Israël envoie l’armée contre sept ONG palestiniennes et provoque un tollé

mardi 30 août 2022.
 

En pleine campagne électorale, le ministre de la défense israélien a donné son feu vert à une opération militaire en Cisjordanie contre sept organisations majeures de la société civile palestinienne. Des consuls européens et des experts de l’ONU réaffirment leur soutien aux organisations ciblées.

Les soldats israéliens ont laissé un mot sur les plaques de métal qu’ils ont scellées à la place des portes qu’ils ont forcées au premières heures du jour, le jeudi 18 août 2022, à Ramallah, dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie. On y lit : « Suite au classement de [votre association] comme “illégale” le 3 novembre 2021, le commandement militaire israélien ordonne la fermeture de [vos] bureaux pour garantir la sûreté et la sécurité de la zone, des forces d’occupation israéliennes et de l’ordre public. »

Ce même jeudi à l’aube, sept organisations palestiniennes de défense des droits humains ont constaté leur fermeture arbitraire et vu leurs locaux fouillés — certains pillés et saccagés — par l’armée israélienne. Les structures ciblées ont rapporté la saisie et la détérioration de documents ou de matériel informatique, via des communiqués et une conférence de presse commune et en diffusant photos et images de leurs systèmes de vidéosurveillance sur les réseaux sociaux. Tweet de l’ONG Defense for Children International, qui publie des extraits de la bande de vidéosurveillance de ses locaux de Ramallah le jeudi 18 août. © Defence of the Children International - Palestine

Al-Haq (dont le nom signifie « le droit » en arabe), Addameer (« conscience »), le centre de recherche et de développement Bisan, l’Union des comités des femmes palestiniennes, la branche palestinienne de l’ONG internationale Defense for Children (« défense des enfants ») et l’Union des comités de travail agricole avaient été classées « terroristes » le 19 octobre 2021 par le ministre de la défense israélien, Benny Gantz. La septième organisation visée, l’Union des comités de travail de la santé, avait été interdite par Israël l’année précédente.

Le droit civil israélien ne s’appliquant pas aux Palestinien·nes de Cisjordanie, la décision du ministre avait été doublée d’une ordonnance militaire dictée par le commandement de l’armée le 3 novembre dernier. Depuis, la menace planait. Le soir du 17 août 2022, Benny Gantz a finalement donné son feu vert au commandement militaire israélien en ratifiant l’ordonnance militaire, la rendant effective.

En plus de la fermeture arbitraire des locaux, les bénévoles et les salarié·es de ces structures peuvent, désormais, être arrêté·es à tout moment en tant que « collaborateurs d’une organisation terroriste ». Une nouvelle tentative de criminalisation

Plaidant et organisant la défense des droits des prisonniers, des femmes, des enfants, des agriculteurs ou documentant les crimes de guerre et les violations du droit international depuis 1979 pour la plus ancienne (Al-Haq) — 1991 pour la plus récente (Defense for Children) —, certaines de ces organisations disposent d’un statut consultatif au Conseil économique et social des Nations unies ou du label de qualité du « corps de solidarité » de l’Union européenne. À lire aussi Benny Gantz, Yair Lapid et Naftali Bennett. Interdiction d’ONG palestiniennes : la manœuvre ratée d’Israël pour convaincre les Occidentaux 22 novembre 2021

L’inscription de ces structures sur la liste des « organisations terroristes » en Israël à l’automne a constitué une première tentative manquée de criminalisation de ces ONG vis-à-vis de leurs partenaires internationaux.

Fin décembre 2021, les six organisations avaient déposé une saisine d’urgence auprès du bureau des procédures spéciales de l’ONU et appelé à la solidarité internationale pour dénoncer leur criminalisation par Israël en impulsant une campagne intitulée « Stand With the 6 » (« soutenons les six »).

Les hashtags « #Standwiththe6 » et « #Standwiththesix » lancés en novembre dernier sur les réseaux sociaux se sont réactivés le 18 août, accompagnant les tweets et communiqués de soutien dénonçant la criminalisation des ONG palestiniennes par une myriade d’organisations nationales et internationales de défense des droits humains. La Fédération internationale pour les droits humains a tweeté son soutien aux ONG dès les premières heures de la matinée du 18 août 2022.

Du côté des institutions politiques internationales, la défiance exprimée par la France et d’autres États européens quant à la qualification israélienne d’« organisations terroristes » concernant ces ONG ainsi que celle de rapporteuses et rapporteurs spéciaux de l’ONU depuis l’automne dernier est réaffirmée.

Le Quai d’Orsay considère que « la fermeture des locaux de ces ONG et la confiscation de leurs biens à Ramallah n’est pas acceptable » et souligne que « des représentants [du] consulat général [de France] à Jérusalem ont rencontré [ce 18 août], avec plusieurs de leurs homologues européens, des membres de ces ONG afin d’avoir un échange et de marquer [leur] solidarité ».

Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, Mary Lawlor, s’est déclarée, quant à elle, « extrêmement préoccupée » par cette opération militaire qui constitue une « tentative évidente de réprimer celles et ceux qui documentent et demandent des comptes face aux violations du droit ».

