Observer, répertorier et faire connaître les symboles réappropriés par l’extrême droite en France : voilà l’objectif que se sont fixés Ricardo Parreira et Geoffrey Dorne, créateurs du site internet Indextreme.fr. Un site clair, complet et accessible à tous, dans lequel sont répertoriés plus de 80 symboles utilisés par l’extrême droite, rangés dans 12 catégories.
Indextreme.fr. Voilà un outil très précieux au service de la lutte antifasciste. À l’insoumission, nous disons : chapeau bas ! En France, alors que l’Assemblée nationale compte 88 députés Rassemblement National (RN) et que les groupuscules d’extrême droite ne se cachent plus, voire se déchaînent dans les rues du pays, un tel outil est plus que nécessaire. L’extrême droite se cache dans des chiffres (88, 732), dans des lettres (HH, SPQR), dans des animaux (cochon, pit-bull, guêpes) ou encore dans des runes et des drapeaux. Un symbole vaut mille mots. Notre article.
« Le pouvoir d’un symbole réside dans sa capacité à produire du sens et à communiquer ce sens »1. Cette citation résume la nécessité d’étudier les symboles, particulièrement lorsqu’ils sont liés à une mouvance politique. Parce qu’une image vaut mille mots, le photojournaliste Ricardo Parreira et le designer Geoffrey Dorne ont lancé début janvier 2023 le site internet Indextreme.fr. Son objectif ? « Observer, répertorier, et faire connaître les symboles graphiques réappropriés par l’extrême droite en France », comme indiqué sur la page d’accueil de leur site.
Plus de 80 symboles sont déja répertoriés sur Indextreme.fr, rangés dans 12 catégories : phrases, cranes, personnages, croix, acronymes, animaux, drapeaux, runes, marques, chiffres, gestes et « autres ». Un outil précieux dans la lutte antifasciste. Pour chaque symbole, on apprend le « pourquoi du comment » de son utilisation, son histoire et sa réutilisation par l’extrême droite.
Les mots ont un sens. Dans le titre de notre article, nous parlons bien des symboles « utilisés par l’extrême droite », non des « symboles de l’extrême droite ». Le site indextreme.fr répertorie les symboles réappropriés par cette mouvance. Les deux créateurs du site insistent beaucoup sur cette disinction, pour éviter toute confusion vis-à-vis de leur travail. Pour exemple, d’aucuns trouvent choquant de voir la croix de Lorraine, symbole de la France libre, classée sur le site dans la même catégorie (« Croix ») que la croix gamée nazie. Parmi eux, Renaud Muselier, président de la région Sud Provence-Alpes-Côtes-d’Azur. C’est son grand-père, Émile Muselier, qui a donné à la France libre le symbole de la croix de Lorraine.
Problème : la croix de Lorraine a été réappropriée par l’extrême droite, alors qu’elle renvoie normalement au Général de Gaulle et à la Résistance. Des membres ou d’anciens membres du RN, comme Florian Philippot l’ont arborée à plusieurs reprises. C’est pourquoi elle est répertoriée sur le site Indextreme.
De même pour la marque Lonsdale, marque londonienne de vêtements et d’équipements de boxe créée en 1960. Financeuse de campagnes antiracistes, spronsor du boxeur Mohammed Ali, celle-ci peut difficilement être soupçonnée d’accointances avec l’extrême droite. Cependant, les vêtements de la marque sont portés par des skinheads, dont des skinheads néo-nazis. Les quatre lettres « NSDA » au milieu du nom de la marque font référence au NSDAP, le National Sozialistische Deutsche Arbeiter Partei (Parti national-socialiste des travailleurs allemands, ndlr), le parti fondé par… Adolf Hitler en Allemagne en 1920.
Une réappropriation désapprouvée par la marque Lonsdale. « Dans une foule de skinheads, on peut voir le gros logo Lonsdale sur certains t-shirts », reconnaissait en 2001 une porte-parole de la marque. Interrogée par le Daily Telegraph en 2001, elle regrettait que parmi l’ensemble des marques portées par cette mouvance, « la [leur] ressorte du lot ». De l’importance du verbe « se réapproprier ».
Parfois de simples nombres, un acronyme ou une phrase bien précise sont réappropriés par l’extrême droite. Des symboles moins soupçonnables qu’une croix gamée ou un salut nazi, reconnus par une majorité de personnes. Ainsi, 732 n’est pas seulement la date de la bataille de Poitiers, opposant « les Francs et les Burgondes dirigés par Charles Martel alliés aux Aquitains […] et une armée omeyyade menée par Abd-el-Rahman ». L’extrême droite y voit un symbole d’une bataille opposant la chrétienté victorieuse face à l’Islam : les Francs, les Burgondes et les Aquitains gagnent la bataille, Charles Martel en sort renforcé, tandis que Abd-el-Rahman est défait et tué.
Lors de l’élection présidentielle de 2002, le Front National avait eu un malsain plaisir à réutiliser cette date sur une de leurs affiches « Martel 732, Le Pen 2002 ». Charles Martel, accompagné du nombre « 732 », « font partie d’un vaste nombre d’insignes qui visent à justifier historiquement la nécessité d’un repli identiaire, surotut dans l’extrême droite identitaire et intégriste », peut-on lire sur Indextreme.fr.
« Si vis pacem, para bellum », qui veut la paix, prépare la guerre. Pas question ici de vous parler de « Mission Cléopâtre », ce film français culte. Désolé par avance pour les fans de ce film. Maintenant, vous penserez à l’extrême droite quand vous entendrez cette réplique. Cette locution latine, à l’origine inconnue, « représente le concept de paix armée ». Elle a d’abord été utilisée par l’extrême droite américaine, avant de l’être par l’extrême droite française.
