Travailler, et mourir avant la retraite

mercredi 1er février 2023.
 

Un quart des hommes et 13 % des femmes les plus pauvres meurent avant 62 ans, quand l’âge légal du départ à la retraite, si la loi passe, devrait être de 64 ans. Derrière ce chiffre, il y a des vies, des visages et des familles que Mediapart vous raconte.

Le chiffre est sur toutes les lèvres des opposant·es à la réforme des retraites : les hommes ouvriers ont une espérance de vie qui est 6,4 ans inférieure à celle des cadres. Ces chiffres, issus d’une étude de l’Insee publiée en 2016, viennent percuter de plein fouet les arguments d’un exécutif qui présente sa réforme comme « juste » alors qu’il souhaite allonger la durée de cotisation et reporter l’âge légal du départ à la retraite à 64 ans.

Un autre chiffre s’invite dans les slogans et les pancartes : 25 % des hommes et 13 % des femmes les plus pauvres meurent avant 62 ans, selon une étude de l’Insee datant de 2018. Ainsi, un âge légal de départ à la retraite à 64 ans revient à réduire de deux ans un temps de retraite déjà bien court, surtout pour les travailleurs et travailleuses les plus précaires.

Les hommes ouvriers ont une espérance de vie qui est 6,4 ans inférieure à celle des cadres.

Par ailleurs, pour beaucoup d’entre eux, les dernières années sont rythmées par les douleurs et les maladies. Selon l’enquête « Santé et itinéraire professionnel » de 2006, réalisée par la Dress (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, sous la tutelles des ministères dits sanitaires et sociaux et de l’économie et finances) et la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, qui dépend du ministère du travail), dès 60 ans, 30 % des ouvriers jugent leur santé altérée, contre moins de 10 % chez les cadres.

Selon les données de l’enquête Emploi de 2018 (Insee, Dress), 14 % des ouvriers ont un fort niveau d’incapacité physique dès leur première année de retraite, contre seulement 2 % des cadres.

Au-delà des chiffres, il y a des histoires de vie et de labeur. Mediapart vous en raconte quelques-unes.

Marie était femme de ménage. Elle est morte à 59 ans, le 18 avril 2020.

Pendant des années, Marie a été de ces femmes noires que l’on voit dans les transports aux heures où les cadres dorment encore. Séphora se souvient que sa mère travaillait pour plusieurs employeurs, jusqu’à dix en même temps. « Elle a fait les choses comme on les attendait d’elle, à savoir se faire discrète, baisser la tête, dire “oui monsieur, oui madame” », raconte-t-elle à propos de sa mère, femme de chambre dans des hôtels puis femme de ménage pour des particuliers.

Marie était femme de ménage. Elle est morte à 59 ans, le 18 avril 2020.

À 22 ans, Marie décide de quitter la République démocratique du Congo pour la France afin de s’offrir un meilleur avenir. Elle se prend le racisme hexagonal en pleine face et déchante rapidement. Marie peine surtout à se loger et le racontera plus tard à sa fille, contant toutes les nuits où elle finit dans des hôtels miteux parce que les propriétaires ne veulent pas louer à une femme noire... jusqu’à trouver un studio de 30 m2 où, en tant que mère célibataire, elle vivra avec ses trois enfants.

« Notre enfance a été entachée par ses absences, elle travaillait tout le temps et c’est ce qui la faisait pleurer », se remémore Séphora.

Mais tout n’est pas triste dans la vie de la travailleuse. Elle a ses enfants, qu’elle protège et qu’elle chérit et, surtout, elle a Dieu. Elle prie souvent, dans les transports le matin, en rentrant le soir. Dès qu’elle le peut, elle va à l’église, où elle devient bénévole pour tenir la librairie le dimanche, quand elle ne travaille pas.

Mieux encore, en juillet 1998, la famille obtient un logement social : des chambres, un salon, des pièces séparées. Marie se lance alors dans l’organisation de vacances, au Portugal. Jusque-là ça va… Et puis son corps usé lâche.

