Pénalisées par l’actuel projet de loi, les femmes ont trop souvent été les parents pauvres des législations sur les retraites, qui restent aveugles à la particularité des carrières féminines, à la situation des veuves, aux conséquences des doubles journées de travail.
La pension de retraite moyenne des femmes est de 40 % inférieure à celle des hommes, comme le révèle la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) dans son rapport de 2022.
« Ne vous inquiétez pas, la réforme actuelle corrigera cette inégalité », ratiocinent les porte-parole du gouvernement sur les plateaux. Des syndicalistes (comme Sophie Binet) et des économistes (comme Michaël Zemmour) ont largement démontré qu’il n’en était rien. Cette réforme, comme trop d’autres dans notre histoire, font des femmes les parents pauvres des législations sur les retraites.
Cela s’explique historiquement parce que le travail des femmes n’a jamais été considéré comme celui des hommes. Elles ont toujours eu des salaires moins élevés (ce qui se répercute sur leurs retraites) et leurs carrières sont plus hachées : elles souffrent plus du chômage et, surtout, c’est sur elles que reposent la garde des enfants, le soin aux personnes âgées, les contraignant à cesser de travailler pour assurer ces tâches lorsqu’il n’est plus possible de mener les deux de front.
À partir du XXe siècle, les femmes ne mourant plus des suites de couches, leur espérance de vie s’accroît et dépasse celle des hommes. Elles sont dès lors de plus en plus nombreuses âgées, veuves et pauvres. Or la première loi sur les retraites, en 1910, ne le prend guère en compte. Les femmes cotisaient certes moins que les hommes (eu égard à leurs faibles salaires), mais ne pouvaient toucher de (maigre) pension qu’en cas de carrière pleine, autant dire rarement.
Qui plus est, la loi ne prévoyait aucune réversion pour les veuves. Les solutions étaient pourtant alors déjà sur la table. En 1901, la CGT avait ainsi proposé un projet de système de retraite qui prenait en compte la particularité des carrières féminines, posait le principe d’égalité des pensions, et envisageait une réversion complète et sans condition aux veuves. Peine perdue.
Dans un contexte général de dégradation des droits à la retraite après-guerre, la loi de 1910 étant vidée de sa substance faute de cotisations, et les tentatives de 1928 pour améliorer la situation se révélant très insuffisantes, la condition des femmes âgées s’aggrave – à l’exception des institutrices, bien organisées, mieux défendues, qui arrachent un droit à la retraite.
L’instauration de la retraite par répartition en 1945 laisse malheureusement toujours les femmes en situation difficile. Certes, une pension de réversion est enfin prévue dans le régime général, au taux de 50 % de la pension de l’assuré décédé, mais ses conditions d’octroi sont fort restrictives (à partir de 65 ans, et à condition de ne toucher aucune pension personnelle).
L’instauration de la retraite par répartition en 1945 laisse malheureusement toujours les femmes en situation difficile.
Il faut attendre les années 1970 pour qu’enfin la question féminine soit sérieusement prise en compte, dans un contexte de pression des organisations féministes, lesquelles défendaient la retraite à 55 ans pour les femmes, avec un taux de réversion de 75 %.
Les lois Boulin remplacent le calcul de la pension sur la base des dix dernières années par un calcul sur la base des dix meilleures, ce dans la volonté de ne pas pénaliser les assuré·es ayant des fins de carrière « descendantes » (ce qui de facto est plus fréquent pour les femmes). Sont aussi créées une assurance-vieillesse des mères de famille et une majoration de durée d’assurance pour les périodes d’éducation des enfants.
La loi impose également une meilleure prise en compte du ou des congés maternité, qui ouvrent désormais un droit à la retraite, ainsi que du nombre d’enfants (un an de majoration des durées de cotisation à partir du troisième enfant en 1972 puis deux ans par enfant en 1975). Qui plus est, à partir de 1975, une possibilité de départ anticipé à 60 ans est ouverte aux mères de trois enfants totalisant trente années de cotisations.
Et, en 1977, toutes les femmes totalisant trente-sept années et demie d’assurance à 60 ans bénéficient désormais de la retraite à taux plein sans autre condition, mesure qui traduisait la prise en considération de la double journée de travail des femmes.
Dans le même temps, plusieurs décrets amélioraient aussi la question cruciale des réversions, abaissant en 1975 à 55 ans l’âge d’ouverture du droit à une pension de réversion dans le régime général, et ouvrant une possibilité de cumul partiel entre une pension personnelle et une pension de réversion. Le taux de la réversion restait fixé à 50 %, mais il passera à 52 % en 1982, puis à 54 % en 1994.
Beaucoup de ces mesures ont été prises par des gouvernements de droite, qui se refusaient pourtant à abaisser l’âge de la retraite à 60 ans, comme le réclamait la gauche. Pour les défendre, ministres et députés mobilisaient des images fort traditionnelles, familialistes, évoquant les « grandeurs », les « devoirs » de la mère de famille, assez loin des discours féministes émancipateurs. Reste que les femmes ont profité de ces réelles améliorations.
Si les années 1970 sont donc marquées par un souci sinon d’égalité, du moins de prise en compte des particularités des carrières féminines, il est de courte durée. La question féminine est largement absente du débat lors des réformes du début des années 1990 – sur les régimes de retraite des salarié·es du secteur privé, puis lors de la réforme du régime général de 1993.
Les féministes se sont alors surtout préoccupées d’aborder le problème du système de retraite en amont : promotion de l’égalité professionnelle, salariale notamment, des hommes et des femmes, revendication d’un partage égal des tâches domestiques au sein du couple d’autre part, et défense de l’amélioration des conditions de conciliation entre charges familiales et travail.
Mais cela n’a pas suffi. Les femmes, subissant plus que les hommes le travail partiel, restant plus victimes des licenciements, continuant à être moins payées en dépit de quelques progrès, prenant plus souvent des congés parentaux, continuent à être pénalisées au moment de la retraite, ce dont témoignent les chiffres actuels.
Non seulement la loi ne changera rien à cela, mais, pire, elles seront contraintes de travailler plus longtemps, sans que la pénibilité propre à leurs métiers ait été prise en compte. Les années 1970 semblent dès lors une parenthèse que la mobilisation féministe en cours pourrait rouvrir.
Mathilde Larrère, historienne
Date | Nom | Message |