LR expose son déclin en prime time

samedi 26 novembre 2022.
 

Pour l’unique débat télévisé de la campagne, les candidats à la présidence du parti Les Républicains ont tenté de faire entendre des différences minimes ou tactiques. La soirée a surtout donné à voir l’absence d’idées nouvelles et renforcé le statut de favori d’Éric Ciotti.

Le débat entre les trois candidats à la présidence du parti Les Républicains (LR), lundi 21 novembre sur LCI, a tourné au concours de la droite la plus pure, donc la plus dure. Dix ans après la « droite décomplexée » de Jean-François Copé, Bruno Retailleau, Éric Ciotti et Aurélien Pradié ont recyclé une technique vieille comme la droite française : montrer les muscles et surjouer la fermeté pour séduire le noyau électoral des adhérent·es resté·es fidèles (90 000 personnes environ).

En préambule, Bruno Retailleau, sénateur de Vendée, a fixé comme condition vers la résurrection de LR que « la droite assume ses convictions, courageusement et fermement ». Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, a renchéri : « Il est temps d’oser la droite ! Je suis de droite, je l’assume. J’ai le cœur à droite. » Une manière, pour les deux favoris du scrutin interne qui s’ouvre le 3 décembre, d’attribuer les échecs successifs de LR à une ligne politique jugée trop molle ou trop centriste.

Des errements qui, ont-ils juré, appartiendront au passé dès qu’ils auront mis la main sur l’appareil historique de la droite française. Pour s’en convaincre, les journalistes de LCI ont passé les 40 premières minutes à parler d’immigration et d’islam, un cocktail sans lequel les soirées politiques de droite paraîtraient bien fades. Éric Ciotti en a ainsi profité pour rappeler son opposition à l’accueil du navire de l’ONG SOS Méditerranée, l’Ocean Viking, à Toulon (Var). « Quand Macron a refusé l’Aquarius [en 2018 – ndlr], personne n’est mort, a-t-il osé. C’est la fermeté qui est gage d’humanité. »

Après l’Ocean Viking et la loi immigration annoncée par Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, le débat a vite tourné sur les « abayas » et la laïcité. « Il faut être intransigeant ! », a martelé Éric Ciotti. Son homologue sénateur, Bruno Retailleau, ne s’est pas montré en reste. Il a tour à tour proposé d’interdire toute régularisation de sans-papiers (du jamais-vu en France), promis de mener un « combat de civilisation » contre « l’islamisme » et suggéré de priver une femme qui se ferait contrôler pour la seconde fois en burqa de ses « droits sociaux » et « allocations ».

Dans cette surenchère de droite, la position du troisième candidat, Aurélien Pradié, a pu surprendre. Perçu comme tenant d’une ligne modérée au sein de LR, le député du Lot a tout fait pour convaincre de sa rigidité sur les questions identitaires et sécuritaires (tout en se démarquant, par exemple, en s’opposant à la retraite à 64 ans).

L’actuel secrétaire général du parti a ainsi défendu des propositions radicales en la matière : instaurer l’uniforme de la maternelle à l’université (même Éric Ciotti a tiqué), « ouvrir le débat » pour une interdiction du voile dans l’espace public, « réduire drastiquement » l’immigration étudiante ou créer un « crime de passeurs » jugé « comme un crime contre l’humanité, à la Cour pénale internationale »…

Aucun candidat n’a voulu expliquer sa différence avec le RN

Le même Aurélien Pradié avait pris l’habitude de dénoncer, ces dernières années, l’obsession identitaire et régalienne de certains de ses « compagnons ». Il y a tout juste un an, sur le plateau de Mediapart, il regrettait la « saturation » autour de ces sujets et les « mots violents » utilisés pour parler d’immigration lors des débats télévisés entre candidats LR à l’investiture présidentielle.

Un an plus tard, l’élu du Lot a adopté la même stratégie que Xavier Bertrand, dont il est proche, en 2021 : tout faire pour se débarrasser de l’étiquette de « centriste », insulte ultime chez LR, épouser la radicalisation de la base militante du parti et montrer, comme les autres, les muscles sur ces sujets. Une stratégie qui avait mené l’ancien ministre du travail à être éliminé dès le premier tour d’une élection que les sondages lui disaient promise.

