Après une semaine de travail intense et de tractations à Interlaken, en Suisse, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a publié ce lundi 20 mars le rapport de synthèse de son sixième cycle de travail, entamé en 2015.
Au cours des huit dernières années, les scientifiques de l’ONU se sont penché·es sur des dizaines de milliers de publications pour établir le dernier consensus scientifique en date sur les dérèglements climatiques.
Leurs travaux se sont traduits par un rapport d’évaluation publié en trois volets entre août 2021 et avril 2022 sur l’amplification sans précédent du réchauffement planétaire, sur ses impacts et sur les solutions proposées pour réduire nos émissions. Les expert·es ont par ailleurs édité trois rapports spéciaux consacrés aux « conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C », aux impacts du changement climatique sur les terres ainsi que sur les océans et les systèmes glaciers.
La synthèse de ces rapports volumineux – quelque 10 000 pages au total – est accompagnée d’un résumé à l’attention des décideurs et décideuses qui a été validé mot par mot avec les représentant·es des 195 pays membres du Giec, après d’âpres négociations. En effet, les pays exportateurs de pétrole et de gaz tentent systématiquement d’atténuer la question de la sortie des énergies fossiles. Tandis que les pays du Sud cherchent à renforcer dans les rapports l’importance des financements à l’adaptation au changement climatique.
« Ce rapport de synthèse constitue le recueil le plus complet de données scientifiques sur le climat depuis la dernière évaluation publiée il y a près de dix ans, explique la chercheuse Stephanie Roe, autrice principale du Giec. Il expose très clairement les effets dévastateurs que le changement climatique a déjà sur nos vies et nos écosystèmes partout dans le monde, l’avenir difficile qui nous attend si nous n’agissons pas ensemble, et les solutions que nous pouvons mettre en œuvre dès maintenant. »
Dans cette synthèse, les expert·es du Giec rappellent tout d’abord que « plus d’un siècle de combustion d’énergies fossiles » a entraîné un réchauffement de la planète de 1,1 °C par rapport aux niveaux préindustriels (1850-1900). La Terre n’a jamais été aussi « chaude » depuis cent vingt-cinq mille ans.
Pour les scientifiques, il est « sans équivoque » que les activités humaines ont déréglé le climat. Il en résulte des phénomènes météorologiques extrêmes « plus fréquents et plus intenses », qui ont des répercussions de plus en plus dangereuses sur les populations et la nature. Un million d’espèces animales et végétales sont désormais menacées d’extinction.
L’institution climatique de l’ONU alerte également sur le fait que « les communautés précaires qui ont historiquement le moins contribué au changement climatique actuel sont touchées de manière disproportionnée » par les dérèglements du climat.
« Près de la moitié de la population mondiale vit dans des régions très vulnérables au changement climatique, déclare Aditi Mukherji, l’une des 93 autrices et auteurs de ce rapport de synthèse. Au cours de la dernière décennie, les décès dus aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes ont été 15 fois plus nombreux dans ces régions très fragiles. »
Le Giec insiste donc tout particulièrement sur le rôle essentiel de la justice climatique, car l’Amérique du Nord et l’Europe sont historiquement responsables de près de 40 % des émissions de CO2 depuis 1850. Il indique que « les flux financiers mondiaux actuels pour l’adaptation au changement climatique sont insuffisants ».
« Il y a deux nouveaux messages-clés dans ce rapport de synthèse : le déficit de financements pour l’adaptation dans les pays du Sud et la nécessité d’insérer dans les politiques macro-économiques la question climatique, qui doit être perçue non plus comme une contrainte mais une opportunité », précise à Mediapart Jean-Charles Hourcade, auteur principal de ce rapport.
L’institution onusienne martèle de nouveau dans ce rapport de synthèse qu’il existe « de nombreuses options réalisables et efficaces pour réduire les émissions » et que « le capital mondial est suffisant » pour lutter rapidement contre le réchauffement global.
Le Giec répète que la « réduction substantielle » des énergies fossiles fait partie des moyens les plus efficaces pour limiter l’emballement du climat. La combustion de charbon, celles de pétrole et de gaz sont en effet à l’origine de près de 90 % des émissions mondiales de CO2.
Par ailleurs, plusieurs options de réduction des émissions, « notamment l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’électrification des systèmes urbains », sont « techniquement viables, deviennent de plus en plus rentables et sont généralement soutenues par le public ».
