Portrait de Jordan Bardella nouveau leader du RN « Grand remplacement », « GUD Connection »...

samedi 19 novembre 2022.
 

À 27 ans, il est désormais le nouveau leader du Rassemblement National (RN). Mais qui est-il ? Proche d’anciens militants du Groupe Union Défense (GUD), il reprend à son compte la théorie complotiste du « grand remplacement » de l’écrivain Renaud Camus, largement propagée par Éric Zemmour. Il est le symbole de la « re-radicalisation » du parti d’extrême droite après de longues années de dédiabolisation. Une fronde venant des partisans de la ligne « sociale » gronde depuis sa victoire au congrès du parti.

Jordan Bardella ne siège pas à l’Assemblée nationale, il est député européen. Mais comme les 89 députés RN élus en juin 2022, le nouveau leader du RN doit être démasqué. L’insoumission s’est attelée à cette tâche. Pour le dixième épisode de notre série sur les députés RN, un épisode un peu spécial. Portrait de Jordan Bardella.

Jordan Bardella travaille auprès d’un député négationniste

Une ascension fulgurante. Voilà comment pourrait se résumer l’histoire qui s’écrit entre Jordan Bardella et le RN. Le jeune Drancéen rejoint le parti d’extrême droite en 2012. Il commence sa carrière en travaillant auprès de Jean-François Jalkh, aujourd’hui député européen. Son employeur est l’auteur de propos négationnistes, il a notamment émis « des doutes sur la réalité des chambres à gaz », qualifié l’avortement de « génocide », et s’est s’attaqué à Simone Veil : « d’aucuns s’étonnent même qu’une victime de l’holocauste nazi officialise le génocide des Français à naître ». Un charmant personnage. Jordan Bardella sait bien s’entourer.

Élu conseiller régional d’Île-de-France en 2015, Jordan Bardella est propulsé porte-parole du parti entre 2017 et 2019. Tête de liste du RN aux élections européennes de 2019, il devient député européen alors que le RN obtient le plus haut score. Son succès est bien moindre aux élections régionales de 2021, mais il conserve son siège de conseiller. Il est nommé premier vice-président du RN en juillet de la même année.

Le 12 septembre 2021, en pleine campagne présidentielle, Marine Le Pen lâche les rênes du parti pour pouvoir pleinement se concentrer sur ses tâches de candidate. Jordan Bardella assure l’intérim de la présidence du parti. Le 31 août 2022, celui-ci annonce sa candidature à la présidence. Face à lui, Louis Aliot. Tenant de la ligne « sociale ». La victoire du jeune cadre est nette : il obtient 84,84% des voix. À 27 ans, il est désormais le président du parti d’extrême droite le plus connu de France, fondé par d’anciens Waffen SS : le Rassemblement National, ex Front National.

« Il envoie ce que le politiquement correct décrit comme des horreurs, et ça passe crème ! Toujours sur le même ton, le même volume, avec son côté gendre idéal… », Stéphane Ravier, sénateur RN

D’ailleurs, qui Jordan Bardella avait-il prévu de nommer porte-parole du RN s’il devenait chef du parti ? Grégoire de Fournas, ce député proche de Marine Le Pen qui a crié « retourne en Afrique ! » lorsque le député LFI Carlos Martens Bilongo interpellait le gouvernement sur les 234 personnes bloquées en mer Méditerranée sur l’Océan Viking. Grégoire de Fournas n’en était pas à sa première déclaration raciste, loin de là. À rebours de ces députés RN qui essaient de se dédiaboliser depuis des années, le député RN de Gironde tient des propos abjects, empreints d’un racisme crasse. Difficile de croire que Jordan Bardella ne connaissait pas le « dossier » de cet individu.

Le RN est un clan familial, dont les déchirures s’étalent dans le débat public. En témoigne l’embarras de Marine Le Pen face au patriarche Le Pen au début des années 2010, devenu trop encombrant. Plus récemment, on peut citer les piques envoyées par médias interposés entre Marine Le Pen et sa nièce, Marion Maréchal, partie rejoindre Zemmour en pleine campagne présidentielle.

