« Il est là l’Arabe ! » En Moselle, une fête de village vire au lynchage

mercredi 7 septembre 2022.
 

Un mineur a été agressé après, dit-il, avoir reçu des insultes racistes lors d’une fête de village à Soucht. Une enquête a été ouverte. La victime témoigne de la violence des propos et des coups auprès de nos partenaires de Rue89 Strasbourg.

StrasbourgStrasbourg (Bas-Rhin).– Le week-end du 20 août, dans un village voisin de Meisenthal (Moselle) et frontalier du Bas-Rhin, se tenait la Souchter Kirb. Quatre jours de festivités estivales et une place de choix pour les « conscrits » de la commune, c’est-à-dire celles et ceux qui ont 18 ans dans l’année. Mais ce n’est pas des manèges, de la musique ni des danses que Amin (prénom modifié), 17 ans et habitant d’une commune voisine, se souviendra.

Le lycéen, futur étudiant en musicologie à Strasbourg, a été roué de coups dans un verger, une agression précédée par des propos ouvertement racistes.

Le lycéen témoigne auprès de Rue89 Strasbourg. Il connaît l’identité des deux jeunes adultes qui l’ont agressé : « Ce sont deux frères que je connais parce qu’ils sont souvent présents aux soirées des villages, mais [je ne les connais] pas personnellement. Le week-end précédent, à une autre fête, l’un d’eux m’a dit : “Les Arabes ce sont tous les mêmes.” Je n’avais pas réagi sur le coup. Puis vendredi et samedi soir à Soucht, ils reviennent me chercher. Je ne réponds toujours pas. »

Il poursuit : « Arrive le dimanche soir, j’étais à la fête vers 23 heures avec des copains et je suis allé chercher des amis dans un champ. Quand je suis arrivé derrière une tonnelle vers 3 heures, j’ai entendu : “Les Arabes c’est des merdes, faut tous les mettre sur des planches et les brûler.” C’était un père de famille, il était très saoul. Je suis allé le voir et le ton est monté. Un des jeunes frères qui était avec lui m’a dit “Encore toi” et “Tu fous encore la merde”, et m’a poussé. J’ai donné le premier coup, puis le père m’a mis un coup à la mâchoire. On a été séparés. »

Hache et poings américains de sortie

L’altercation aurait pu s’arrêter là, mais ce n’était que le début. Témoin de la scène, Driss (prénom modifié), un ancien camarade de classe d’Amin, fait partie de ceux qui sont intervenus pour séparer les parties :

« Ça s’est calmé quinze à vingt minutes, puis un véhicule utilitaire a déboulé dans le champ, en roulant très vite, sans faire attention aux gens. C’était le père de famille raciste avec des jeunes adultes, ils sont sortis comme des fous furieux, on voyait qu’ils ciblaient quelqu’un. C’était le chaos, des gens se sont battus, certains étaient par terre. Moi j’étais tétanisé, j’avais le sentiment que si je me trouvais sur leur chemin, j’aurais été agressé en raison de ma couleur de peau. Ils avaient une hache, mais heureusement des gens ont eu le courage de la prendre et de la lancer au loin dans la forêt. Il y avait une dizaine de personnes qui soutenaient le père et les jeunes, mais pas tous prêts à se battre, et une cinquantaine de personnes qui voulaient arrêter l’altercation et leur disaient de dégager. Les premiers sont finalement repartis. Tout le monde était en état de choc. »

Le jeune homme, qui n’est qu’une ancienne connaissance d’Amin et n’a pas passé la soirée avec lui, note aussi qu’avant cela, il y avait déjà un climat tendu sur le champ. « Vers minuit, avant qu’Amin arrive, il y avait déjà eu des personnes visées par des propos du type “Cassez-vous, vous n’êtes pas les bienvenus. Dégagez si vous êtes arabes”. »

Amin raconte l’irruption des agresseurs : « L’un des frères a pointé le flash de son téléphone sur moi et a dit “Ils sont là, il est là l’Arabe”. Je leur ai dit d’arrêter et je me suis défendu. J’ai été mis au sol et plusieurs personnes, trois ou quatre, se sont mises sur moi, j’ai été roué de coups. Je ne sais pas si j’ai reçu des coups de poing américain, mais ça a été le cas pour l’un de mes amis, qui est noir. Heureusement qu’il y avait des amis autour de moi et que des gens sont intervenus. Les agresseurs ont fini par partir. »

Trois jours d’interruption de travail et une enquête

Les urgences de Bitche (Moselle), où Amin a passé la fin de la nuit, ont délivré au néo-bachelier une interruption temporaire de travail (ITT) de trois jours. La docteure relève six blessures, notamment un hématome de 3 centimètres de long à la mâchoire, une plaie à l’index ou encore une « cervicalgie avec douleurs ». « J’avais mal au cou, j’ai dû porter une minerve », raconte le jeune homme.

Encore choqué et traumatisé, il a rendez-vous pour un suivi psychologique. « Physiquement ça va, mais psychologiquement c’est dur. Je revois ces images en boucle. » Appelés, les gendarmes de Bitche se sont rendus sur place, selon Le Républicain lorrain, mais il sont arrivés une heure et demie après la rixe qui n’a duré que quelques minutes.

Amin a porté plainte à la gendarmerie de Bitche contre les deux frères et le père de famille, lundi 21 août. Le parquet de Sarreguemines (Moselle) a confirmé à Rue89 Strasbourg qu’une enquête était ouverte, mais sans préciser si le motif raciste de l’agression était retenu.

Sur Facebook, un message signé « Tous les conscrits de 2004 » et relayé par la commune de Soucht indique « condamner ces agissements et comportements racistes qui sont le fait de cas isolés et dont nos amis ont été victimes ». Les festivités liées aux conscrits prévues le lundi soir ont été annulées et une patrouille de gendarmerie a circulé sur les lieux. La maire de Soucht, Christelle Burgun, a pu échanger avec la famille d’Amin et lui a apporté son soutien.

Contactée, Christelle Burgun ne souhaite pas commenter l’agression et dit « attendre les résultats de l’enquête, qui ne s’annonce pas si évidente que ça, afin que tous les éclaircissements soient faits ». Selon la maire élue en 2020, c’est la première fois qu’une bagarre de ce type se déroule dans sa commune.

Jean-François Gérard (Rue89 Strasbourg)


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