les forces de l’ordre des éléments fascisants. Si le PCF expliquait clairement que la police, comme l’armée, n’est pas une force neutre dans la société, mais une organisation au service de l’ordre établi, il capterait l’attention d’une large couche de travailleurs et de jeunes qui, par expérience, en sont venus à la même conclusion. Cette vérité objective ne signifie pas que tous les policiers en sont pleinement conscients, mais justement, l’un des aspects les plus importants d’une politique communiste devrait être de les faire prendre conscience de comment la classe dominante et les gouvernements les utilisent comme une force d’intimidation et de répression. Aux policiers, ensuite, de choisir leur camp. Le policier a son équipement, ses ordres. Mais il a aussi son jugement, sa conscience. Ceux qui se considèrent comme étant du côté de ceux qui subissent des violences et des oppressions, qui veulent sincèrement servir et protéger la population, peuvent, du moins potentiellement, être gagnés à la cause révolutionnaire. Mais ce que nous observons actuellement va dans le sens inverse, c’est-à-dire que des représentants du PCF (et du PS, mais cela, on s’y attendait) sont prêts à faire des concessions à la droite et à l’extrême droite, en reprenant à leur compte des revendications et des idées politiques réactionnaires, dans l’espoir – complètement infondé, en l’occurrence – de pouvoir marquer des points dans les urnes. C’est une stratégie désastreuse qui explosera dans la figure non seulement du candidat du PCF, mais du parti tout entier, le coupant d’une large masse de soutiens potentiels dans la jeunesse et chez les travailleurs.
À l’heure où nous écrivons, le 19 mai était il y a un mois, déjà. Ce qui est fait est fait. Faut-il en parler encore ? Ne devrait-on pas passer à autre chose ? Ce serait une grave erreur. Partant de la vision de l’État et des options programmatiques et politiques de Fabien Roussel, force est de constater que nous ne sommes pas à l’abri d’une récidive. L’extrême droite et ses relais dans la police n’en resteront pas là. Le 19 mai était le signe de l’émergence d’un mouvement autoritaire qui gagne en audace et en virulence. La question de l’attitude du PCF se posera de nouveau. Il faut, de toute urgence, reconnaître la faute commise et changer de cap.
La cause que nous défendons – celle des libertés, de la démocratie, du progrès social, de l’abolition du capitalisme et de toutes ses oppressions – n’a pas besoin d’un énième parti qui raille contre le « laxisme », qui se range du côté de la police et menace de « répression ferme » ceux qui s’écartent du droit chemin, et surtout s’ils osent lever la main contre les « détenteurs d’autorité » ! Elle n’a pas besoin d’un « parti de l’ordre », mais au contraire, d’un parti dont le programme et l’action le positionnent clairement comme l’ennemi implacable de l’ordre établi, d’un ordre fondé sur l’exploitation et l’injustice sociale. La meilleure façon de combattre la criminalité est de mettre fin à un ordre criminel, l’ordre capitaliste, et ouvrir la voie à une société réellement démocratique dans laquelle les richesses, les capacités productives, les priorités économiques et sociales et le fonctionnement de l’État répondent aux besoins de l’ensemble de la population, et non plus à la rapacité de la classe capitaliste.
Greg Oxley PCF Paris 10
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