Ils ne partiront ni à Lisbonne ni à Porto. Marie a 43 ans, trois enfants de 6, 10 et 14 ans et un cancer du sein à un stade avancé. « Elle en parlera jusqu’à la fin de sa vie de ce voyage au Portugal qu’on n’a pas pu faire », s’attriste encore sa fille. Plusieurs années après, sa fille Séphora l’amènera jusqu’aux plages de Provence où elles passeront, toutes les deux, quelques jours de repos.

Retour à 2003. La femme de ménage enchaîne chimiothérapie, opération, radiothérapie mais à la fin, c’est Marie qui gagne. « Elle justifiera cette maladie par des années de travail éreintantes, de stress et de colère », commente Séphora. Après, les médecins lui conseillent de ne plus exercer de métier physique, sauf qu’elle n’a rien d’autre que les ménages.

Malgré les décennies à nettoyer la merde de l’élite, ces derniers n’ont jamais proposé à ma mère des formations.

Séphora, la fille

Elle enchaîne les petits jobs, les vacations de gardienne d’école par exemple mais elle galère, jusqu’à la déclaration de surendettement. Elle reprend les ménages, payés au noir.

« Malgré les décennies à nettoyer la merde de l’élite, ces derniers n’ont jamais proposé à ma mère des formations qui lui auraient permis d’accéder à un travail moins pénible et de reprendre une activité suite à sa convalescence. »

Sa santé vacille encore, jusqu’à la crise cardiaque en janvier 2019. Échec pour les deux opérations. Tout l’essouffle désormais, elle n’arrive même plus à monter les quelques marches jusqu’à son appartement situé au premier étage. Bien qu’elle soit reconnue en situation de handicap, elle ne l’est pas assez pour percevoir l’allocation aux adultes handicapés (AAH), alors elle continue de faire le ménage.

« Je lui ai proposé d’aller travailler à sa place, de manière à ce qu’elle touche ses petits sous, assure Séphora. Par souci de ne pas mettre de bâtons dans les roues à l’avancement de mes études, elle a refusé. »

Fin 2019, elle attend une greffe du cœur. Quand l’hôpital l’appelle enfin, elle y va seule. La chirurgie se passe mal et elle meurt le 18 avril, entourée de ses enfants.

Le monde de la jeune femme s’écroule. Séphora qui venait d’obtenir sa licence avec mention « bien » ne rentre ni à Sciences Po, ni à l’université Paris-Dauphine. Des enseignants bienveillants lui réservent une place en master « économie des organisations » à l’université. En vain.

Aujourd’hui, je suis hôtesse d’accueil dans un cabinet d’avocats dans lequel je subis les mêmes traitements que ma mère.

Séphora, la fille

« J’ai fait une dépression lourde, j’ai sombré dans l’alcoolisme, la toxicomanie. Depuis j’oscille entre des périodes de RSA et de travail précaire. Aujourd’hui, je suis hôtesse d’accueil dans un cabinet d’avocats dans lequel je subis les mêmes traitements que ma mère. Et depuis des jours, j’entends le gouvernement dire que cette réforme est “juste”, mais où est la justice pour ma mère et toutes ces personnes aux parcours et aux fins similaires ? »

Norbert était ouvrier dans la sidérurgie, dans une usine ArcelorMittal. Il est mort à 49 ans, le 7 septembre 2002.

Norbert est fils d’ouvriers agricoles. Après avoir obtenu son CAP d’électromécanicien, il enchaîne les petits boulots jusqu’en 1973. Il a 20 ans et il est embauché dans une usine sidérurgique, Solmer, qui deviendra ArcelorMittal, à Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône.

Au sein de l’usine, Norbert occupe plusieurs postes. Sa fille, Christelle, et celle qui fut sa femme, Maguy, racontent.

Christelle : « Il réparait les machines, il utilisait des solvants, des dégraissants et tout un tas d’autres produits qui peuvent être dangereux. »

Maguy : « C’était pas de tout repos mais à l’époque on ne parlait pas de tout ça, de la dangerosité du travail, des produits, de la pollution. »

Christelle : « Il travaillait sur les ponts roulants, des énormes ponts qui transportent des grandes cuves avec de l’acier en fusion. Il travaillait en hauteur, dans la poussière. Il avait une tenue ignifugée, un casque, une visière, une grande lance et il était chargé de nettoyer l’intérieur des réfractaires à des températures de folie, après que les poches d’acier en fusion ont été versées. »

Maguy : « Quand il était aux fourneaux, c’étaient des températures extrêmes. Mon ancien mari n’était pas une petite nature, il ne se plaignait pas. »

Non seulement il travaille dans des conditions extrêmes, mais aussi à des horaires décalés, en trois-huit. Trois jours de travail le matin, trois jours l’après-midi, trois nuits puis quatre jours de repos. Ce qui, peu à peu, grignote sa santé mais aussi un peu de sa vie familiale.

