27 octobre 2005 : Zyed et Bouna, enfants sacrifiés de la République dans un transformateur électrique

samedi 28 octobre 2023.
 

Il y a six ans, Rokhaya Diallo exprimait toute son amertume après que le tribunal de Rennes, suivant les réquisitions du parquet, avait relaxé les deux policiers poursuivis pour la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré le 27 octobre 2005. Un texte d’une actualité encore brûlante.

« S’ils rentrent sur le site, je ne donne pas cher de leur peau. » Tels sont les mots laconiques qui ont précédé la mort de Zyed Benna, dix-sept ans, et Bouna Traoré, quinze ans. Des mots froidement prononcés par un policier conscient de leur engagement sur une voie périlleuse. Un commentaire énoncé sans être assorti d’aucune action pour prévenir un danger pourtant avéré.

Dix ans, vingt juges, et toujours le non-lieu

C’était en 2005, à Clichy-sous-Bois : trois adolescents effrayés, poursuivis par la police alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher, se sont réfugiés dans un transformateur électrique. Deux d’entre eux trouvent la mort, le troisième, Muhittin Altun, survivra avec de lourdes séquelles physiques et psychologiques. Ces décès sont à l’origine d’une vague de révoltes dans les quartiers populaires d’une ampleur nationale sans précédent.

Il faudra pourtant dix longues années pour que le procès des policiers impliqués dans la poursuite des jeunes Clichois ait lieu. Dix ans de procédure au cours desquels vingt juges examineront les dossiers sans que cela n’aboutisse. Dix ans pendant lesquels le Parquet, suivant une ligne politique aveugle, réclamera encore et encore le non-lieu.

Pendant cette décennie, alors que les familles pleurent les morts inexpliquées de leurs enfants, la carrière de ces policiers – toujours en poste – se poursuivra tranquillement au gré de promotions régulières. Aujourd’hui, c’est un mélange d’indifférence, de mensonges, d’injustices et de peurs que révèle le procès des deux policiers comparaissant pour non assistance à personne en danger.

Les mensonges et la révolte

C’est d’abord l’indifférence face à la mort certaine des adolescents pris au piège dans une centrale électrique qui saute cruellement aux yeux. Plusieurs conversations enregistrées entre les policiers démontrent qu’ils savaient où se trouvaient Zyed, Bouna et Muhittin. Alors que vingt minutes s’écoulent, aucun d’entre eux n’envisage de contacter la compagnie EDF pour couper le courant électrique. Comme si la vie des jeunes Arabes et Noirs de banlieue ne valait rien. Comme si leur mort n’était que la banale conséquence d’une énième course poursuite entre police et habitants de quartiers populaires.

La succession de mensonges ayant entouré cet événement a largement contribué à la propagation des révoltes en 2005. Comment contenir cette envie de tout casser quand Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, accuse injustement ces jeunes d’être des malfaiteurs, salissant leur mémoire et ajoutant à la douleur des familles confrontées à la cruauté d’une République à deux vitesses ?

Et que dire de la peur, cette peur qui tenaille le ventre des habitants des quartiers populaires, mus par la conscience aiguë de leur position de citoyens de seconde zone ? « Pourquoi fuir la police lorsque l’on n’a rien à ce reprocher ? » Cette interrogation, empreinte de lourds sous-entendus et de doutes quant à l’irréprochabilité des trois adolescents, montre à quel point la réalité des banlieues pauvres françaises échappe à celles et ceux qui ne voient dans la police qu’une force en charge de leur protection.

La police comme une menace

Dans certains quartiers pauvres dont les habitants sont majoritairement non-Blancs, la police est vécue comme une menace, elle fait peur. Rappelons qu’en France, lorsque l’on est perçu comme noir ou arabe, on est exposé à six à huit fois plus de risques d’être contrôlé par la police que lorsque l’on est vu comme blanc. Comment avoir confiance dans une institution quand on sait qu’elle nous discrimine systématiquement ?

Dans notre pays, où 320 morts provoquées par des policiers ont été recensées depuis le début des années 1970, certains parents avertissent leurs enfants d’un « Fais attention à la police ! » lorsque ceux-ci sortent de leur domicile. Il y a des endroits où police effraie. C’est cette peur qui a conduit Zyed et Bouna à la mort ce soir d’octobre 2005. La peur d’être arrêtés arbitrairement en ce mois de ramadan, alors que l’heure de la rupture du jeûne en famille approchait.

Nous sommes prompts à dénoncer la violence et le racisme des pratiques policières aux États-Unis, que nous dépeignons volontiers comme un pays raciste. Mais c’est en France que deux enfants innocents ont trouvé la mort parce que les policiers ont vu en eux des délinquants. Et c’est en France que, dix ans plus tard, la procureure de la République demande la relaxe des policiers dont l’inaction a conduit ces enfants à leur fin tragique.


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