Au congrès du RN, la victoire écrasante de Bardella éclipsée par une fronde

lundi 14 novembre 2022.
 

Élu président du Rassemblement national avec près de 85 % des voix, Jordan Bardella fait déjà face à des critiques virulentes de piliers du parti qui s’inquiètent d’une « reradicalisation » du mouvement.

« Je« Je vous appelle à l’exemplarité, à la discipline et à la responsabilité. Je vous appelle à l’empathie et à l’action », a demandé, dans son discours victorieux à la Maison de la Mutualité, à Paris, samedi 5 novembre, le nouveau président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella.

Des paroles en écho au tumulte qu’affronte son parti, qui fait face cette semaine à une tempête médiatique après les propos racistes de l’un de ses députés, mais aussi à une fronde de deux anciens membres du premier cercle de Marine Le Pen.

Certes, l’eurodéputé et conseiller régional, âgé de 27 ans, bénéficie d’une victoire nette : en rassemblant 84,84 % des voix, il a terrassé son adversaire Louis Aliot, le maire de Perpignan (Pyrénées-Orientales) et premier vice-président du parti, qui ne recueille que 15,16 % des suffrages.

Mais samedi, c’est une autre image que l’on retiendra du 18e congrès du parti d’extrême droite : celle de la fronde des Héninois Steeve Briois et Bruno Bilde. À 10 heures, ils sont apparus mines fermées, relégués au milieu de la salle, eux qui furent habitués au premier rang, aux côtés de Marine Le Pen.

Pendant des années, le maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) et son bras droit ont pourtant été les tremplins, dans les Hauts-de-France, de la présidente du parti d’extrême droite. Ils ont incarné la vitrine d’un Front national « dédiabolisé », capable de conquérir des terres historiquement à gauche avec une ligne en apparence plus « sociale ».

Steeve Briois, qui fut depuis 2011 secrétaire général puis vice-président du parti, a symbolisé le succès de l’ancrage local frontiste, lui qui a minutieusement labouré les terres du bassin minier depuis les années 1990 avant de conquérir Hénin-Beaumont en 2014. Le député du Pas-de-Calais Bruno Bilde a quant à lui longtemps été le conseiller spécial très écouté de la présidente du FN. Pendant une décennie, ils ont tenu le parti.

Déjà en retrait depuis quelques mois, le tandem héninois – qui a soutenu Louis Aliot dans la campagne interne – est évincé des instances dirigeantes. Steeve Briois ne figure plus dans le bureau exécutif, la plus haute instance du parti, malgré sa quatrième place au conseil national, le « parlement » du parti, élu par les adhérents. Bruno Bilde est quant à lui écarté du bureau national.

Samedi midi, au moment de l’annonce des résultats, le maire d’Hénin-Beaumont s’est fendu d’un communiqué virulent, pour dénoncer « un début de purge contre ceux qui défendent la ligne sociale » et annoncer qu’il refusait d’être relégué au bureau national, comme le lui proposait Jordan Bardella.

Steeve Briois l’assure, il a « tiré la sonnette d’alarme sur une potentielle reradicalisation » depuis « de nombreux mois ». À l’écouter, son « éviction » serait une « sanction pour avoir voulu sensibiliser sur un phénomène que les faits confirment ». Il cite « les ronds de jambe faits à certains intégristes », les « positions droitardes » « contraires au “ni droite ni gauche” qui a prévalu pendant des décennies au Front national ». « Certaines outrances me donnent encore raison », ajoute-t-il, regrettant « que des années de dédiabolisation soient réduites à néant ».

Sur BFMTV, l’élu a enfoncé le clou, évoquant des « fous furieux qui ne sont obsédés que par l’identité », au détriment « de l’aspect social » :

Trois semaines plus tôt, c’est le vice-président Louis Aliot qui avait lancé un pavé dans la mare. Dans une tribune publiée dans L’Opinion, il dénonçait pour la première fois explicitement « les excès pratiqués par le Front national d’un autre temps », la « nostalgie radicale », les « déclarations fracassantes qui flattent simplement la nostalgie que nous pouvons avoir d’une France qui n’existe plus ». « À nous maintenant de couper le cordon d’une histoire tumultueuse et ambiguë », écrivait-il, appelant « à l’apaisement ».

Dans la foulée, celui qui fut directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen, puis coordinateur de sa campagne présidentielle en 2002, a décoré de la médaille de la ville de Perpignan Serge et Beate Klarsfeld, qui ont consacré leur vie à traquer les nazis et à lutter contre l’antisémitisme.