Christelle se souvient avec précision que lorsqu’elle était petite, un orage est arrivé dans la nuit, elle aurait aimé se blottir dans les bras du père, sauf qu’il était à l’usine. « Et puis il changeait de rythme tout le temps, c’était compliqué », s’accordent à dire Maguy et Christelle.

Quand il a expliqué aux médecins du centre de cancérologie ses conditions de travail, ils lui ont dit que c’était possible que sa maladie soit liée à son boulot.

Maguy, l’ex-femme

Pendant ses quatre jours de repos, Norbert aimerait passer plus de temps en famille, sauf que, souvent, ces jours tombent en plein milieu de la semaine. Alors il s’occupe, va en forêt chercher des champignons. La veille de sa mort, à 40 kg tout mouillé, il tente même de s’échapper de son lit d’hôpital pour aller en cueillir, une dernière fois. « À côté de son travail, Norbert vivait à 200 %, se remémore Maguy. Même s’il était fatigué, il s’occupait en pêchant, chassant, du club de foot du village où on habite. »

Assez jeune, Norbert a un premier accident de travail. Sa jambe s’est coincée dans un pont roulant, il est arrêté plusieurs mois et en garde des cicatrices. Il a mal un peu partout, souffre de douleurs musculaires mais ne se plaint jamais. Puis en 2000, c’est l’effondrement. « Il se rend compte qu’il a des problèmes circulatoires et dans ses analyses du sang on lui diagnostique une première maladie, une deuxième, des formes de leucémie assez rares », raconte sa fille.

Norbert, avec son expérience de militant syndical CGT, se met alors à chercher les causes de sa leucémie pendant son congé longue maladie : sur de petits carnets, il liste les produits qu’il a utilisés à ArcelorMittal, dont de l’amiante. Il demande à ses collègues si l’un d’entre eux a la même maladie. Il fouille dans les comptes rendus du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et bouscule les syndicats pour qu’ils lui viennent en aide. C’est finalement un militant de la CFDT qui l’accompagnera.

« Quand il a expliqué aux médecins du centre de cancérologie ses conditions de travail, ils lui ont dit que c’était possible que sa maladie soit liée à son boulot, se souvient Maguy. Puis ils lui ont conseillé de faire un dossier de reconnaissance de maladie professionnelle. » Il le commence mais décède avant de le finir, d’un syndrome myélodysplasique, le 7 septembre 2002… À 49 ans et un mois, bien avant son cinquantième anniversaire qu’il avait si hâte de fêter et qu’il organisait depuis des mois. Menu et liste d’invités étaient prêts.

« Quand il était en bonne forme, ça lui arrivait de parler de sa relation au travail, de la retraite, des mauvaises conditions de travail. Mon père avait une histoire syndicale, il m’amenait dans les grèves de la sidérurgie de 1975 alors que j’avais 4 ans. Il disait toujours : “Nous, les ouvriers, on s’use au travail. La retraite, on n’en profite pas.” Mais quand il est devenu malade, nous n’avons plus eu ces discussions, c’était trop dur… »

Après la mort de son père, munie de tous ses carnets, Christelle fouille, rentre en contact avec des associations de travailleurs, des syndicats, des avocats, des familles d’ouvriers. Elle remue ciel et terre, fait signer des attestations de témoignages, aide d’autres familles dans la même situation. En 2010, la cour d’appel d’Aix-en-Provence reconnaît la maladie professionnelle de son père, avec faute inexcusable de l’employeur.