Au RN, tout se joue en famille. Jordan Bardella l’a bien compris. Qui se rassemble, s’assemble, comme dit le dicton. Celui-ci est en couple avec l’une des petites-filles de Jean-Marie Le Pen, nièce de Marine Le Pen, Nowlenn Olivier. Sa proximité avec la famille et le fameux « QG » du domaine de Montretout lui a valu de nombreuses critiques en interne, notamment celles de « favoritisme ».

Jordan Bardella, un « gendre idéal » ? Ce sont en tout cas les mots de Stéphane Ravier, sénateur des Bouches-du-Rhône passé par Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour. « Il envoie ce que le politiquement correct décrit comme des horreurs, et ça passe crème ! Toujours sur le même ton, le même volume, avec son côté gendre idéal… », explique-t-il au Monde.

Jordan Bardella, un identitaire dangereux

L’accession de Jordan Bardella à la tête du RN a provoqué d’importants remous au sein du parti. En cause ? Les divergences entre les deux grandes lignes du RN : la ligne « sociale » et la ligne identitaire. Le mot « social » est volontairement mis entre guillemets. Le RN a montré qu’en réalité, il a choisi son camp : celui des riches.

Le parti d’extrême droite est l’allié du capital. Il vote contre la régulation des jets privés et des yachts, contre le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), contre la taxation des super-profits, contre l’imposition des multinationales, « et en même temps » contre l’augmentation du SMIC, le blocage des prix, le gel des loyers et une réforme de l’impôt sur les sociétés (IS) qui favoriserait les petites et moyennes entreprises (PME).

Au RN, certains s’inquiètent d’une re-radicalisation du parti. Steve Briois, maire d’Hénin-Beaumont et proche historique de Marine Le Pen dit avoir « tiré la sonnette d’alarme sur une potentielle re-radicalisation » depuis « de nombreux mois ». Et dénonce notamment « les ronds de jambe faits à certains intégristes », les « positions droitardes » « contraires au “ni droite ni gauche” qui a prévalu pendant des décennies au Front national ». « Certaines outrances me donnent encore raison », ajoute-t-il, regrettant « que des années de dédiabolisation soient réduites à néant ».

Trois semaines plus tôt, ce n’est autre que Louis Aliot, le vice-président du parti d’extrême droite, qui avait sortie la sulfateuse dans L’Opinion. Des propos difficilement croyables dans la bouche du numéro 2 du parti dénonçant : « les excès pratiqués par le Front national d’un autre temps », la « nostalgie radicale », les « déclarations fracassantes qui flattent simplement la nostalgie que nous pouvons avoir d’une France qui n’existe plus ». Une ambiance de fronde au RN ? En tout cas, « le RN du nord menace de faire sécession » selon Libération.

Comment Jordan Bardella qualifie-t-il Éric Zemmour pendant la campagne présidentielle ? « Un concurrent, pas un adversaire ». Tiens donc. Le ton est donné. Le jeune Drancéen a lu les livres du multirécidiviste d’extrême droite « avec gourmandise », selon Le Monde. Cela expliquerait il sa main tendue à Reconquête ! au moment des élections législatives ?

Jordan Bardella reprend à son compte la théorie complotiste du « grand remplacement » , théorisé par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus et propagée sur les plateaux télés par Éric Zemmour. Est-ce un hasard de trouver une colistière de Renaud Camus, Clara Buhl, aux côtés de Jordan Bardella lors d’un meeting à Abbeville dans la Somme le 13 mai pendant les élections européennes de 2019 (La Horde) ?

« Je n’aime pas ce mot de grand remplacement parce que je trouve qu’il n’est pas clair, c’est un slogan très intellectuel mais il pointe une réalité qui est juste. […] Je parle de culture, de religion, de l’implantation sur notre sol d’une civilisation avec qui nous ne partageons rien. », avait expliqué le nouveau président du RN. Voici les mots qu’il avait pris le temps d’écrire dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire Marianne : « un changement de peuple s’accomplit machinalement par des flux d’immigration légaux et illégaux, dans des proportions et à une vitesse inédites au regard de l’Histoire ». Marine Le Pen elle même qualifiait cette théorie nauséabonde de « vision complotiste ».

