Retraites – « Cette angoisse qui nous use chaque jour » : le bouleversant témoignage de Bernard, gazier pendant 32 ans

lundi 13 février 2023.
 

Retraites. Élisabeth Borne et Emmanuel Macron ont déclaré la guerre sociale à 80% des Français. La retraite à 64 ans en 2030 : voilà ce qu’a annoncé la Première ministre le 10 janvier 2023 aux Français. Alors qu’à l’âge (actuel) de la retraite, 25% des hommes les plus pauvres sont déjà morts. Un objectif : faire des économies, malgré les dires du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Plutôt faire trimer le peuple que de faire payer le capital.

La question des retraites ne se limite pas à des chiffres. On parle surtout du sort de personnes brisées par leur travail. Celles-ci n’ont pas voix au chapitre sur les plateaux télés. On y préfère les « experts » économiques et les éditorialistes de plateaux libéraux. L’insoumission a décidé de donner la parole aux invisibles, toutes celles et tous ceux qu’on n’entend jamais.

Vous ne pourrez pas bosser jusqu’à 64 ans comme l’a décidé Emmanuel Macron ? Vous avez un métier pénible et comme 80% des Français vous êtes contre le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans ? Envoyez-nous votre témoignage à contact@linsoumission.fr.

5ème témoignage issu de notre appel : Bernard, gazier de terrain à GDF puis GRDF pendant 32 ans.

Une nuit ordinaire

Aujourd’hui, l’astreinte est sous les projecteurs de nos directions, qui semblent découvrir par le fait sa pénible existence. Mais nos décideurs savent-ils vraiment ce que vivent les agents astreints dans leur solitude, leur responsabilité et leurs angoisses ? Voici, pour les éclairer un peu, le périple d’une nuit ordinaire…

« Allô ! Bonjour, c’est Alain du CAD Toulouse ! Je t’appelle pour un appel pompiers sur la commune de Corbejaud, c’est un immeuble collectif, il y aurait une très forte odeur de gaz dans les communs, je t’envoie ça sur ton PAD. C’est en centre-ville dans une rue piétonne au numéro 36 rue des courlis. »

J’ai eu du mal, en si peu de temps, à assimiler tout ce débit d’informations et ce, malgré l’accent ensoleillé d’Alain. Ce n’est pas facile à deux heures du matin, d’avoir sur l’instant les idées claires. Je me lève sans bruit, la maison est ensommeillée. Ma femme, comme à chaque fois, est réveillée en ouvrant un œil, elle me souhaite bon courage. Les enfants dorment paisiblement, le chien se méprenant sur une opportune promenade nocturne, me fait la fête en silence.

J’enfile mécaniquement mes IDM en sollicitant mon PAD pour qu’il charge l’intervention. Le disque multicolore n’en finit pas de tourner et tourner encore ! Quand l’écran m’indique enfin l’adresse du sinistre, je suis déjà dans le froid glacial d’une nuit sans lune. Il me faut gratter le pare-brise, les vitres et les rétroviseurs pris par le gel. Je suis bien éveillé maintenant. L’adresse sur mon GPS me donne 28 minutes pour 31 kilomètres et en rajoute au stress qui m’accompagne comme à chaque fois et depuis si longtemps.

Je pars, j’ai froid, car un peu fatigué de la veille, étant rentré à la maison à 22 heures après une ODG. La route est glissante, et le brouillard épais m’engloutit, seul le TOMTOM sait où nous allons. En roulant, je suis obsédé par ce que je vais trouver sur les lieux. Y a-t-il des blessés, est-ce un logement, les caves, la gaine ou bien une tentative de suicide ? Pour appeler en plein milieu de la nuit cela doit être grave… ou peut-être pas. Je suis en retard sur l’estimation du GPS quand je passe enfin devant le panneau d’entrée de la commune. Encore quelques minutes, qui font battre le cœur un peu plus fort, et je serai sur place.

Phare dans la brume, les halos bleus me guident et me rassurent un peu. Avant de descendre, sous la perplexité des pompiers je dois renseigner mon PAD. Je rejoins les hommes du feu, et à cet instant, je peux sentir une montée d’adrénaline m’envahir. En évacuant cet immeuble vétuste de leurs occupants, ils ont découvert l’origine du sinistre. Dans la cave, un jeune locataire, ayant démonté le moteur de son scooter, l’a abandonné dans un récipient rempli de gas-oil. Malgré tout, je fais les prélèvements d’usage. Il ne me reste qu’à faire mon rapport au CE et attendre que le responsable des pompiers me donne congé.

Tous les locataires s’en tirent pour une nuit agitée et un peu écourtée ! Je saisis les infos sur mon PAD pour me rendre disponible pour une éventuelle autre intervention. Je rentre, le brouillard s’est un peu dissipé et mon stress aussi. Quand je quitte mes vêtements qui empestent le pétrole, il est 4 h passé et je dois filer sous la douche afin de me débarrasser de cette odeur tenace. Une douche bien chaude finit de faire tomber la pression. Le chien est là qui me regarde, boudant un peu de ne pas être sorti faire un tour.

Je fais le tour de force de ne pas réveiller à nouveau ma femme… enfin je crois. Maintenant, le plus difficile va être de me rendormir, je redoute de voir défiler les heures qu’il me reste avant qu’NRJ me fasse sursauter. La journée qui vient, va être longue…

Ce récit n’est pas une fable, c’est seulement la vie d’un agent d’astreinte et sa famille, une semaine par mois (minimum) pour certains pendant plus de trente ans. Ce récit n’est en rien exagéré, beaucoup de gaziers vivent cette tension, ce stress, cette angoisse qui les usent un peu plus chaque jour.

Un gazier de terrain parmi tant d’autres…


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