Jeudi 19 janvier, Christelle a manifesté contre la réforme des retraites à Montpellier. Et elle compte bien battre le pavé à chaque fois qu’il le faudra. « J’ai un sourire triste quand je les entends parler de retraite à 64 ans, à 67 ans… Il y en a tellement dont les corps sont usés et qui n’arrivent pas à l’âge de la retraite. Mon père, lui, est mort à 49 ans, ajoute-t-elle, des sanglots dans la voix. C’est l’âge que j’ai aujourd’hui. »

Christiane était salariée de cantine. Elle est morte à 60 ans, le 19 juin 2016.

Christiane est une fille de paysans bretons, envoyée très tôt au travail. « Quand elle parlait des différents jobs qu’elle a eus, il y avait chez elle de la révolte, du souci, c’était pas quelque chose de positif », affirme son fils, Kevin, comédien et metteur en scène.

À partir de ses 17 ans, elle travaille dans les cuisines d’un aérium, qui fait partie de l’Académie du Nord, où l’on s’occupe des enfants des mines qui ont des problèmes respiratoires. Ensuite, Christiane a fait de la soudure d’étain pour une usine électronique, s’occupant de composants électroniques pour les chauffages ou l’aéronautique par exemple.

« Il n’y avait pas tellement de protection, se rappelle son mari, Marcel, imprimeur à la retraite. Elle inhalait de la fumée d’étain. À l’époque, on prenait des risques sans le savoir. » Christiane soudera pendant plus d’une vingtaine d’années.

« Elle avait des horaires décalés et puis c’était jamais pareil selon les semaines », se souvient Marcel. Son fils et son mari disent qu’elle parlait souvent de son travail à l’époque. À la maison de retraite, elle s’est syndiquée à la CGT. « Elle parlait des comportements de la directrice, elle avait souvent des rendez-vous houleux avec elle. Il y avait des choses qui la bouffaient mais elle ne rentrait pas dans des grands discours politiques, elle parlait juste de son expérience. Et puis aussi, elle avait des moments joyeux là-bas », ajoute Kevin. Elle a travaillé plus de vingt ans à ce poste.

À côté du travail, Marcel et Christiane fondent un club de gym dans leur commune, un club qui existe toujours. « Ma mère, elle avait un côté naïf, elle était drôle, elle avait un regard hors du commun sur les choses et sur les gens », se rappelle son fils.

À la toute fin, je me souviens qu’elle disait : “J’ai toujours tout bien fait et je pars la veille de ma retraite.”

Kevin, le fils

Puis il y a eu la maladie, trois cancers en six ans. Entre chaque cancer, elle reprend le travail. Le dernier lui a été fatal. Christiane est décédée à quelques semaines de sa retraite, elle avait 60 ans, son fils venait d’en avoir 30.

« Alors on s’est questionnés sur les produits qu’elle avait utilisés au travail, notamment quand elle était dans l’usine électronique mais on n’en sait rien finalement, souffle Kevin. À la toute fin, je me souviens qu’elle disait : “J’ai toujours tout bien fait et je pars la veille de ma retraite.” »

Avec Marcel, ils avaient acheté un camping-car pour visiter la France, Christiane n’aura pas eu le temps d’en profiter. Alors il fait du vélo seul depuis qu’il a pris sa retraite, il y a six ans, à 60 ans. Lui a commencé de travailler à 16 ans, d’abord en tant que typographe dans le plomb puis conducteur typographe et enfin salarié d’une imprimerie offset… En tout, 180 trimestres en horaires décalés. « Moi, je n’aurais pas pu aller au-delà de 60 ans, impossible. » Depuis, fini les réveils à 3 h 30 du matin. Il s’occupe de lui et de son vélo et, en ce moment, il prépare son prochain « périple », d’Orléans à Nantes.

À propos de la réforme des retraites, Marcel conclut : « Aller jusqu’à 64 ans pour ceux qui ont commencé tôt, qui travaillent sous les intempéries ou avec des produits chimiques, tous ceux qui bossent en deux-huit, en trois-huit, ce n’est pas possible. Ceux-là, il faut qu’ils finissent de travailler de bonne heure. »

Daniel était manutentionnaire. Il est mort à 59 ans, le 5 juin 2002.

