Retraites : dans le Forez, l’intersyndicale NATIONALE appelle à faire « monter d’un cran » la pression le 7 mars

mercredi 8 mars 2023.
 

Les dirigeants des huit syndicats de salariés avaient rendez-vous jeudi soir à La Ricamarie, ancien bastion ouvrier de la banlieue de Saint-Étienne. L’occasion d’afficher devant leurs militants une unité toujours aussi forte, et leur détermination à « mettre la France à l’arrêt » mardi.

Judith Briat-Galazzo ne cache pas sa fierté. L’étudiante en master de sociologie, qui travaille depuis l’âge de 18 ans comme vendeuse pour payer ses études, est fière que les dirigeants nationaux des huit principaux syndicats français aient choisi l’agglomération stéphanoise pour s’adresser jeudi soir à leurs militant·es, à quelques jours de la grande mobilisation du 7 mars contre le projet gouvernemental de réforme des retraites.

Elle est fière aussi du lieu retenu pour cette rencontre : La Ricamarie, ville communiste de 8 000 habitant·es, est un haut lieu de la lutte des mineurs français pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Quatorze manifestants y furent abattus par la « troupe » en 1869.

Au début du meeting, le maire, Cyrille Bonnefoy, a évoqué « ces territoires exploités, éventrés pour la production du charbon, ces hommes cassés, à bout de souffle à cause de la silicose ». Mais surtout, Judith est ravie de l’unanimité des leaders de l’intersyndicale au cours de la soirée. « L’unité, on l’a sentie dans toutes les interventions, mais aussi dans les temps fraternels qui ont suivi », commente la jeune femme.

Le mot était en effet sur toutes les lèvres au cours des quelque deux heures trente du meeting, tenu devant un public d’environ 600 personnes, plus 400 autres réunies dans une salle voisine et assistant aux débats en direct sur un écran géant. « Nous avons certes des différences, mais de moins en moins. Il a fallu que nous apprenions à nous parler, mais aujourd’hui, dans l’intersyndicale, il n’y a rien qui lâche, il n’y a pas un gravillon entre nous », a assuré Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière (FO).

« Nous avons la bonne recette, celle d’une intersyndicale unie. Nous avons un mot d’ordre, qui est non à la réforme. Nous avons des principes communs. Et après, nous décidons ensemble. Personne ne parle à la place des autres », lui a répondu Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

L’unité, on la retrouve dans le constat unanime d’un projet de réforme « inacceptable » tant que le gouvernement n’aura pas renoncé à reculer l’âge de départ à la retraite à 64 ans, mais aussi truffé de zones d’ombre et d’approximations mensongères. « On a l’impression que tout repose sur des sables mouvants, qu’à chaque fois qu’on gratte, on voit que les chiffres du gouvernement sont faux », a commenté Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa, en réponse à une question sur la fameuse promesse d’une pension à 1 200 euros pour les petits salaires. Le ministre du travail Olivier Dussopt a fini par admettre dans la semaine que cette promesse ne concernerait chaque année que 15 000 à 20 000 nouvelles personnes prenant leur retraite.

« Si vous n’avez rien compris à ce que j’ai dit, c’est normal, c’est parce que ce n’est pas clair du tout dans la tête du gouvernement », lui a fait écho Marylise Léon, après une explication poussive sur le dispositif prévu pour les carrières longues, écartelé entre la promesse de ne pas dépasser les 43 annuités travaillées et l’impératif d’un départ à 64 ans.

« Le 7 mars, la France à l’arrêt »

La concorde était également de mise pour dénoncer la « surdité » de l’exécutif face aux clameurs de la rue, ainsi que sa morgue face au mouvement syndical. Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, en a pris pour son grade après sa saillie, mercredi, sur « le risque d’une catastrophe écologique, agricole, sanitaire, voire humaine » que ferait courir au pays le fait de « mettre la France à l’arrêt ». « Nous savons désormais que les sept plaies d’Égypte, c’est nous. Merci à M. Véran », a ironisé Frédéric Souillot. « C’est fort de café qu’un ministre de la République accuse les syndicats de la pandémie et de la sécheresse. C’est bien la preuve qu’ils rament », a analysé Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT).

Les syndicalistes ont redit leur peu d’espoir de voir le Sénat, qui débutait jeudi l’examen du projet de réforme, amender le texte dans un sens favorable à leurs revendications. « Nous n’en attendons rien, c’est pour cela qu’on mobilise le 7 mars. On peut même craindre un durcissement du projet », a affirmé le leader de FO en conférence de presse.

