De Sarajevo à Marioupol : l’exacerbation des nationalismes européens

mercredi 27 juillet 2022.
 

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Depuis le siège de Sarajevo il y a trente ans, l’Europe semble de moins en moins en mesure d’échapper aux dynamiques nationalistes, qu’elles soient guerrières ou électorales. Trois chercheurs confrontent leurs terrains et leurs regards sur ces tectoniques à l’œuvre.

Il y a trente ans commençait le siège de Sarajevo, capitale de Bosnie-Herzégovine, qui dura quasiment quatre années et fit plus de 10 000 morts. Au début du mois de mars dernier débutait un autre siège, celui de la ville ukrainienne de Marioupol, qui dura moins de trois mois et aurait fait autour de 20 000 victimes, dont plus de 600 dans le théâtre principal de la cité portuaire, bombardé en dépit de gigantesques inscriptions en russe signalant la présence d’enfants.

Pendant les trois décennies qui séparent ces deux sièges, les nationalismes européens, qu’on aurait pu penser délégitimés et discrédités depuis la Seconde Guerre mondiale, n’ont cessé de se renforcer, selon des modalités spécifiques dans chaque pays, mais en suivant une tendance lourde.

Jusqu’à quel point les guerres constituent-elles alors des espaces de cristallisation des identités nationales et des moments d’exacerbation des nationalismes ? Dans la mesure où les signifiants flottants que sont la « nation » ou le « nationalisme » ne peuvent se saisir que dans leur rapport au projet politique qui les soutient, faut-il opérer des distinctions entre les nationalismes qui s’expriment à l’est comme à l’ouest du continent ? Et quelles sont les dynamiques propres des mouvements nationalistes, au-delà des réactions qu’ils représentent aux bouleversements technologiques, sociaux et économiques qu’ils expriment également ?

Les historien·nes et les anthropologues n’ont cessé d’analyser l’aspect construit des nations et des identités nationales. Dans son livre intitulé La Création des identités nationales. XVIIIe-XXe siècle (Le Seuil), l’historienne Anne-Marie Thiesse rappelle ainsi qu’au moment de la Révolution française, les différences entre un berger breton et un domestique cévenol étaient plus grandes qu’entre aristocrates de pays différents.

Et on peut se souvenir que le sociologue Marcel Mauss s’irritait, à propos des controverses qui eurent lieu au moment du redécoupage de l’Europe après la Première Guerre mondiale, en ces termes : « Il est presque comique de voir des faits de folklore mal connus, mal étudiés, invoqués devant la conférence de la paix comme preuves que telle ou telle nation doit s’étendre ici ou là parce qu’on y retrouve encore telle ou telle forme de maison ou tel usage bizarre. »

Mais on aura beau montrer le caractère bricolé, imaginaire ou stratégique des communautés et des identités, le besoin de se situer dans une filiation et dans un continuum temporel, de s’identifier à un « nous » par rapport à un « eux », semble de plus en plus dominer les scènes politiques et géopolitiques de l’Europe contemporaine.

Anne-Marie Thiesse, historienne et directrice de recherches au CNRS, auteure notamment de La Création des identités nationales. XVIIIe-XXe siècle (Le Seuil) ; Nicolas Lebourg, coauteur de l’ouvrage de référence Les Droites extrêmes en Europe (Le Seuil) et d’une enquête « sur les internationales fascistes et les croisés de la race blanche » intitulée Les nazis ont-ils survécu ? (Le Seuil), et Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, confrontent leurs terrains et leurs regards sur les tectoniques passées et présentes des nationalismes européens.

Cette rencontre a été filmée dans le cadre des Ateliers de la pensée du 76e festival d’Avignon.


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