Daniel est né le 17 novembre 1942 à Brive, en Corrèze. Ces deux parents étaient employés de supermarché, sa mère vendait des volailles, son père était au rayon bricolage. Il rêvait de faire du dessin publicitaire mais ses parents ne pouvaient pas lui payer ses études.

Alors, dès ses 16 ans, il a commencé de travailler. Il fait « plein de petits boulots », explique sa fille Mathilde, avant de trouver sa place sur les marchés. Là, il vend de la vannerie avant que les supermarchés ne s’y mettent et ruinent son petit commerce. Des marchés, cependant, il n’est pas revenu bredouille puisque c’est entre les étalages du marché de Chauvigny (Vienne) qu’il a rencontré sa femme Sylvaine. « Pour lui, c’était un coup de foudre, pour moi pas tellement », se souvient celle qui, depuis, a repris le travail pour compléter sa maigre retraite.

Après les marchés, Daniel enchaîne les soirées en tant qu’extra chez un de ses amis restaurateurs. Puis le couple ouvre « un petit restaurant », elle au service et à la plonge, lui dans les cuisines. « On faisait des repas ouvriers le midi, pour les gens qui travaillent, un plat unique à quelques francs, vraiment pas cher », vend encore Sylvaine. L’aventure a duré de juillet 1985 à fin décembre 1987. C’est dans ces années-là que les deux commencent de danser le folk.

Après le restaurant, la quincaillerie. De 1989 et jusqu’à sa mort en juin 2002, il travaille en tant que manutentionnaire dans une quincaillerie de gros, à Poitiers.

Daniel travaille du lundi au vendredi, à des horaires classiques. Parmi ses missions, le chargement et le déchargement de bonbonnes de gaz. « Il travaillait dans une quincaillerie de gros, qui s’adresse aux professionnels du bâtiment principalement. Il traitait les commandes et s’occupait du parc gaz, rappelle Sylvaine. Ce sont des grosses bonbonnes qui font 80 kg. Son métier était sûrement physique mais il ne me racontait pas beaucoup son travail. »

Daniel préférait discuter de musique, puisqu’il était percussionniste dans un groupe local, de danse ou de théâtre. « Des danses traditionnelles et pour le théâtre c’était un peu de tout, mais pas de vaudevilles », précise encore Sylvaine.

C’est aussi la culture ouvrière, ne pas se plaindre, jamais.

Sylvaine, la femme

« Puis mon père a eu un accident de travail, raconte Mathilde. Il a été compressé par un véhicule qui faisait marche arrière. Avant ça, il n’avait pas eu de problème de santé. » « Une palette de deux tonnes est arrivé sur mon mari, il aurait pu mourir ce jour-là », ajoute aussi sa femme. Il ne va pas à l’hôpital et revient le soir en voiture, comme si de rien n’était. « C’est aussi la culture ouvrière, ne pas se plaindre, jamais », continue Sylvaine.

Daniel ne prend pas d’arrêt maladie et, malgré les remontrances de sa femme, il ne déclare même pas d’accident de travail. Il retourne à l’entreprise dès le lendemain. Puis viennent les douleurs au pied qui, peu à peu, l’empêchent de danser autant qu’avant. Puis, le cancer.

« Il s’est longtemps plaint de ses douleurs et rien ne nous dit que son accident de travail est à l’origine de sa maladie, reprend la fille. Mais, on s’est posé la question et les médecins qui le suivaient aussi. »

Fin mars 2002, le père de Mathilde, visiblement fatigué par la maladie, monte pour la dernière fois sur la scène de « la Nuit du folk », dans un village près de Poitiers. Le 5 juin, il meurt, sans jamais avoir profité de la retraite pour laquelle il a cotisé.

« Ne jamais avoir de retraite l’attristait mais le pire, pour lui, c’était de laisser sa fille Mathilde, elle avait à peine 12 ans quand il est mort », conclut Sylvaine.

Contre la réforme des retraites, Mathilde aimerait bien aller manifester, pour son père et pour les autres. Sauf que la jeune femme craint les violences policières. « Dès que je pourrai aller manifester, j’irai, mais je sais que la veille, j’aurai une boule au ventre. J’ai peur, mais en même temps, je ne connais pas d’autre moyen de nous faire entendre que manifester et bloquer. »

Khedidja Zerouali


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