L’accord est aussi de mise pour la mobilisation de mardi. « On est tous d’accord pour dire : le 7 mars, la France à l’arrêt. On a besoin de cette mobilisation pour passer au cran supérieur. Quand on veut gagner, il faut s’en donner les moyens », a affirmé Marylise Léon devant le public ligérien. « Il faut qu’il y ait un maximum de monde qui ne travaille pas le 7, mais aussi que les commerçants, les artisans, les petits patrons se mobilisent », a encouragé Philippe Martinez.

Marylise Léon, de la CFDT, a souligné « l’immense responsabilité » des syndicats « au vu de l’ampleur de la mobilisation » et le risque d’une « déception énorme » en cas d’échec.

Des divergences subsistent cependant sur l’après-7 mars. Du côté de la CGT, « on ne veut pas la grève générale, mais on veut une généralisation des grèves, que tout le monde agisse partout », a expliqué Philippe Martinez, affirmant la nécessité de créer « un rapport de force suffisant » pour faire plier le président de la République. Le leader syndical avance toutefois avec prudence sur la voie des grèves reconductibles.

« Les 7, 8 et 9, il faut discuter dans les entreprises, les services, car la grève reconductible, c’est difficile quand on a déjà du mal à s’en sortir avec un salaire complet », a-t-il souligné. « Il faut trouver des solutions – peut-être une heure ou deux de mobilisation, un rassemblement quotidien. Plus il y aura de grèves, plus les patrons diront au gouvernement que cela ne peut pas continuer comme ça. »

Sur l’autre versant, la CFDT appelle à une approche plus pragmatique. « Je suis assez optimiste, mais je pense qu’il faut voir comment va se passer la journée du 7 avant de décider quel sera le prochain rendez-vous », a estimé Marylise Léon. « Si on est déjà sur le coup d’après, on ne laisse pas au gouvernement le temps de répondre », a poursuivi la dirigeante, soulignant « l’immense responsabilité » des syndicats « au vu de l’ampleur de la mobilisation » et le risque d’une « déception énorme » en cas d’échec.

Mais jeudi soir, à La Ricamarie, tout le monde semblait disposé à mettre de l’eau dans son vin. « L’objectif, pour l’instant, c’est le 7 mars. Les nuances qu’on a entre nous, on en discutera le 7 au soir », confiait Philippe Martinez en conférence de presse. « Des mobilisations, il y en aura le 7, le 8 et le 9 », concédait Marylise Léon. Simon Duteil, co-délégué général de Solidaires, partisan de la grève reconductible pour « aller très vite et taper fort là où ça fait mal », rappelait pour sa part que, « ici, tout le monde signe déjà des appels à la grève reconductible selon les secteurs ».

Pour la première fois de ma vie, le terreau est là pour qu’on reprenne l’offensive, qu’on parte à la conquête de nouveaux droits sociaux.

Alain Thubert, chaudronnier de 27 ans

À l’issue de la soirée, Alain Thubert, un chaudronnier de 27 ans, a retenu l’image d’une « grosse unité syndicale », de dirigeants « capables de mettre leurs différences de côté ». La mobilisation dans la Loire a été massive au cours des cinq précédents appels de l’intersyndicale – on a dénombré 50 000 manifestant·es à Saint-Étienne, 12 000 à Roanne le 19 janvier.

« C’est du jamais-vu depuis 30 ans. Autour de moi, je vois plein de camarades qui sont prêts à se mobiliser », s’enthousiasme le jeune homme, qui se prend à rêver plus loin que l’abandon de la réforme des retraites. « Pour la première fois de ma vie, le terreau est là pour qu’on reprenne l’offensive, qu’on parte à la conquête de nouveaux droits sociaux », s’enflamme le militant CGT.

Secrétaire générale de la section stéphanoise du syndicat d’étudiants travailleurs OSE-CGT, Judith partage l’optimisme d’Alain. « On va se battre contre cette réforme, mais aussi pour de nouvelles victoires sociales. Je pense que la retraite à 60 ans, on va la gagner », déclare-t-elle.

Secrétaire général de la section FO de Montbrison, Frédéric Guillot, 53 ans, se réjouit de cette mobilisation de la jeunesse. « Aujourd’hui, plusieurs jeunes sont venus nous voir pour prendre leur carte au syndicat », signale-t-il. Salarié du secteur de la chimie, le quinquagénaire a grandi dans un milieu agricole. « Tout ce qu’on m’a appris, c’est : bosse, bosse, bosse. Mais je veux quand même profiter un peu de la vie, pas finir ma carrière directement à l’hôpital », commente-t-il.

Il appelle aujourd’hui la nouvelle génération à défendre coûte que coûte les retraites. « Le gouvernement a d’abord attaqué le chômage. Maintenant, c’est le tour des retraites. Si la réforme passe, il s’en prendra à la Sécurité sociale, prévient-il. Ce sont les jeunes qui vont changer notre système, parce que notre système actuel, il est mort. »

Nicolas Cheviron


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