Louise Michel est une unique anomalie dans la construction du récit historique dominant antérieur au XXème siècle. Anomalie puisque c’est une femme, et qu’elle n’est pas tombée dans l’oubli le plus profond. Avec Jeanne d’Arc et quelques reines, c’est une des seules femmes à avoir une place importante dans l’imaginaire collectif avant les grandes figures du XXème siècle. Unique, puisque c’est la seule figure féminine célébrissime qui n’ait pas défendue la monarchie, c’est le moins que l’on puisse dire : républicaine, révolutionnaire, communarde, anarchiste, en même temps que poétesse, écrivaine, institutrice, soldate, amie de Hugo, Clemenceau, Vallès et Guesde… Louise Michel, une figure de l’insoumission. Retour sur une vie héroïque. Portrait.
Républicaine, révolutionnaire, communarde, anarchiste, en même temps que poétesse, écrivaine, institutrice, soldate, amie de Hugo, Clemenceau, Vallès et Guesde
Peut-être cette femme était-elle tout simplement trop immense, trop altruiste, trop courageuse pour être atteinte par les basses critiques des exploiteurs. Les innombrables attaques de la bourgeoisie n’ont fait que glisser sur sa mémoire. Elle est ressortie toujours plus grande de ses multiples condamnations, emprisonnements, polémiques.
Aujourd’hui, pas moins de 190 établissements scolaires publics portent son nom. Le moins que l’on puisse dire c’est que sa figure détonne avec le reste du classement. Certes, il y a bien Jean Jaurès, lui aussi socialiste et révolutionnaire. Mais il n’a jamais tué personne.
Non, décidément, cette femme, qui a réclamé pour elle-même la peine de mort comme conséquence logique de sa défense, les armes à la main, de la Commune de Paris, détonne dans l’Histoire de France.
Fruit de l’union, dont on ne saura jamais si elle était consentie ou non entre sa mère, servante dans le château de Vroncourt en Haute-Marne et le propriétaire des lieux, Louise Michel se tiendra toute sa vie du côté des démunis, des exploités. Elle reçoit de celui qu’elle appelle son grand-père (mais qui pourrait aussi être son père biologique, là dessus non plus, aucune certitude), une formation intellectuelle solide, libérale, inspirée des Lumières.
Après une enfance qui semble douce malgré sa situation d’enfant illégitime, la vie de Louise Michel bascule. La mort de sa grand-mère l’oblige à quitter le château avec sa mère. La même année Louise écrit à l’auteur des Misérables, une longue lettre qui démarre ainsi : « Monsieur, il faut que je vous écrive pour souffrir moins. » Improbable mais vrai,Victor Hugo lui répond. Commence alors une correspondance qui durera près de 30 ans avec le plus célèbre des écrivains français. Ainsi démarre sa première vocation qu’elle poursuivra toute sa vie : poétesse.
En 1852, Louise Michel obtient le brevet pour devenir institutrice. Problème, Napoléon III vient d’assassiner la deuxième République pour instaurer l’Empire. La jeune diplômée refuse de prêter serment à un type qui incarne par-dessus tout l’écrasement de l’esprit de 1789 dans lequel elle a baigné toute son enfance. Il est probable qu’elle ait également tiré exemple de son idole en exil depuis le 12 décembre 1851.
Il en faut bien plus pour lui faire renoncer à un métier qui semble si bien lui correspondre vu son rapport passionnel aux mots et à la lutte contre la misère. Pratiquement sans ressource, elle fonde à 22 ans une école libre à Audeloncourt. Une école privée donc. Mais point réservé à la grande bourgeoisie, tout au contraire. Elle accueille et instruit les filles des paysans. Elle adopte des méthodes novatrices, leur fait dessiner les plantes, amène des animaux en classe. Plus détonant encore, elle leur fait chanter La Marseillaise chaque matin et chaque soir.
Imaginez, juste. Nous sommes à l’avènement de l’Empire. La République vient d’être écrasée. Et cette jeune femme d’à peine 20 ans fait entonner à des enfants le plus révolutionnaire de tous les chants. Lorsque les premières dénonciations arrivent, elle est convoquée chez le Préfet. Elle assume. C’est ainsi qu’elle se comportera toute sa vie lorsque des représentants de l’ordre lui feront procès.