Le 25 avril 2022, douze experts et rapporteurs spéciaux du Conseil des droits humains des Nations unies alertaient déjà dans un communiqué : « La communauté internationale [doit] prendre des mesures immédiates et efficaces pour protéger et soutenir les six groupes de la société civile palestinienne qui ont été désignés comme “organisations terroristes” par le gouvernement israélien en octobre 2021. »

La fermeture des locaux de ces ONG et la confiscation de leurs biens n’est pas acceptable.

Le ministère des affaires étrangères, le 18 août 2022

« Les ordonnances du commandement militaire israélien n’ont aucune conséquence sur notre légitimité qui prend racine dans notre peuple et dans le droit palestinien », a déclaré Shawan Jabarin, directeur d’Al-Haq, lors de la conférence de presse tenue l’après-midi du 18 août dans les locaux de son organisation à Ramallah, réouverts immédiatement par les militant·es.

« Il n’y a pas de justice en Palestine », résume le responsable associatif dans une interview réalisée en marge de la conférence de presse par le journaliste du média indépendant en ligne israélien +972 Magazine Oren Ziv. « Le monde doit ouvrir les yeux et regarder la réalité en face : ici c’est un État d’apartheid, un État colonial. Aujourd’hui se révèle la nature de l’occupation, une occupation illégale non pas selon les règles palestiniennes mais selon l’ONU », a argumenté le militant.

« Nous continuerons notre travail », a-t-il martelé aux côtés des autres représentant·es d’associations qui ont appelé à un renforcement de la solidarité contre la criminalisation du mouvement de défense des droits humains et du droit international en Palestine. Le premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, s’est présenté à la conférence pour apporter son soutien aux associations alors que la majorité de ces structures documentent également les atteintes aux droits humains perpétrés par l’Autorité palestinienne. Des militants accrochent une banderole barrée du slogan « Stand with the 6 » (« Soutenons les six ») sur la façade des locaux de l’ONG palestinienne Al-Haq à Ramallah, en Cisjordanie, le 18 août 2022.. © ABBAS MOMANI / AFP

« Au lieu de se défendre d’accusations délirantes de terrorisme, on devrait être en train de documenter l’assassinat de l’adolescent palestinien [Wassim Nasser Khalifa, 18 ans — ndlr] qui vient d’être tué à Naplouse, s’indigne Aseel Al-Bajeh, salariée d’Al-Haq, alors qu’elle répond en direct aux questions des internautes lors d’un live Instagram dans la soirée du 18 août. Si ce n’est pas pour Al-Haq, ce sera pour une autre plateforme, mais je continuerai à lutter pour plaider la cause palestinienne, explique la jeune femme. Ce n’est pas un boulot, c’est une partie de moi en tant que Palestinienne. »

« Fermez sept organisations, vous en trouverez sept cents nouvelles », défie Ubai Abudeh, jeune figure déterminée du Centre de recherche et de développement Bisan avant de résumer la situation en ces termes : « Nous n’avons pas d’armes, mais la crédibilité du terrain. Et elle est très puissante. » « Au-delà du droit, les choix politiques »

Pour la chargée de plaidoyer franco-palestinienne du Palestinian Institute for Public Diplomacy, Inès Abdel Razek, l’opération militaire du 18 août doit être comprise comme une décision politique : « L’ordonnance militaire existait depuis novembre, c’est sa mise à exécution qui a été décidée. Les ordonnances ne sont pas toujours ratifiées et cela montre qu’au-delà du droit, il y a des choix politiques », pointe la militante pour qui le moment est déterminé, d’abord, par le contexte préélectoral.

« Faire montre de violence à l’encontre des palestiniennes et des palestiniens est presque une condition de crédibilité lors des campagnes électorales en Israël, d’où cette ratification maintenant par Benny Gantz », analyse-t-elle, rappelant également l’offensive récente contre les habitant·es de la bande de Gaza, qui a fait 48 morts selon les Nations unies. À lire aussi Mur frontière entre Jérusalem-Est et les Territoires palestiniens. L’apartheid, révélateur de l’impunité d’Israël 7 août 2022

« Cette attaque est illégale au regard du droit international. La France, les Nations unies et l’Union européenne ont exprimé leur soutien continu mais cela n’a pas été suffisant pour protéger les organisations, car Israël se pense au-dessus des lois », pointe Inès Abdel Razek pour qui mettre fin à l’impunité d’Israël doit devenir une préoccupation majeure pour faire « cesser le déploiement et l’escalade de la violence et de la colonisation ».

Aseel Al Bajeh partage ce point de vue et considère que « l’offensive israélienne du jour n’est pas qu’une attaque contre des Palestiniennes et des Palestiniens mais bien contre toutes celles et ceux qui se battent pour le respect des droits humains et du droit international dans le monde ».

Parmi les sept structures ciblées par l’armée israélienne ce 18 août, trois font partie des ONG qui ont participé à la plainte qui a conduit à l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale (CPI), en mars 2021, sur les actions d’Israël, depuis 2014, dans les territoires palestiniens occupés.

Premier ministre de l’époque, Benyamin Netanyahou avait alors qualifié l’ouverture de l’enquête de la CPI de « pur antisémitisme », considérant qu’elle ne s’appuyait que sur « des crimes de guerre imaginaires ».

Sarah Benichou


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