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À quelle « nostalgie radicale » et quelles « outrances » font-ils référence ? Au député Grégoire de Fournas, sanctionné d’une exclusion de deux semaines de l’Assemblée nationale après ses propos racistes ? Au nouveau président Jordan Bardella, qui reprend à son compte la théorie complotiste du « grand remplacement » de l’écrivain Renaud Camus, condamné pour provocation à la haine raciale ?

À Frédéric Chatillon et Axel Loustau, anciens militants du Groupe Union Défense (GUD) proches de Marine Le Pen, accusés d’antisémitisme, qui ont eu la haute main sur les finances et contrats du parti pendant près d’une décennie, et soutiennent aujourd’hui Bardella ? Au nouveau directeur général du RN, Gilles Pennelle, nommé au bureau exécutif malgré sa présence, en 2002, à un rassemblement aux côtés du groupuscule identitaire et racialiste Terre et Peuple ? À l’eurodéputé André Rougé, coopté au bureau national par Jordan Bardella en dépit, lui aussi, d’une jeunesse à graviter dans des groupuscules radicaux ?

Des divergences sur l’histoire du mouvement

Lorsqu’on pose la question aux cadres du RN, la gêne est palpable. La plupart balayent le sujet : la « radicalisation » dénoncée serait en réalité celle d’Éric Zemmour et des frontistes qui l’ont suivi ; l’engagement radical de certains cadres du RN serait de vieilles histoires, et les propos de Steeve Briois ceux d’un homme qui agirait par « déception », « aigreur », en raison d’un conflit avec Bardella, et non par désaccord « avec la ligne politique ».

Pour l’eurodéputé Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen, Steeve Briois se serait « un peu exclu de lui-même » en ne siégeant plus au bureau exécutif « depuis plus d’un an ».

La députée de Gironde Edwige Diaz, qui vient d’être nommée vice-présidente à l’implantation locale par Jordan Bardella, défend un nécessaire « renouvellement des instances ». « Il n’en demeure pas moins que nous savons ce que le parti doit à qui », dit-elle, en allusion à Steeve Briois. « On va continuer à travailler de manière soudée », promet-elle.

Sans partager les craintes de « reradicalisation » exprimées par Steeve Briois, Louis Aliot estime « dommage qu’il ne soit pas dans les instances dirigeantes du Front [sic] ». Pour le reste, il considère qu’avec Marine Le Pen, ils ont « en partie » coupé le cordon avec le passé « tumultueux » du mouvement. « Mais il reste encore un petit peu de chemin à faire », juge-t-il. Et selon lui, Jordan Bardella devra prendre ce chemin : « Il n’aura pas le choix. Toutes les mairies qu’on a gagnées depuis Hénin-Beaumont, Fréjus et Perpignan, on l’a fait sur une ligne d’équilibre. C’est rassurer les gens, rassembler les gens. Tout ce qui peut être de nature à inquiéter c’est perdant, on n’a pas le choix. »

D’autres semblent ne rien avoir à redire à l’histoire du parti. « Nous ne faisons pas partie des gens qui crachons dans la soupe. Nous assumons l’histoire de notre mouvement », tranche l’eurodéputé Jean-Lin Lacapelle, qui siège au bureau national. « Il y a eu énormément de choses tumultueuses, mais c’est une histoire assez glorieuse de gens assez courageux, honnêtes, patriotes », pense aussi l’ancien vice-président du Front national, Bruno Gollnisch, qui dit « ne rien renier » de l’histoire du parti et « ne pas partager le point de vue » de Louis Aliot.

Il est normal qu’on travaille avec quelqu’un qui partage nos idées, même si on ne les partage pas toutes.

L’eurodéputé Thierry Mariani, qui a quitté Les Républicains (LR) pour le RN en 2019 et a formellement pris sa carte « il y a deux mois », explique qu’il « conteste bien sûr » les « déclarations antisémites » qui ont pu ponctuer l’histoire du Front national, mais considère que « le RN d’aujourd’hui n’est pas le RN d’il y a vingt ans ».

Questionné sur les voix dissonantes en cette fin de campagne interne, il veut croire que « cette élection n’a pas été si mal réussie que cela ». Il estime que les Héninois sont en « conflit personnel » avec Jordan Bardella « de longue date » et juge la tribune de Louis Aliot « excessive ». « Jordan Bardella n’a pas les outrances qu’on lui prête », assure-t-il.

Quant à Frédéric Chatillon, si Mariani reconnaît qu’il est « derrière e-Politic » – l’agence qui gère la communication numérique de certain·es élu·es dont la sienne –, il considère « normal qu’on travaille avec quelqu’un qui partage nos idées, même si on ne les partage pas toutes ».