De cette époque, elle écrira dans ses Mémoires : « J’écoutais à la fois ma tante catholique exaltée et les grands-parents voltairiens. Je cherchais, émue par des rêves étranges ; ainsi l’aiguille cherche le nord, affolée, dans les cyclones. Le nord, c’était la Révolution. »
C’est en 1856, en arrivant à Paris que sa boussole commence à indiquer le nord. Elle exerce toujours comme institutrice, cette fois-ci dans les faubourgs ouvriers de Paris. Ces quartiers couvent autant la misère que la révolte. Elle poursuit également sa propre formation intellectuelle, passe le baccalauréat grâce aux cours dispensés par des instituteurs républicains et publie des poèmes sous le pseudonymes d’Enjolras, toujours en lien avec son écrivain préféré.
Entre son arrivée à Paris et la Commune, elle se lie d’amitiés avec les cercles intellectuels révolutionnaires : Jules Vallès, Raoul Rigault, Emile Eudes. De Républicaine libérale, elle devient blanquiste, socialiste révolutionnaire. Elle se lie également d’amitié avec Georges Clémenceau, à l’époque médecin pour les pauvres de Montmartre, bientôt maire du XVIIIème arrondissement quand éclate la Commune, un jour Président du Conseil sous la IIIème République.
En juillet 1870, Napoléon III tente de reprendre la main sur un pays qui conteste de plus en plus son autorité. Il décide d’attaquer la Prusse. C’est la déroute. Le 2 septembre, l’empereur est capturé à Sedan. La République est proclamée le 4 par Léon Gambetta, Jules Favre et Jules Ferry. Louise, elle, n’est pas de ces splendides déclarations au balcon de l’Hôtel de Ville de Paris. Si elle n’est pas encore en pleine lumière, elle s’active pourtant. Elle rejoint immédiatement le Comité de Vigilance de Montmartre. Celui-là même qui, le 18 mars 1871 sonnera l’alarme lorsque les troupes de Thiers grimperont la butte pour saisir les canons payer avec l’argent du peuple.
Patriotisme et socialisme s’entremêlent, espoir de libération sociale et nationale se coalisent. Les graines de la Commune sont plantées.
Les grands généraux impériaux ont décidé qu’ils n’avaient plus aucune chance de victoire, tout au moins aucune chance de victoire à la fois contre les Prussiens et contre le mouvement de libération ouvrier. A l’opposé, Léon Gambetta part en ballon lever une armée au Sud pour bouter les Allemands hors de France. Louise Michel, dans la capitale assiégée, avec des milliers d’autres parisiens et parisiennes anonymes, soigne les blessés, nourrit les enfants du peuple et prépare la Garde Nationale au combat.
Louise Michel fut en première ligne dans quasiment toutes les étapes de l’insurrection parisienne qui rêvait d’instaurer une République sociale, de dresser le drapeau rouge du sang des ouvriers tombés pour leur liberté sur le fronton de tous les édifices.
Elle manifeste aux côtés de Paule Minck, Anna Jaclard et Sophie Poirier, dès octobre 1870. Elle est de la nuit du 17 au 18 mars, bien sûr puisqu’elle est présidente du Comité de Vigilance des citoyennes de Montmartre. Elle milite pour l’assaut immédiat sur Versailles, propose d’aller seule tuer Adolphe Thiers. Elle participe également au combat politique : pour la laïcité, pour un système d’instruction émancipateur, pour l’égalité effective entre femmes et hommes, contre la prostitution.
A partir du 3 avril, elle revêt l’habit des Gardes Nationaux et va défendre les barricades de la Commune à Levallois, Clamart, Clignancourt. Elle ne retire son habit de soldat que pour s’occuper des blessés. Le 24 avril, c’est par un lâche chantage que les Versaillais parviennent à mettre la main sur Louise : Ils emprisonnent sa mère et menacent de l’exécuter si la combattante ne se rend pas.
Son procès à Satory est une pièce unique de bravoure. En décembre, devant les juges qui ont déjà condamné à mort ses plus proches compagnons de combat deux mois plus tôt elle déclare :
« Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue ; j’appartiens tout entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la responsabilité de tous mes actes. Je l’accepte tout entière et sans restriction » Par ces mots, elle rejette la légitimité du tribunal. Elle le renvoie à ce qu’il est : une institution qui a pour unique objectif de défendre les intérêts des bourgeois conservateurs contre les velléités de justice sociale du peuple de la Commune.
