« Les nouvelles idées peinent à émerger » (intervention de Francis Wurtz lors de la fête de l’Humanité)

jeudi 27 septembre 2007.
 

Le combat pour l’émancipation humaine a commencé bien avant nous. Il continuera bien après nous. Il a toujours traversé des périodes plus ou moins longues de crise. Dans ces moments-là, les anciennes idées ne suffisent plus, et les nouvelles idées peinent à émerger. Nous sommes dans une telle période. Il faut le reconnaître.

Il y a dans ces périodes des moments de rupture qui révèlent l’exigence de changement, de nouvelles réponses. L’une de ces ruptures, dont nous ne devons pas sous-estimer l’effet, s’est produite avec la chute du mur de Berlin. Avec cet événement, le communisme du 20ème siècle est devenu caduc, de même que le capitalisme du 20ème siècle a tourné la page. C’est une dialectique. Avec cette rupture, ce sont les conditions d’ensemble du combat transformateur qui ont changé, qui ont basculé jusque dans les esprits. Avant cet événement, il existait une solution de rechange au capitalisme. On pouvait l’aimer ou la haïr, mais elle existait dans les esprits. On raisonnait en fonction d’une situation où il y avait le capitalisme, et autre chose. Cette rupture a nourri, dans un premier temps, une formidable illusion : celle de la « fin de l’histoire ». On voit, aujourd’hui, ce qu’il est advenu de cette illusion. La recherche d’une autre perspective demeure bien vivante. Cela nous interpelle.

Dans cette situation, nous, militantes et militants des forces de transformation sociale, devons faire montre de détermination. Détermination à tout faire pour trouver des idées neuves, sans jamais se fermer, a priori, à aucune piste de recherche. Nous devons aussi faire preuve d’humilité, de modestie, ne pas croire qu’existerait une réponse clés en main à nos problèmes. Il n’y a pas de prêt-à-porter en la matière. Il y a un travail de fond à mener. Un travail sérieux, transparent, à l’écoute de tous ceux qui veulent la transformation sociale, qu’ils soient en France ou dans d’autres pays. Tout nous intéresse pour trouver les bonnes réponses. Il nous faut, enfin, un solide esprit de responsabilité. Faire table rase de nos acquis serait une erreur énorme, j’en suis convaincu. Nous sommes le produit d’une histoire. Il faut, je pense, « dépasser » ces acquis. C’est-à-dire intégrer ce qui reste valable, et laisser de côté ce qui ne l’est plus. Nous devons faire, je crois, ce que l’on appelait autrefois une « assimilation critique » de notre passé. Ce qui est vrai pour nous est vrai pour l’ensemble de la gauche européenne.

Pour le Parti communiste français, ce qui s’est passé à la dernière élection présidentielle est tout sauf un coup de tonnerre dans un ciel serein. Depuis plusieurs décennies, nous nous battons pour freiner ce recul. Sans stopper cette érosion de notre influence, malgré les efforts considérables que nous avons faits pour nous rénover. Nous avons renouvelé en permanence nos analyses et nos pratiques. Néanmoins, la désagrégation du pouvoir d’attraction de ce que l’on appelait le « camp socialiste », jusqu’à la crise complète, a eu de sévères répercussions sur notre propre influence. Une approche lucide de tout ce qui s’est passé durant cette période est indispensable.

Pour reprendre un concept cher à Gramsci, cela signifie-t-il que l’hégémonie culturelle est désormais du côté du capitalisme ? Le peuple français est-il désormais massivement acquis aux idées du capitalisme ? Je ne le crois absolument pas. En 1995, peu de temps après la chute du mur, un inimaginable mouvement social devenait le théâtre de l’osmose entre les grévistes et la grande majorité du peuple. Il y avait alors une ambiance extraordinaire dans notre pays. Plus récemment, la nouvelle génération s’est engagée dans la formidable bataille contre le CPE, une lutte qui rejoignait nos valeurs, pas celles du capitalisme. On peut aussi citer l’expérience inédite du référendum sur le projet de traité constitutionnel. Ce fut, au-delà de la victoire du « non », une magnifique démonstration de démocratie citoyenne, de cette maturité politique dont on fait preuve des millions de Français. Je ne crois donc absolument pas que nous soyons dos au mur.

Il existe une attente de réponses communistes modernes, même si cette attente coexiste avec un doute sur notre capacité à apporter des réponses pertinentes aux problèmes d’aujourd’hui. Pour travailler cela, il faut, à mon avis, éviter trois écueils. Le premier consisterait à conduire ce débat en vase clos. C’est impossible, car la vie continue. Les gens subissent tous les jours les effets de la politique impitoyable de la droite au pouvoir. Ils subissent aussi quotidiennement les effets de la bataille idéologique menée par la classe dirigeante. Nous devons donc mener ce débat en liaison étroite avec les luttes quotidiennes, aux côtés du mouvement social. Deuxième écueil à éviter : celui qui consiste à mettre la charrue avant les boeufs en posant, comme je l’entends déjà, la création d’un nouveau parti comme préalable. Rien ne doit être exclu de notre réflexion. Nous devons engager une exploration sans tabous et sans a priori. Mais la priorité, à mes yeux, doit être le débat de fond sur ce qui ne va pas, et ce que nous devons inventer ensemble. Enfin, troisième écueil : évitons à tout prix le risque d’un festival des ego. Laissons ce triste spectacle à d. Pour notre part, nous n’avons besoin ni d’homme ou de femme providentiels, ni de gourous, ni de maîtres à penser. Nous sommes face à un enjeu historique. Tâchons d’en prendre la mesure pour être à la hauteur. J’en suis convaincu : nous en sommes capables. »

Par Francis Wurtz, président du groupe GUE-GVN au Parlement européen.

(Partie de son intervention lors du débat sur l’Europe à la Fête de l’Huma, publié dans l’Humanité du 21.09.2007)


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