À l’Assemblée, la semaine de tous les revers pour le gouvernement

dimanche 23 octobre 2022.
 

Taxation des superdividendes, crédit d’impôt pour les résidents d’Ehpad, pension des veuves d’anciens combattants… Lors de l’examen du projet de loi de finances dans l’hémicycle, les oppositions, parfois alliées à une partie de la majorité, ont réussi à arracher plusieurs victoires.

Pauline Graulle

Dure semaine pour Bruno Le Maire. Sur fond de blocage dans les raffineries et alors que la marche contre la vie chère pourrait coaliser les mécontentements ce dimanche, le ministre de l’économie a vécu, à l’Assemblée nationale, une séquence budgétaire pour le moins mouvementée.

Pendant trois jours, les oppositions, parfois rejointes par une partie de la majorité, se sont alliées pour modifier un projet de loi de finances jugé « austéritaire » par la gauche, et trop dispendieux par la droite – dans tous les cas « pas à la hauteur », selon les mots de l’Insoumis Éric Coquerel, président de la commission des finances.

Mardi soir, la mise en minorité de la majorité sur huit articles de la trajectoire budgétaire avait donné le ton. Les trois jours suivants passés dans l’hémicycle ont été à l’avenant : entre sueurs froides sur les bancs des ministres et fébrilité croissante au sein de Renaissance.

Dans la nuit du mercredi 12 octobre, la gauche, le Rassemblement national (RN), Les Républicains (LR) et une partie des députés macronistes se sont ainsi associés pour faire passer, à une large majorité (227 voix), un amendement du MoDem sur la taxation des « superdividendes ».

Si l’effort demandé aux actionnaires sera en réalité modeste – le gain est estimé à 200 millions d’euros –, la pilule a été d’autant plus difficile à avaler pour l’exécutif, qui campe sur son refus de toucher aux superprofits, qu’une partie de ses troupes a activement contribué à faire passer la mesure.

Seulement 88 députés, sur les 170 que compte le groupe Renaissance, ont suivi l’avis du gouvernement. « Le centre de gravité de la majorité n’est pas raccord avec une ligne libérale », commentait quelques heures plus tard Stella Dupont, l’une des 19 députés de la majorité ayant voté pour la taxation des superdividendes. Elle se réjouit du « retour d’un Parlement qui a désormais les moyens d’influencer la politique menée ». « Il fallait envoyer le signal politique qu’il faut mieux répartir les richesses, et cet amendement n’a pas d’impact sur le budget de l’État », abondait quant à lui Lionel Causse, son collègue des Landes.

« On les a dépouillés ! »

La journée de jeudi n’a guère été plus amène pour la Macronie, qui s’est vue mise en minorité à quatre reprises. En début de matinée, l’Assemblée nationale a ainsi rétabli, là encore contre l’avis du rapporteur du budget, Jean-René Cazeneuve, l’« exit tax » créée par Nicolas Sarkozy dans la foulée de la crise financière de 2008, puis supprimée en 2018 par Emmanuel Macron. Derrière le micro, le ministre des comptes publics, Gabriel Attal, a imploré : « On cherche l’efficacité, non l’idéologie, quand il y a des choses qui s’améliorent, reconnaissez-le ! » En vain.

Main dans la main avec le président de la commission des finances, l’Insoumis Éric Coquerel, la LR Véronique Louwagie a défendu la taxe, une mesure de « bon sens » pour lutter contre l’évasion fiscale, s’offrant un tonnerre d’applaudissements des députés de la Nupes. Si la majorité a voté contre, l’alliance de LR, de la Nupes, du Rassemblement national (RN), ainsi que de près d’un tiers du MoDem, a permis de faire la bascule. Et, à dix voix près, de déclencher une standing ovation des deux côtés de l’hémicycle.

Quelques heures plus tard, nouveau psychodrame, cette fois à propos d’un amendement visant à garantir la pension de réversion des veuves d’anciens combattants décédés avant la retraite. Là encore, Gabriel Attal s’est retrouvé bien seul à défendre le statu quo, tandis qu’un vent de panique commençait de souffler sur les bancs de la majorité. « J’ai envie d’être un peu taquin : à mes collègues qui soutiennent le gouvernement, restez dans la majorité et votez pour ! », a lancé, sourire aux lèvres, Éric Coquerel.

Avec le 49-3, l’exécutif a la possibilité constitutionnelle de rejeter la totalité des amendements votés en séance. Une option néanmoins difficilement tenable.

Dont acte, après une suspension de séance et un conciliabule organisé en catastrophe avec la présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé. Gabriel Attal est revenu en séance pour rendre les armes : « Il y a une volonté commune d’avancer, on s’en remet à la sagesse de cette assemblée », a-t-il reconnu, avant que l’amendement ne soit adopté à la quasi-unanimité (moins un vote « contre »).

« On les a dépouillés ! », se réjouissait lors de la pause de midi un député insoumis, qui peinait à comprendre la stratégie d’un gouvernement refusant mordicus de lâcher du lest, en dépit d’une configuration parlementaire défavorable. Quoique le ton ait fini par changer dans l’après-midi, Bruno Le Maire se félicitant soudainement de la qualité des débats, les oppositions, galvanisées par cette matinée de coups de théâtre, ont continuer à pousser leur avantage.

L’épée de Damoclès du 49-3

Des efforts qui ont payé, avec le rejet de la mesure visant à réduire la réduction fiscale sur les dons octroyés à l’association de défense des animaux L214. Et surtout, avec l’adoption, à cinq voix près, de l’amendement porté par la socialiste Christine Pirès-Beaune (la Marcheuse Stella Dupont et l’écologiste Christine Arrighi avaient déposé des amendements identiques).

Cinq ans que la députée du PS se battait pour obtenir l’octroi d’un crédit d’impôt pour les personnes âgées les plus modestes hébergées en Ehpad, qui permettrait aux résidents de gagner jusqu’à 200 euros par mois… Après les hourras dans l’hémicycle, Christine Pirès-Beaune est apparue, les yeux humides, salle des pas perdus, accompagnée d’une Stella Dupont bien décidée à pousser auprès de Bercy afin de garantir le maintien de la mesure dans la loi.

Car la question de savoir si Bruno Le Maire conservera les modifications adoptées lors de cette première semaine dans le texte final reste entière. Théoriquement, l’utilisation du 49-3, qui pourrait intervenir en début de semaine prochaine, laisse la porte ouverte à tous les scénarios. L’exécutif a la possibilité constitutionnelle de rejeter la totalité des amendements votés en séance.

Mais plus le temps passe, plus les oppositions enchaînent les victoires, et plus il sera politiquement intenable de rejeter l’ensemble des avancées obtenues. Qui plus est dans le contexte social hautement inflammable actuel : outre la manifestation de dimanche appelée par la gauche, les syndicats CGT, FO, Solidaires, la FSU et plusieurs organisations de jeunesse ont aussi appelé à une journée de grève et de manifestations deux jours plus tard, mardi suivant.

Ces derniers jours, les députés de la Nupes n’ont eu de cesse d’interroger Gabriel Attal et Bruno Le Maire sur le sujet. « Est-ce que tous les amendements adoptés seront conservés dans la loi finale ? », a demandé le communiste Nicolas Sansu. « Qu’est-ce qu’on fait, là, si vous ne gardez rien de ce qu’on vote avec le 49–3 ? », a abondé l’Insoumise Clémentine Autain. Ils n’ont jamais obtenu de réponse.

Pauline Graulle


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