Son procès s’achève par ses mots : « Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces ».
Comment, après une telle diatribe, la révolutionnaire échappe-t-elle à l’exécution ? Grâce aux soutiens de ses admirateurs Hugo et Clémenceau ? Par pur esprit de contradiction de la part de ses juges ? Ou juste par sexisme, parce qu’elle est une femme, on refuse de lui appliquer le même traitement que les hommes ? Une chose est sûre, la communarde tiendra parole. Sa révolte ne s’éteindra jamais.
Envoyée au bagne de Calédonie, elle refuse les propositions de grâces individuelles obtenues par ses amis désormais hauts placés sous la IIIème République naissante. La philosophie judiciaire de Louise Michel restera pour toujours inflexible : L’amnistie pour toutes et tous ou rien. Pour elle-même jamais de traitement de faveur.
Il semble que rien ne puisse perturber le fil de sa vie. Après quelques années à l’autre bout du monde, la voilà qui reprend l’écriture pour traduire des mythes kanaks, la résistance à l’oppression lors de la révolte kanak de 1878 et bien sûr l’instruction, aux enfants des déportés et aux kanaks. Imperturbable, fidèle à ses valeurs.
Une chose change malgré tout durant sa déportation. De socialiste blanquiste, sa philosophie politique se tourne vers le socialiste libertaire, l’anarchisme. C’est au sein de cette mouvance qu’elle va militer à son retour à Paris et inventer ce symbole qui reste le plus illustre élément de son héritage : le drapeau noir « portant le deuil de nos morts et de nos illusions. »
Comme elle l’avait promis aux bourreaux de la Commune à son procès, elle ne cesse de crier vengeance contre le régime bourgeois qui condamne le peuple à la misère alors qu’il se réclame de la République.
La fin de la vie de Louise Michel se partage entre l’écriture de poèmes et de ses Mémoires, instruction dans des écoles libertaires, organisation de manifestations et d’actions pour les sans-travail et les sans-pain, conférences et meetings.
Dès 1883, pour avoir organisé une manifestation aux Invalides où quelques affamés vont se nourrir dans des boulangeries sans pouvoir payer, la militante est à nouveau emprisonnée. Toujours, elle reste fidèle à sa morale : pas de traitement de faveur. Amnistie générale ou rien. Elle n’accepte la libération provisoire obtenue par son amie Clémenceau que pour une seule raison : aller rendre visite à sa mère mourante.
Figure de l’anarchisme, elle refuse en même temps de se laisser enfermer dans une seule dynamique de lutte. Elle prend la parole pour défendre des mineurs aux côtés des socialistes « rouges » marxistes, Jules Guesde et Paul Lafargue. Elle reste également proche de ses amis socialistes désormais qualifiés de réformistes : Rochefort, rencontré au bagne et bien sûr l’immanquable Clémenceau. Tant que c’est pour défendre une cause qui lui semble juste, c’est à dire les faibles contre les forts, les démunis contre les privilégiés, les colonisés contre les impérialistes, Louise Michel s’engage de toute son énergie.
Louise Michel meurt le 9 janvier 1905, à l’âge de 75 ans, d’une pneumonie contractée au milieu d’une tournée de conférences. Son enterrement est une immense cérémonie populaire. Pour un temps, les différents courants socialistes qui se déchirent sur le monde idéal et la manière d’y parvenir enterrent leurs différences et commémorent ensemble la vie d’une femme qui savait si bien dépasser les querelles entre révolutionnaires pour concentrer toutes les forces vers un seul objectif : dresser et défendre la barricade entre les oppresseurs et les opprimés.
La première réponse, nous l’avons vu, c’est sa vie, sa fidélité totale à ses valeurs et son courage à toute épreuve pour les défendre.
Comme toutes les figures puissantes, la bourgeoisie réactionnaire a tenté d’écraser le symbole Louise Michel. Avec toujours les mêmes deux procédés.
