Cinéma : Fanon le révolté

samedi 6 octobre 2007.
 

Cinéaste, Abdenour Zahzah est né en 1973 à Blida, en Algérie, où il vit toujours. « Frantz Fanon, mémoire d’asile » (2002) est son premier film. Ce documentaire, coréalisé avec le psychiatre Bachir Ridouh, dresse un portrait original de Fanon, l’intellectuel révolutionnaire, né en Martinique en 1925, affecté en tant que médecin chef à l’hôpital psychiatrique de Blida, en 1953, où il rencontre la lutte de libération algérienne.

● Pourquoi as-tu choisi de faire un film sur Fanon ?

Abdenour Zahzah - D’abord, j’aime faire des films là où j’habite, et à Blida, ce qui est important, c’est l’hôpital psychiatrique (HP). Ensuite, à la fin des années 1990, la cinémathèque a reçu le film d’Isaac Julien sur Fanon. Je n’y ai pas reconnu le Fanon que j’aimais : Fanon a été beaucoup accaparé par les intellectuels... Le Fanon qui m’intéresse, c’est l’homme concret, le Fanon qui a 26 ans quand il débarque à Blida - c’est très jeune ! -, qui avait déjà un passé militant et intellectuel (il avait déjà écrit Peau noire, Masque blanc), et qui rencontre la guerre. Il ne voulait pas venir à Blida. Il a fait ses études de psychiatrie à Saint-Alban, chez François Tosquelles, il voulait retourner en Martinique, mais il fut nommé à Blida. Il se passionna alors pour l’Algérie. Je pense que ce fut la rencontre entre un homme et un peuple : lui était révolté, et il rencontra des hommes et des femmes révoltés, comme lui. En Algérie, il a rencontré l’action révolutionnaire, chose que, je pense, il n’a pas trouvé en Martinique quand il était jeune, même s’il a fréquenté là-bas des militants comme Aimé Césaire. Mais, pour moi, Fanon, ce n’est pas seulement le révolutionnaire, c’est aussi, et peut-être surtout, le psychiatre. J’ai consulté Bachir Ridouh qui, à ce moment-là, était en train de préparer un colloque sur Fanon, c’est comme cela que le projet a mûri. Dans les années 1980, l’hôpital psychiatrique de Blida est devenu un CHU. La psychiatrie a été reléguée au fin fond de l’hôpital, pour être remplacée par des disciplines plus nobles, comme la chirurgie. Et puis, un jour, Ridouh a surpris des nettoyeurs qui allaient jeter toutes les archives de l’hôpital, y compris le journal qu’a créé Fanon, et surtout les registres d’entrée de l’HP, de suivi des patients. C’est cela qui nous a décidés à faire le film.

● Sur quels types de sources ton documentaire se fonde-t-il ?

A. Zahzah - D’abord, j’ai demandé à mon père qui étaient les anciens qui travaillaient à l’hôpital et il m’a indiqué les personnes à rencontrer. J’ai donc recueilli les témoignages des gens qui ont travaillé avec Fanon, ils étaient très rares et ils commençaient à partir. Je les ai filmés. On a travaillé à l’intérieur de l’HP. L’année suivante, j’ai filmé l’hôpital, et j’ai retrouvé des malades qui y sont depuis 50 ans et qui se souvenaient de Fanon ! Les personnes qui l’ont connu et que j’ai eu la chance de rencontrer m’ont raconté des anecdotes, qui l’ont humanisé. C’est comme cela que, dans le documentaire, l’accent est mis sur son boulot de psychiatre : Fanon a commencé à faire une sorte de révolution à l’hôpital quand il est arrivé. Il a fait ouvrir une mosquée, ce qui était une manière de faire respecter la loi française permettant la liberté de culte dans les HP. Cette loi était bafouée à Blida. Il y a également organisé des fêtes algériennes. Il avait remarqué que les malades algériens n’allaient pas au bon accueil, parce que, par exemple, on y servait de l’alcool, or cela ne correspondait pas à leur personnalité. Alors, il a ouvert un café algérien. Il a fondé un journal... Il a bousculé les pratiques thérapeutiques dans cet hôpital qui, jusque-là, pratiquait avant-tout des électrochocs.

Avec Ridouh, on a travaillé à partir des archives de l’hôpital, qui ont failli disparaître, en particulier les registres d’entrées de l’HP, de suivis des patients et les notes cliniques de Fanon, que Ridouh est en train d’éditer pour les sauver. C’est comme cela qu’on a découvert quelque chose (que je n’ai d’ailleurs pas dite dans le film) : Fanon était aussi légiste, il a pratiqué des autopsies ; cela ne colle pas trop à son image de révolutionnaire, mais cela concerne les gens qui s’intéressent au Fanon praticien.

● Le témoignage de François Maspero nous apprend que Che Guevara a lu Fanon trois ans après sa mort et la publication des Damnés de la terre, en 1961, et qu’il a alors diffusé sa pensée en Amérique du Sud ; c’est grâce à cette lecture qu’il a commencé lui-même à s’intéresser aux luttes de libération nationales africaines...

A. Zahzah - Pour ce film, je voulais interviewer des personnes qui ont connu Fanon en France : Maspero, Jean Daniel, Francis Jeanson, Jacques Charby... À l’époque, je n’ai pas eu de visa et je n’ai donc pas pu les rencontrer. Mais Maspero, que je ne connaissais pas du tout, m’a proposé de venir en Algérie. C’est lui qui a édité Fanon, il avait alors 23 ou 24 ans. Il a pris beaucoup de risques en faisant cela : à l’époque, on était en pleine guerre d’Algérie. Il ne l’a pas connu directement, mais il a échangé des lettres avec lui. Maspero est donc arrivé à Blida, et il a apporté beaucoup de choses sur la vie de Fanon. Selon lui, Fanon est devenu vraiment populaire grâce à Che Guevara et à la Révolution cubaine, et après, grâce aux Black Panthers, dans les années 1970, qui ont d’ailleurs installé leur principal bureau à Alger.

● Comment ton film a-t-il été reçu en Algérie ?

A. Zahzah - En Algérie, le nom de Fanon est connu, mais seule une minorité d’intellectuels et de psychiatres sait réellement de qui il s’agit ; et encore, les psychiatres d’un certain âge, parce que ceux qui ont 40 ans aujourd’hui ne le connaissent même pas, même ceux qui travaillent à l’hôpital qui porte son nom, l’hôpital Frantz-Fanon. En fait, on a longtemps occulté les individus en Algérie, parce qu’on a longtemps considéré que le peuple était le seul héros. C’est pourquoi les intellectuels et les militants révolutionnaires algériens sont peu connus. Les gens ne connaissent pas Fanon, comme ils ne connaissent pas Abane Ramdane, Ben Boulaïd ou même Boudiaf, qui a créé le Front de libération nationale. Boudiaf a été assassiné par quelqu’un qui ne le connaissait pas ; cela vient de cette occultation des personnalités. En fait, mon film a été très bien reçu en Algérie, les gens ont été contents de découvrir Fanon.

Propos recueillis par Myriam Paris


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