Pour Louis Aliot, qui assure n’avoir « pas utilisé » ces prestataires dans sa campagne, il faut au contraire tenir cette galaxie à distance :

Plusieurs cadres dirigeants ont évacué nos questions sur ce sujet. Après avoir esquivé plusieurs fois nos demandes – par mail puis à son arrivée à la Mutualité – Jordan Bardella finit par lancer : « Ça fait dix ans que vous faites les mêmes sujets, c’est pas chiant à force ? »

Quant au vice-président du parti, Sébastien Chenu, également vice-président de l’Assemblée nationale, il rétorque, agacé, que « Frédéric Chatillon, ça fait quinze ans qu’on ne l’a pas croisé ».

Pourtant, Chatillon était « coordinateur technique du print et du web » de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2017. Le 4 mai 2017, les deux hommes se sont d’ailleurs salués lors d’un déplacement de la candidate dans la Somme, comme en atteste cette photographie :

Également questionné sur l’engagement passé de Gilles Pennelle aux côtés d’un groupuscule racialiste, le député du Nord botte aussi en touche, excédé : « C’était il y a vingt ans ! C’est pas sérieux, vous n’êtes pas sérieux ! »

Marine Le Pen défend son bilan

Une heure avant le communiqué de Briois, à la tribune, Marine Le Pen avait demandé à ses cadres que « la cause » qu’ils défendent « dépasse [leurs] ego, [leurs] destins personnels et même [leurs] personnes ». Dans un discours en forme de bilan de sa décennie à la tête du parti, l’ancienne patronne du RN a vanté sa stratégie de « dédiabolisation ».

Elle s’est félicitée d’avoir, en onze années, réussi « la mue » du Front national en Rassemblement national, d’avoir fait « émerger une nouvelle génération », « une élite politique » qui ne viendrait selon elle « pas de l’oligarchie mais du peuple, et qui lui ressemble ».

Il a fallu se départir de certaines indulgences, moralement et donc politiquement inacceptables, des indulgences qui auraient été coupables si elles avaient été tolérées.

Marine Le Pen dans son discours

Dénonçant les « persécutions judiciaires », les « tentatives d’asphyxie » des banques, les « manipulations médiatiques » et les violences qu’aurait subies son parti au fil des années, Marine Le Pen a rendu hommage à son père qui a « péniblement défriché le chemin », tout en disant avoir tourné certaines pages.

« Ce parti avait évidemment ses défauts », « tout n’a peut-être pas été parfait », a-t-elle déclaré, en évoquant certaines « visions dépassées », « nostalgies » et une « excessive verticalité » avec lesquelles elle aurait rompu. « Il a fallu se départir de certaines indulgences, moralement et donc politiquement inacceptables, des indulgences qui auraient été coupables si elles avaient été tolérées », a-t-elle ajouté.

Assurant qu’elle « ne quitt[ait] pas la présidence » du mouvement « pour partir en vacances », elle a rappelé la ligne à tenir : « Nous ne sommes pas un peu plus que la droite, ou à la droite de la droite. Nous sommes ailleurs que la droite. »

En fin de journée, rendant hommage à Marine Le Pen, qui lui « a fait découvrir la politique », Jordan Bardella a prononcé un discours à la même tonalité. Il a promis d’être le « garant de l’unité », le « président de tous les adhérents », et a appelé les « déçus des vieux partis », « orphelins de la droite et de la gauche », à rejoindre le RN.

Sous les applaudissements, il a dénoncé une « véritable chasse à l’homme », un « procès révoltant et indigne » à l’encontre du député Grégoire de Fournas. Dans le même temps, il a demandé aux cadres du mouvement de s’écarter « des discours de division, des provocations toujours inutiles parce que souvent blessantes, de ces nostalgies anachroniques qui font de leurs tenants la caricature que nos adversaires veulent qu’ils soient ».

« Nous ne sommes qu’à une marche, à une toute petite marche du pouvoir », a-t-il assuré, promettant de donner la priorité, en interne, à la formation des élu·es, cadres et militant·es, par la création, notamment, d’une « école des cadres ».

Il s’est félicité de mettre en place « des instances renouvelées, féminisées, représentatives de tout le pays ». Les chiffres, pourtant, le démentent : au bureau national, 31 hommes siègent et quasiment moitié moins de femmes (17). Au bureau exécutif, qui compte neuf hommes, les femmes ne sont plus quatre, comme sous l’ancienne présidence, mais désormais trois.

Youmni Kezzouf, Valentine Oberti et Marine Turchi


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