CGT : Sophie Binet ou l’imprévu réjouissant

mercredi 5 avril 2023.
 

Ce mouvement social contre la réforme des retraites n’en finit plus d’étonner et continue de résonner (enfin) avec les préoccupations d’une société et de générations marquées à la fois par la crise climatique, la pandémie sanitaire et l’égalité femmes-hommes.

Après les poubelles qui brûlent au milieu d’étudiant·es réinventant les manifs sauvages, après le soutien aux grèves et aux blocages des métiers en première ligne du Covid ou encore la jonction de bataillons syndicaux des métropoles et de « gilets jaunes » des villes moyennes, voici que l’historique CGT se choisit comme cheffe une féministe de 41 ans.

Au-delà des tractations nocturnes d’appareil et d’une candidate de sortie de crise interne, et sans nier la situation difficile et complexe qui se dresse devant elle, cette élection a tout d’une heureuse surprise.

En premier lieu parce qu’elle consacre un engagement féministe au sein de la centrale syndicale. Sophie Binet n’est pas seulement la première femme à accéder à cette fonction depuis la naissance de la CGT (en 1895 !). Elle est la première dirigeante à avoir fait du féminisme un de ses combats prioritaires.

Illustration 1Agrandir l’image Sophie Binet à Mediapart, le 13 mars 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart La nouvelle secrétaire générale était en effet jusque-là chargée de l’égalité femmes-hommes du deuxième syndicat de France. Elle est coautrice du livre Féministe, la CGT ? Les femmes, leur travail et l’action syndicale, avec deux autres figures de la maison, Rachel Silvera et Maryse Dumas (Édition de l’Atelier, 2019).

Sophie Binet a été de tous les combats de ces dernières années, avec son « féminisme de classe », reprenant les luttes classiques des cégétistes pour l’égalité salariale, mais défendant aussi la « grève féministe », dont le concept – faire grève au travail et dans la famille – bouscule les habitudes syndicales, et assumant d’embrasser les combats de #MeToo, y compris dans sa version intersectionnelle.

« Cela fait cent ans que l’on caricature le féminisme comme petit-bourgeois pour mieux le décrédibiliser. La CGT n’a pas attendu que l’intersectionnalité soit à la mode pour articuler la lutte des classes et la lutte contre les discriminations sexistes et racistes », lançait-elle voilà un an face à l’anthropologue Emmanuel Todd.

Celle qui vient de prendre la tête de la CGT était également en première ligne – même si elle n’a pas tout réussi, loin de là – dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein de son organisation. Un syndicat encore très empreint de sexisme mais qui vient de se doter d’une charte plutôt ambitieuse sur le sujet.

Enfin, Sophie Binet fait partie de ces dirigeantes syndicales à s’être interrogées sur les pratiques et l’imaginaire militant des luttes, souvent virilistes. « Il faut non seulement arrêter de limiter le combat à des attitudes guerrières, mais aussi cesser de minimiser l’importance des luttes dans les secteurs à prédominance féminine », disait-elle dans la Nouvelle Vie ouvrière, journal de la CGT, il y a trois ans.

La reconnaissance d’une génération militante L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT est aussi une bonne nouvelle pour toute une génération militante, celle qui s’est engagée dans les années 2000, après la fin des illusions de la gauche plurielle de Lionel Jospin et du social-libéralisme menant droit à l’émergence puis l’installation durable de l’extrême droite dans le champ politico-médiatique.

Cette génération militante a connu l’altermondialisme au tournant du siècle, puis a contribué à la dernière victoire sociale d’ampleur en France, celle du retrait du contrat première embauche (CPE) en 2006, puis a cru en la recomposition d’une gauche fracturée par le référendum européen de 2005 sur des bases unitaires, qui laisserait derrière elle les accommodements du socialisme de marché pour embrasser à nouveau la question sociale et l’élargir à de nouvelles préoccupations (écologie, discrimination, féminisme).

Cette génération s’est aussi, pour une part, investie dans le syndicalisme en constatant le délitement accéléré de la gauche partisane et politique.

À l’intersection d’une série de combats, le parcours de Sophie Binet est aussi celui d’une unitaire, conseillère principale d’éducation et secrétaire des cadres de la CGT, tout en se faisant accepter par les branches plus ouvrières de la confédération.

Ancienne dirigeante de l’Unef (peu avant que le syndicat ne s’étiole et ne perde son pouvoir d’influence), elle a déjà gravité alors entre les différentes cultures de gauche, de l’anticapitalisme à la social-démocratie, pour en incarner – avec d’autres – une synthèse dynamique, malgré la morosité ambiante.

À LIRE AUSSI Comment la CGT a placé par surprise Sophie Binet à sa tête 31 mars 2023 Alors que le mouvement des retraites est percuté par l’actualité des luttes écologistes, la nouvelle patronne de la CGT incarne aussi la frange du syndicat qui assume le plus un engagement vert : à l’Ugict, fédération des cadres qu’elle dirigeait jusque-là, elle a lancé un « radar travail et environnement », « un outil destiné à donner à l’ensemble des salariés et fonctionnaires les moyens de peser sur la transformation écologique de leur entreprise ou collectivité ».

Sophie Binet s’est aussi illustrée dans le combat pour la reconnaissance des lanceurs et lanceuses d’alerte, en cohérence avec le souci grandissant de lutter contre l’opacité des pouvoirs politiques et financiers. À la tribune du congrès, pour son premier discours de secrétaire générale, elle a également tenu à rappeler les « orientations internationalistes » de son syndicat.

Avec l’élection de Sophie Binet, et même si l’on a déjà vu par le passé des bonnes nouvelles se fracasser sur le mur de la réalité politique, c’est cette ouverture d’esprit sur des bases clairement renouvelées à gauche qui est aussi saluée aujourd’hui. Au reste des composantes du mouvement social et du progressisme politique d’en accompagner la dynamique, pour enfin sortir de l’ornière dans laquelle l’ont plongée tant de trahisons passées.

Stéphane Alliès et Lénaïg Bredoux


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message