Finale de la coupe de France foot : le stade Potemkine d’Emmanuel Macron

mardi 2 mai 2023.
 

Le président de la République foule aux pieds les libertés, mais plus la pelouse du Stade de France. Alors que la préfecture puis les stadiers ont tenté d’empêcher les manifestations d’hostilité, il a renoncé samedi soir à saluer les joueurs sur le terrain lors de la finale de la Coupe de France, par crainte des huées et de la colère du public.

Des poignées de main furtives dans un couloir du Stade de France. Un protocole organisé en catimini, pour éviter au président de la République d’avoir à pénétrer sur la pelouse. La finale de la Coupe de France de football aura donné à voir, en plus de la large victoire de Toulouse contre Nantes (5-1), l’étendue de l’impopularité d’Emmanuel Macron.

Pour le chef de l’État, le symbole est particulièrement désastreux. C’est lui qui avait remis au goût du jour cette vieille habitude présidentielle de saluer, un à un, les finalistes de la Coupe de France de football sur la pelouse de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Fan de football, Emmanuel Macron n’avait jamais caché son goût pour ces moments, comme pour ceux passés à remettre le trophée au vainqueur, sur la pelouse également.

Le cru 2023 de la plus ancienne des compétitions de football en France restera dans les annales… pour sa dimension politique et sociale. Réélu il y a tout juste un an, Emmanuel Macron a déjà dû renoncer à plusieurs apparitions publiques depuis la promulgation de la réforme des retraites. Mais la dérobade du Stade de France est la plus cruelle de toutes pour les soutiens du président de la République.

Ces derniers jours, celui-ci multipliait les déplacements à travers le pays pour montrer que rien ne pouvait le priver d’arpenter le pays. « Mieux vaut un président chahuté qu’un président empêché », vantait le ministre Gabriel Attal, saluant le « courage » du chef de l’État. Dans Le Parisien, Emmanuel Macron lui-même fanfaronnait : « Quand je vais dans un village sans être annoncé, il n’y a pas de casseroles et je parle avec des gens parce qu’il n’y a pas d’organisation de la contestation. Ce n’est pas falsifié. »

Samedi, les tribunes du Stade de France étaient pleines de supporters de Nantes et de Toulouse, pas de cortèges syndicaux. Le président de la République et son entourage ont pourtant rivalisé de précautions pour éviter d’exposer la colère sociale aux yeux du pays. Quitte à enfreindre la loi. Samedi après-midi, quelques heures seulement avant la rencontre, le tribunal administratif a suspendu un arrêté signé par le préfet de police de Paris, interdisant un rassemblement syndical prévu à l’extérieur du Stade de France.

La justice a estimé qu’il s’agissait d’une « atteinte grave à l’exercice des libertés fondamentales et à la liberté de s’exprimer », s’est félicitée l’intersyndicale dans un communiqué. Celle-ci a donc pu accueillir les 78 000 spectateurs à l’entrée du stade et leur distribuer, comme prévu, des cartons rouges et des sifflets destinés à protester contre la réforme des retraites.

Les cartons rouges confisqués par la sécurité

L’énergie répressive des pouvoirs publics ne s’est cependant pas arrêtée là. Les agents de sécurité du Stade de France ont très vite confisqué les sifflets syndicaux, une mesure compréhensible au vu des risques d’interférence avec l’arbitrage de la rencontre, et – plus surprenant – les cartons rouges que se préparait à brandir une partie du public. « Ça montre bien que Macron entend la colère des Français mais qu’il s’en fout, peste Boukary, un supporter nantais de 32 ans, fonctionnaire territorial en région parisienne. Une nouvelle fois, il se protège. C’est un retour à la monarchie. »

Dans le stade, les spectateurs ont pu également constater la présence, divulguée la veille, de grilles de sécurité destinées à prévenir tout envahissement du terrain. Une mesure inhabituelle, qu’ont vivement dénoncée les associations de supporters, rappelant les blessés et les morts que ce type de structures avaient pu engendrer dans l’histoire du football. Enfin, le ministère de l’intérieur avait déployé 3 000 policiers et gendarmes autour du stade, soit trois fois plus que pour la précédente finale de la Coupe de France.

La colère s’est finalement manifestée avec parcimonie, essentiellement symbolisée par quelques huées descendant des travées à la 49e minute de la rencontre (une allusion au 49-3 utilisé pour adopter le texte à l’Assemblée nationale). Aux abords du stade, la colère, elle, se faisait entendre avec plus de netteté. « Macron se barricade car la colère est trop grande, jugeait Simon avant la rencontre. Mais jusqu’où ça peut tenir ? Il est le premier à utiliser les manifestations sportives pour faire sa communication. Aujourd’hui, c’est nous qui l’utilisons pour nous faire entendre. »

On a un président qui ne pourra bientôt plus sortir de son palais doré.

Gilles, un supporter présent au stade

Guillaume, un ultra nantais, rappelait que les mesures « liberticides » ne sont pas nouvelles pour les supporters de football, habitués des interdictions de stade ou des interdictions de déplacements. « La réforme des retraites doit nous mobiliser plus que le foot, ce soir », estimait-il. À ses côtés, Maxence pensait à son père en invalidité à 60 ans après « une vie à l’usine ». « C’est pour lui que je manifeste et c’est pour lui que je sifflerai ce soir », prévenait le trentenaire.

D’autres supporters évitaient, quant à eux, de saisir les tracts et les cartons distribués par les militants syndicaux. « Même si Macron le fait très souvent, hélas, je ne veux pas mélanger le foot et la politique », dit par exemple Gilles, cadre dans l’informatique. Le quinquagénaire a pourtant des choses à dire sur l’action du pouvoir. « On a un président qui ne pourra bientôt plus sortir de son palais doré, peste-t-il, se disant consterné par les interdictions préfectorales. C’est la plus grosse crise qu’on vit en France et elle risque de très mal se terminer. Jusqu’au bout, Macron nous piétinera et conduira le pays au pire. »

Jusqu’au bout de la soirée, le chef de l’État aura évité de s’exposer à son impopularité. Après une finale pliée en trente minutes par l’équipe de Toulouse, Emmanuel Macron a remis le trophée aux vainqueurs en toute discrétion, derrière la nuée de joueurs et loin des embrassades démonstratives dont il est habituellement friand. Récemment interrogé sur sa discrétion pendant les débats sur sa réforme, Emmanuel Macron a glissé à une lectrice du Parisien : « Peut-être que j’aurais dû plus me mouiller. » Le grand bain du Stade de France l’aura finalement dissuadé de changer d’avis.

Pascale Pascariello et Ilyes Ramdani


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