Identifier les croix et les runes utilisées par l’extrême droite La croix gammée, symbole nazi, est largement utilisée par l’extrême droite. Pas de surprise jusque-là. Mais cette croix est loin d’être la seule. Connaissez-vous la croix celtique ? Symbole du christianisme celtique, elle est formée d’une simple croix sur laquelle repose un anneau. Elle renvoie aux origines idéologiques contre-révolutionnaires de l’extrême droite : « l’ultra-royalisme, l’intégrisme catholique, le nationalisme et l’antisémitisme ». Des militaires français se sont affichés avec cette croix mise en évidence, que ce soit en tatouage ou en drapeaux, comme l’avait rélévé Mediapart.
La croix celtique est le symbole du Groupe Union Défense (GUD), une organisation étudiante d’extrême droite réputée pour ses actions très violentes, très active dans les années 70. Entrée en sommeil en 2017, elle a été réactivée en 2022. Occident, mouvement politique d’extrême droite et prédécesseur du GUD, fondé en 1964, en avait déjà fait un de ses symboles. Ce mouvement s’inspirait bien volontiers de Robert Brasillach, écrivain français fusillé pour collaboration en 1945, ouvertement raciste et célébrant les vertus du « sang ». Ambiance.
Les runes sont des caractères de l’ancien alphabet des langues germaniques. Le site Indextreme.fr en comptabilise 7 réappropiées par l’extrême droite. Le lambda est le symbole du groupusucle d’extrême droite Génération identitaire.
Cela vous dit quelque chose ? Une centaine de leurs militants avait réalisé une opération dans les Alpes à la frontière avec l’Italie en 2018. À l’aide d’hélicoptères, de véhicules tout-terrain, d’un avion et de barrières, ils avaient « patrouillé » dans cette zone régulièrement empruntée par des exilés pour rejoindre la France. Vêtus de ce qui pouvait s’apparenter à des uniformes de gendarmerie (des doudounes bleues), les identitaires avaient réalisé une véritable opération « de milice » visant les migrants. Une opération alors soutenue par le RN. Malgré sa dissolution en mars 2021, ce groupuscucle n’est pas entré en sommeil, loin de là.
Un insecte, symbole d’extrême droite ? En tout cas, le site Indextreme répertorie 10 animaux réappropriés par cette dernière. Vous allez avoir une nouvelle raison de détester les guêpes. Insecte reconnu pour sa virulence, elle est aussi associée à la mort. « Brizak Nancy », un groupe hooligan d’extrême droite fondé en 2005 a comme logo cet insecte mal-aimé. De même pour L’Alvarium, un groupuscule d’extrême droite basé à Angers connu pour des faits divers de violences et d’agressions racistes qui lui ont valu plusieurs condamnations en justice.
Du côté de l’extrême droite, on apprécie les crânes. Certains, bien précis, en sont des symboles. Ambiance. Indextreme en répertorie 4 différents pour le moment. Les fans des comics Marvel auront reconnu le crâne ci-dessous avant la fin de cette phrase. Il représente le Punisher, « ancien soldat du corps des Marines, consumé par le désir de vengeance suite à l’assassinat de sa famille à Central Park ». Moins sympathique que Batman/Bruce Wayne. Plus sérieusement, le crâne du Punisher s’est d’abord diffusé au sein de l’extrême droite et de la police américaine. Il a commencé à se propager en Europe au début des années 2010.
Selon le site Indextreme, « des dizaines de policier·ères furent photographié.e.s depuis, affichant ce Punisher sous forme d’écusson, de foulards ou de t-shirt ». Souvent, le crâne de Punisher est accomapgné de la phrase suivante : « Dieu jugera nos ennemis – Nous organisons la rencontre » ou bien « Le pardon est l’affaire de Dieu – notre rôle est d’organiser la rencontre ». Glaçant. Comment des policiers républicains peuvent-ils aborber de telles phrases ? Comment interpréter « organiser la rencontre avec Dieu » autrement que comme une menace de mort ? L’antenne de Nice de la Ligue des Droits de l’Homme s’en était émue le 9 juin 2018. Elle n’est (vraiment) pas la seule.
Indextreme.fr. Voilà un outil très précieux au service de la lutte antifasciste. À l’insoumission, nous disons : chapeau bas ! Le site est complet, précis, et accessible à tout un chacun. 10 jours après sa création, plus de 100 000 visites avaient été enregistrées sur le site. Parce qu’il est précieux, les deux créateurs reçoivent insultes et menaces, mais aussi « des encouragements, des symboles à ajouter ». Vous n’avez pas trouvé un symbole réapproprié par l’extrême droite sur le site ? Contactez-les, ils vous répondront. La lutte avance uniquement dans l’entraide et la solidarité. Impossible évidemment pour nous de citer les plus de 80 symboles répertoriés sur leur site en un seul article.
La lutte antifasciste doit être menée partout. À l’insoumission.fr, nous y participons à notre humble niveau en mettant en avant ce genre de travaux. Nous vous détaillons les différents groupuscules d’extrême droite installés aux quatre coins du pays. Nous avons également lancé une série de portraits sur les 88 députés du RN, élus en juin 2022. L’objectif ? Révéler leur passé, leurs déclarations racistes, xénophobes, anti-avortements ou homophobes, dénoncer leurs liens avec le capital et avec les groupuscules d’extrême droite. Au service des riches, fondé par un ancien Waffen SS, dédiabolisé depuis plusieurs années et défendant un député raciste comme Grégoire de Fournas, le RN ne sera jamais un parti comme les autres. Jamais.
Par Nadim Février
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