Enfin, climat, écosystèmes et société étant interconnectés, la conservation d’environ 30 à 50 % des terres, des eaux douces et des océans de la planète « contribuera à garantir une planète en bonne santé ».
Toutefois, le rythme et l’ampleur des mesures prises jusqu’à présent demeurent insuffisants. Entre 1988, année de création du Giec, et aujourd’hui, les activités humaines ont recraché dans nos cieux plus de gaz à effet de serre qu’entre 1750, le début de la révolution industrielle, et 1988.
Les émissions mondiales continuent à augmenter et à atteindre des niveaux records. En 2022, à l’échelle planétaire, les rejets de CO2 liés à l’énergie ont encore augmenté de 0,9 %, comme l’a annoncé le 2 mars dernier l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Or, cette synthèse du Giec le rappelle : « Les émissions devraient diminuer dès aujourd’hui et devront être réduites de près de la moitié d’ici à 2030 si l’on veut limiter le réchauffement à 1,5 °C. »
Cette synthèse de huit ans de travail du Giec vient en creux souligner l’inaction climatique de nos gouvernements comme des groupes industriels fossiles.
La COP26 de Glasgow (Écosse) fin 2021 et la COP27 de Charm el-Cheikh (Égypte) en 2022 ont accouché d’accords finaux minimalistes où la sortie des énergies fossiles n’était pas mentionnée – on peut à peine y lire un appel à « l’abandon progressif » du charbon et à la fin des « subventions inefficaces » aux combustibles fossiles.
Les actuels plans climat des États nous mettent pour leur part sur une trajectoire de réchauffement de 2,5 °C minimum à la fin du siècle, alors que comme le notifie le rapport de synthèse du Giec, chaque fraction de degré d’augmentation du réchauffement intensifiera les risques climatiques.
Pour exemple, la France n’a quasiment pas réduit ses émissions de gaz à effet de serre en 2022. Alors qu’Emmanuel Macron a lancé : « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » lors de ses derniers vœux présidentiels, malgré six rapports du Giec depuis les années 1990, et que des milliers de personnes sont mortes à la suite des trois canicules de l’été dernier.
Le pays est sous la menace d’une sécheresse encore plus importante que l’an dernier, le niveau de 80 % des nappes souterraines étant inférieur à la normale.
Ce rapport est un nouveau clou dans le cercueil de l’industrie des combustibles fossiles.
Quant aux cinq premiers grands groupes pétroliers mondiaux (ExxonMobil, Chevron, Shell, BP et TotalEnergies), ils ont, pour l’année 2022, totalisé 180,5 milliards de dollars de profit. Un record historique.
Alors que ces industriels continuent de forer de nouveaux puits de pétrole et de gaz, le Giec souligne que « les émissions de CO2 projetées par les infrastructures fossiles existantes » nous mènent déjà tout droit dans un monde à + 1,5 °C.
« Ce rapport est un nouveau clou dans le cercueil de l’industrie des combustibles fossiles », résume Stephan Singer du Climate Action Network, un réseau mondial de plus de 1 900 ONG écologistes.
« Le rapport de synthèse montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore assurer un avenir durable et vivable pour tous », a lancé Hoesung Lee, président du Giec. Mais ce résumé du travail des scientifiques de l’ONU résonne surtout comme un ultimatum.
Le Giec prévient en effet : « Il est peu probable que l’organe des Nations unies chargé des sciences du climat publie de nouveaux rapports avant la fin des années 2020. Ces rapports constituent la feuille de route scientifique qui permettra à nos dirigeants de s’attaquer à la crise climatique au cours de cette décennie si importante. »
La synthèse que vient de publier le Giec incarne ainsi le socle scientifique le plus récent et le plus précis pour s’atteler à la redéfinition de politiques climatiques plus ambitieuses.
Ce rapport servira de consensus partagé par l’ensemble des pays du monde lors de la COP28, les prochaines négociations internationales sur le climat qui se dérouleront en décembre 2023 à Dubaï (Émirats arabes unis). Elles seront, au grand dam de nombreux scientifiques et ONG, présidées par Sultan al-Jaber, ministre émirati de l’industrie et patron du groupe Adnoc, une des plus grandes compagnies pétrolières au monde.
Mickaël Correia
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