Simples « contre-pouvoirs »... ou nouvelle République ? Par Charles Arambourou (BN de PRS)

vendredi 25 août 2017.
 

Dans une tribune intitulée « L’urgence de nouveaux contre-pouvoirs » et publiée dans l’Humanité, le professeur Massias exprime un point de vue modéré, que je qualifierai de « libéral classique » (sans intention péjorative, car le libéralisme politique a contribué à notre démocratie républicaine). Est-il à la hauteur des enjeux démocratiques (donc institutionnels) actuels ? Qu’il soit permis ici de le contester, sans prétendre débattre avec un professeur de droit constitutionnel, mais en simple citoyen blanchi sous quarante ans de militantisme politique.

« Comment faire face à la nouvelle présidence et accentuer le contrôle sur les gouvernants ? » s’interroge en effet Jean-Pierre Massias. Il me semble que, dès le début, il limite ainsi sa réflexion :

- parce que la « nouvelle présidence » est une réalité déjà ancienne (en l’absence de nouvelles dispositions constitutionnelles), que la réforme du quinquennat (dont la nocivité vient d’être prouvée pour la seconde fois, mais qui n’a, à l’époque, suscité aucune critique dans la « gauche plurielle ») n’a fait qu’accentuer. Après l’effacement du Parlement, voici celui du gouvernement ;

- parce que, surtout, le « contrôle sur les gouvernants » pose au moins deux questions clés, évitées en l’occurrence : contrôle par qui ? Et le contrôle suffit-il quand il faudrait limiter ?

Ainsi, se refusant à toute évocation d’une « VIe République », le professeur Massias se limite à quelques aménagements sages à la Ve : proportionnelle à dose réduite (50 % de l’Assemblée), « pouvoir » judiciaire indépendant (avec élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, lui-même nullement remis en cause) ; inscription plus systématique dans la loi des droits constitutionnellement reconnus (opposabilité) ; développement des « contre-pouvoirs locaux ». C’est, à mon sens, non seulement insuffisant mais contre-productif pour la démocratie (dont la dimension « participative », tarte à la crème pour certains, mais question sur le fond légitime, n’est même pas évoquée).

Revenons donc aux fondamentaux de la République. Le débat sur le TCE est venu rappeler que c’est du peuple qu’émane la souveraineté : comment concrètement le réintroduire dans le « jeu institutionnel » dont il est peu à peu exclu ? Or le peuple est précisément le grand absent du point de vue de Jean-Pierre Massias. Au risque de paraître superficiel, revenons-y brièvement.

1. Quelques remises en cause sont incontournables.

D’abord la Constitution de la Ve République elle-même, dénoncée par les républicains (dont le PCF) dès 1958, le « pouvoir personnel » ayant été aggravé par la réforme de 1962 (élection du président au suffrage universel). La mécanique de « rationalisation » (égale réduction) du parlementarisme s’exerce impitoyablement : elle est suffisamment connue pour qu’on la remette en cause de fond en comble, et pas seulement au niveau de l’article 49-3.

Ensuite l’élection du président au suffrage universel - rejetée par les républicains depuis 1848, l’histoire leur ayant donné raison dès 1852 - ne doit pas rester un tabou, sous prétexte que « les Français y sont attachés ». Souveraineté illusoire que celle des grenouilles qui se choisissent un roi (le quinquennat ayant par ailleurs vidé de sens les législatives).

L’autorité (et non le « pouvoir », d’ailleurs) judiciaire mérite de son côté examen, étant observé que la magistrature ne représente guère mieux la « diversité française » que les élus (féminisation mise à part, sans doute, ce qui ne serait pas si mal). Mais Jean-Pierre Massias entend faire confiance au Conseil constitutionnel : autre vache sacrée ! Cette vénérable institution n’avait d’autre objet que de limiter les pouvoirs restant au législateur. Quelques avancées dans le domaine des libertés individuelles ne sauraient faire oublier son conformisme jurisprudentiel permanent (souvenons-nous des nationalisations de 1982 et des limitations constantes de la laïcité qu’il a opérées au fil des ans). Oui, il faut remettre en cause le Conseil constitutionnel, véritable gouvernement des juges.

2. Pas de réforme en demi-teinte !

La nécessité de la proportionnelle se manifeste de plus en plus : pourquoi la réduire à « une dose significative » ? On ne répétera jamais assez que l’impossibilité de bâtir des majorités stables sous la IVe République fut le résultat, notamment, du rejet des communistes (plus de 20 % des voix, bon an mal an), du refus de la SFIO de s’engager dans une politique d’union de la gauche, qui l’aurait mise en porte à faux avec ses choix coloniaux, atlantistes et européistes de l’époque. La question des majorités stables est donc un faux problème. Quant à celle de la présence du Front national, instrumentalisé par la gauche puis par la droite, pour le moment affaibli, se poserait-elle de la même façon dans un paysage politique où les débats de fond (et de classe) ne seraient plus étouffés par l’alternance bipartiste ?

Faut-il par ailleurs se reposer sur les « contre-pouvoirs locaux » (les collectivités décentralisées) ? Sans caricaturer ce que d’aucuns appelaient les « nouvelles féodalités », il faut convenir que les velléités d’opposition, quelle que soit leur sincérité (je n’oublie pas les régionales de 2004, ou la politique sociale du département où je réside), butent toujours sur la question des moyens financiers (le RMI assèche les finances des départements ; les régions n’ont pas de réelle capacité d’intervention économique, voir EADS, etc.). C’est par le « nerf de la guerre » qu’il faudrait commencer - mais le pacte de stabilité est là -, sans quoi toute décentralisation institutionnelle supplémentaire (Raffarin) n’est qu’un trompe-l’oeil. Difficile d’y chercher le salut de la démocratie.

Enfin, proposer comme le fait le professeur Massias la « reconnaissance institutionnelle des territoires (Pays basque, Corse, Bretagne) » (NDLA : pourquoi pas l’Occitanie ? et la Haute-Saône ?) suscite plus que des interrogations chez un républicain. Surtout quand le prétendu « centralisme jacobin » (vieux slogan girondin ?) est invoqué, alors qu’il s’agit pour l’essentiel d’une ouvre napoléonienne. Surtout quand les langues régionales viennent en conclusion. Ce n’est certes pas moi qui verrais un inconvénient (comme mon patronyme en témoigne) au développement de la langue basque pour et par ceux qui le souhaitent : en revanche l’unité et l’indivisibilité de la République ne relèvent pas de la culture, mais bel et bien du socle institutionnel de notre démocratie. Une « Europe des Régions » et des territoires serait trop conforme aux souhaits des intégristes de l’européisme, soucieux d’en finir avec les souverainetés nationales (ah, les « non » français et néerlandais !) pour qu’on se propose, par exemple, d’appliquer telle quelle la « charte des langues minoritaires ».

Non, aucune réflexion institutionnelle ne peut faire l’économie d’une « VIe République » : encore celle-ci doit-elle être autre chose qu’un slogan passe-partout... et rester une République !


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