D’un côté, salir. Ce fut déjà le cas dès son engagement pour la commune. Il fallait la montrer comme un monstre, une voleuse, une meurtrière, une terroriste pour empêcher que les idéaux d’égalité, de dignité pour toutes et tous qu’elle défendait, ne se diffusent.
De l’autre, récupérer. Instiller l’idée qu’elle était une femme généreuse, qui avait bon cœur, presque douce. Et que c’est pour cela qu’elle doit être commémorée. A titre d’exemple, on a vu apparaître un prix Louise Michel décerné par le Centre d’études politiques et de sociétés de Paris. Le prix récompense une personnalité pour « les vertus de dialogue, de démocratie, de développement et de paix ». Bon déjà, ça pue la novlangue néolibérale à des kilomètres cette affaire. Mais alors quand il est décerné à Ben Ali, Moubarak et Bouteflika… C’est carrément s’essuyer les pieds plein d’excréments sur sa tombe.
Oui, Louise Michel savait sans nul doute être douce. Avec ses proches, avec ses compagnons blessés dans les combats de la Commune, avec les enfants des ouvriers.
Mais si vous aviez demandé aux soldats Versaillais lancé à l’assaut du fort d’Issy-Les-Moulineaux près duquel elle défendit une tranchée seule avec un soldat zouave pendant une nuit entière si elle était douce, je pense que les rares survivants auraient eu une réponse quelque peu mitigée.
Si le camp de la réaction, de l’oppression n’a jamais réussi à éteindre la flamme Louise Michel, c’est grâce aux nombreux textes qu’elle a écrits tout au long de sa vie. Ses Mémoires, entièrement en libre accès sur Wikipédia, sont une pièce unique pour comprendre et analyser cette période charnière de la fin du XIXème siècle en France et même une partie du monde. Non du point de vue des vainqueurs comme c’est trop souvent le cas, mais du côté de celle qui ne s’avoue jamais vaincue.
Enfin, sa postérité lumineuse, l’infatigable révolutionnaire la doit aussi à celles et ceux qui luttent, qui n’ont cessé de la protéger par delà la mort : les partis communistes, les mouvements féministes et le mouvement queer aux Etats-Unis, et bien sûr en France, la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon à Olivier Besancenot.
En 2005, celui-ci lui écrit une lettre ouverte à la fois intime : « c’est ma grand-mère, une institutrice de Levallois, qui m’a parlé de toi la première fois, me racontant comment tu avais défendu le peuple », et passionnée : « en réalité, ce 17 mars 1871, plus que vos canons, c’est la possibilité de prendre en main votre destin que les Versaillais ont voulu vous ôter. Or l’élan populaire l’emporta sur la réaction, l’insurrection sur l’humiliation et la fraternisation entre les soldats et la garde nationale sur la répression. Ce fut une révolution. »
En 2020, Banksy finance un bateau dédié aux secours des oubliés parmi les oubliés, les exilés qui décide, poussés par le désespoir le plus profond, de risquer leur vie en traversant le plus grand cimetière du monde, la mer Méditerranée. La capitaine sera Pia Klemp. Le nom qu’ils donnent à leur navire : Louise Michel.
Dernier hommage en date, samedi 28 janvier 2023, la première promotion du cursus renforcé de l’Institut La Boétie s’autobaptise Louise Michel.
Un fil que les partis de l’ordre des dominants ont maintes fois tenté de briser ou de tordre. Mais la plus célèbre des communardes reste inflexible. Par la puissance de ses mots et de son courage, par la droiture de ses actes, sa tenacité au combat, elle résiste à toutes les tentatives de récupération ou d’effacement.
Louise Michel est cette braise entretenue patiemment pour, un jour, mettre le feu à la plaine ; cet espoir caché dans la boîte de Pandore de toutes les personnes qui rêvent d’un monde moins injuste. Dans la tempête réactionnaire, jusque dans les plus sombres ténèbres de la répression, elle reste cette source d’inspiration pour toutes celles et ceux qui veulent rendre la société plus intransigeante avec ceux qui profitent de leur force pour écraser les autres afin qu’elle soit moins cruelle envers ceux qui ne possèdent rien qu’eux-mêmes.
Louise Michel est cette preuve, toujours vivante dans nos mémoires, qu’un monde meilleur est possible.
Et surtout, qu’il est possible de se battre toute sa vie pour qu’il advienne.
Par Ulysse
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