Au milieu de cette course à la fermeté, les journalistes ont posé aux candidats une question simple : qu’est-ce qui vous différencie du Rassemblement national (RN) sur l’immigration ? Comme trois lapins pris dans les phares d’une voiture, les postulants ont semblé tétanisés par l’interrogation. « Ça ne m’intéresse pas, a évacué Éric Ciotti. C’est votre sujet. Moi, je parle aux Français qui voient l’invasion migratoire. » L’un des deux présentateurs, Adrien Gindre, a tenté de répliquer : « On essaie juste de comprendre quelles sont les frontières de votre parti… »

Relancé sur les valeurs de LR en comparaison avec celles du RN, Aurélien Pradié n’a pas été plus clair. « Je ne crois pas à la droite des colloques, celle qui parle de valeurs sans les appliquer, a-t-il tenté. Le préalable à tout, c’est de réduire de moitié le volume de l’immigration. » La troisième tentative n’a pas été plus fructueuse. « Je ne suis jamais tombé dans ce panneau des leçons de morale, s’est enorgueilli Bruno Retailleau. C’est une grosse ficelle de la gauche pour tétaniser la droite et lui interdire ce débat. »

Aucun des trois candidats à la présidence de LR n’a donc souhaité expliquer, à douze jours d’un congrès important, la différence entre les valeurs de son parti et celles de la principale formation d’extrême droite du pays. Tout juste Bruno Retailleau a-t-il pris ses distances avec Marine Le Pen, pas pour son soutien à la préférence nationale ou l’héritage xénophobe de son parti, mais « parce que son programme économique la rapproche de Jean-Luc Mélenchon ».

Il ne fallait pas attendre, lundi soir, une opposition de lignes, encore moins un remake des grandes luttes fratricides à droite entre libéraux, démocrates-chrétiens et souverainistes. Il s’agissait plutôt d’un bureau politique en prime time, où s’est dessinée la surprenante tectonique des plaques de cette campagne interne. Seul exercice du genre prévu avant le premier tour, le débat de LCI a accouché d’une conclusion limpide : Éric Ciotti a le champ libre devant lui pour diriger le parti.

Le seul scénario que redoutaient ses soutiens était l’hypothèse d’une alliance entre ses deux concurrents à l’issue du premier tour, et la constitution d’un front anti-Ciotti, qui aurait pu faire sortir de leur réserve des figures comme Xavier Bertrand, Valérie Pécresse ou Michel Barnier. Éric Ciotti lui-même a regretté, en ouverture de l’émission, qu’une « espèce de coalition » l’ait empêché d’être le candidat de son camp à l’élection présidentielle.

Retailleau pris en sandwich

La soirée de lundi a dû le rassurer sur la suite des événements. Aurélien Pradié, figure de la frange « sociale-étatiste » du parti, et Bruno Retailleau, tenant d’une ligne libérale-conservatrice, n’ont aucune chance de s’entendre. Physiquement et politiquement, les deux députés ont même semblé prendre en sandwich le président des sénateurs LR. Sur les éoliennes, ils ont tous deux critiqué l’approbation par la chambre haute du projet de loi gouvernemental sur les énergies renouvelables.

« Je regrette le vote des sénateurs », a dit Éric Ciotti. Malgré les arguments de Bruno Retailleau, qui s’est dit mis en minorité « par la gauche et les centristes », Aurélien Pradié a enfoncé le clou : « Le Sénat n’aurait pas dû céder. Vous n’auriez pas dû. Comptez sur nous pour obtenir ce que vous n’avez pas obtenu », a-t-il dit, en faisant notamment référence à la possibilité pour les maires de mettre leur veto à un projet d’installation d’éoliennes.

La question écologique a été une autre occasion de constater la dérive des têtes de pont de la droite LR. À rebours du programme qu’il défendait à la présidentielle, Aurélien Pradié a lancé : « Nous devons mettre un stop immédiat au développement de l’éolien », proposant ensuite de « réfléchir au démontage » des éoliennes déjà installées. « Ce n’est pas raisonnable de refuser les énergies renouvelables », a protesté Bruno Retailleau.

Le Vendéen a été mis en minorité sur un autre sujet : la constitutionnalisation du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Arguant que la loi Veil n’est « contestée par personne » en France, Bruno Retailleau a dit son désaccord. « La droite ne peut pas être ringarde, elle doit être en phase avec notre société », a rétorqué Éric Ciotti. Quant à Aurélien Pradié, il a tancé le sénateur vendéen sur son engagement passé à l’extrême droite auprès de Philippe de Villiers. « Nous avons des origines politiques différentes », a-t-il dit.

Plus tard, il s’est offert une seconde flèche sur le sujet. Quand Bruno Retailleau manifestait son désaccord à l’idée de désigner le candidat à l’élection présidentielle de 2027 en bureau politique en s’exclamant « On n’est pas en Chine ! », son jeune collègue lui répondait : « Ce n’est pas la Chine. C’est un parti que tu n’as peut-être pas connu mais c’est la méthode du RPR. »

Difficile d’imaginer, dès lors, un scénario dans lequel Éric Ciotti, finaliste du congrès l’année dernière, ne remporterait pas le scrutin interne. Quoi de plus logique, finalement ? Hier à la marge la plus droitière de LR, l’élu niçois s’est retrouvé, poussé par la radicalisation progressive de ses compagnons de route, au barycentre de sa famille politique.

Ilyes Ramdani


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