« L’immigration entraîne un changement de population, inédit dans notre histoire par sa rapidité et son ampleur. Il nous reste peu de temps pour choisir le visage qu’aura demain la France. », Jordan Bardella. Le nouveau président du RN tient des propos abjects sur l’immigration. Tout récemment, il a déclaré que « l’Ocean Viking ne pourrait pas accoster sur les côtes françaises » si le RN était au pouvoir. Au diable le droit d’asile, le droit international. Même 234 personnes coincées en mer dans des conditions abominables ne sauraient convaincre le RN de revoir ses positions contraires aux valeurs de la République dont ils se prétendent être les plus âpres défenseurs.

Certains de ses propos lui valent des mises en examen pour diffamation. Notamment lorsqu’il vomit sa haine en qualifiant la ville de Trappes de « République islamique ». Ses propos faisaient suite à la réélection d’Ali Raheb, soutien de Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle, à la mairie de la ville. « Alors que le gouvernement reste passif devant la constitution de Républiques islamiques en miniature, il est urgent d’interrompre cette conquête de nos territoires », avait déclaré le jeune Drancéen.

Il avait accusé Ali Rabeh de « complaisance avec le communautarisme », expliquant que sa réélection actait « la mainmise de l’islamisme sur la ville de Trappes ». L’élu de gauche s’était fait un plaisir de ridiculiser Jordan Bardella en direct sur le plateau de TPMP. « Vous m’avez qualifié de Maire d’une « République islamique ». Moi je suis marié à une femme d’origine bretonne, blonde aux yeux bleus, qui s’apprête à donner naissance à une petite fille. Cette jeune fille va naître dans un pays largement métissé, et elle ne se demandera pas si elle est bretonne d’origine marocaine, elle sera française, élevée par des Français. Et elle contribuera à écrire le récit national français comme depuis 3 siècles ». Jordan Bardella baissa la tête.

« GUD Connection » : les dangereux alliés du nouveau leader du RN Qu’est-ce que le Groupe Union Défense (GUD) ? Une organisation étudiante d’extrême droite réputée pour ses actions très violentes, très active dans les années 70. Elle est aujourd’hui dissoute. Mais ses anciens membres rôdent toujours. Certains d’entre eux, comme Frédéric Chatillon ou Axel Loustau font partie de l’entourage Marine Le Pen et travaillent comme prestataires (sulfureux), comme nous vous l’expliquions dans nos colonnes il y a quelques mois.

Un ancien militant du GUD qui a « beaucoup côtoyé Frédéric Chatillon », explique comment « aujourd’hui comme hier, [il a] une haine maladive des juifs ». Selon lui, « il ne s’agit aucunement d’erreurs de jeunesse » : ses « engagements de jeunesse » et ses « rapports avec les milieux néonazis français ou européens ne se sont jamais démentis ». Ils n’ont d’ailleurs « jamais caché leurs liens avec les antisémites Alain Soral et Dieudonné, ils ont été accusés d’avoir participé à des soirées teintées de folklore nazi. » (Médiapart). Glaçants personnages.

Pour aller plus loin : Extrême-droite : qui se cache derrière Marine Le Pen et Éric Zemmour ?

Les deux ex-gudars ne cachent par leur soutien à Jordan Bardella sur les réseaux sociaux. La question d’une « GUD Connection » avait fait botter le nouveau leader du RN en touche. « Jordan Bardella connaît bien Axel Loustau et Frédéric Chatillon », selon Libération. « Le premier, comme lui, a siégé au conseil régional d’Ile-de-France, de 2015 à 2021. Le second est le père de l’une de ses ex-compagnes. Ils ont surtout travaillé ensemble en 2016 et 2017 au moment de la campagne présidentielle de Marine Le Pen. »

Quel rapport entre la victoire de Bardella et les ex-gudards ? Du côté de l’extrême droite, on dit que cette victoire sera aussi celle des « gudards ». « L’arrivée de Bardella va sonner l’heure de leur retour », explique un ancien membre de la campagne présidentielle à Médiapart. Comme un bruit de bottes au loin.

La gauche de rupture se devra d’être attentive à Jordan Bardella, et continuer à combattre le RN, avec plus de force que jamais. Elle devra observer avec attention ce qu’il se passe à droite de l’échiquier politique, entre un RN puissant dirigé par un identitaire, un parti LR décrépi et un macronisme qui ne cache plus sa droitisation. L’insoumission, de son côté, va continuer à démaquer, chaque semaine, les liens de l’extrême droite avec le capital et les déclarations ignominieuses de ses partisans. Avant qu’il ne soit trop tard.

Par Nadim Février.


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