Récit du procès WaffenKrakt – « Faire au moins 50 morts, faire pire que le Bataclan » : Alexandre Gilet, la menace terroriste d’extrême droite

jeudi 13 juillet 2023.
 

Un procès historique s’est ouvert ce lundi matin sur l’île de la Cité à Paris : le premier procès pour terrorisme d’extrême droite à être jugé devant une cour d’assises en France. Le procès « WaffenKraft » (« puissance de feu » en allemand), du nom d’un groupe de conversation sur la plateforme Discord, qui rassemblait quatre jeunes néonazis. Ils ont aujourd’hui 22, 25, 26 et 27 ans. Quatre jeunes Français qui partageaient, outre la passion des jeux vidéo, une fascination pour Adolf Hitler et pour Anders Breivik, le terroriste d’extrême droite qui a tué 77 personnes le 22 juillet 2011 à Oslo. Le projet WaffenKfrat ? Une tuerie de masse sur le sol français.

À l’été 2018, les quatre jeunes geeks se donnent rendez-vous pour un week-end « IRL » (pour « In real life » en anglais, dans la vraie vie). Le lieu : une forêt à côté de Tours. L’activité : s’entraîner au tir, écouter de la musique d’extrême droite et faire des saluts nazis. Les armes : des kalachnikovs. Les discussions : types d’explosifs et projet d’attentat. Les cibles : un meeting de Jean-Luc Mélenchon, le rappeur Médine, des mosquées, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), des ministères, le Parlement européen, etc. Le leader : Alexandre Gilet, gendarme.

630 munitions de calibre 7,62 mm pour fusils d’assaut, deux kalachnikovs, un équipement de laboratoire et des produits de précurseurs d’explosifs (TATP) ont été retrouvé à son domicile. Ainsi qu’un manifeste Tactiques et opérations de guérilla, dans lequel le gendarme décrit des « techniques d’opérations pour faire un maximum de dommages en un minimum de temps » et conseille notamment l’utilisation d’un poids lourd pour faire « un maximum de morts ». L’objectif d’Alexandre Gilet ? Faire « au moins 50 morts », et même : « faire pire que le Bataclan ». La date de l’attentat avait été fixée : le 13 novembre 2018. C’est ce qui ressort des différents témoignages entendus ce lundi au tribunal : une rupture biographique au moment des attentats du 13 novembre 2015.

L’insoumission.fr était présente au tribunal pour assister à la première journée d’audience ce lundi, et va couvrir l’ensemble du procès jusqu’au 30 juin. Une première journée consacrée au parcours d’Alexandre Gilet, pour essayer de comprendre : experts en personnalités, sa mère, son père, le commandant de sa gendarmerie, vont se succéder à la barre. Tous décrivent un personnage timide, solitaire, sans problème, à part peut-être son addiction aux écrans, qui va progressivement de plus en plus l’isoler. Alors que la menace du terrorisme d’extrême droite, celle des tueries de masse, grandit, récit d’un procès déterminant pour essayer de comprendre et de protéger le pays. Récit.

Au procès WaffenKraft : « la cour est saisie pour la première fois d’un dossier terroriste dit d’ultra-droite. Une menace particulière, nouvelle, inquiétante, grandissante qui est celle des tueries de masses »

Crâne rasé sur les côtés, mèche longue devant, barbe de trois jours, tee-shirt noir cintré, bras croisé, Alexandre Gilet est seul dans le box des accusés. Ses trois autres complices comparaissent libres. L’un d’entre eux était mineur au moment des faits. Le procès devait donc se tenir à huis clos. Mais la plaidoirie de l’avocat général va faire mouche : « la cour est saisie pour la première fois d’un dossier terroriste dit d’ultra-droite. Une menace particulière, nouvelle, inquiétante, grandissante qui est celle des tueries de masses. La société, via la publicité des débats, mérite d’être informé de la réalité de cette menace, c’est un véritable intérêt social que les débats aient lieu publiquement ».

L’insoumission.fr va donc pouvoir assister au premier procès pour terrorisme d’extrême droite à être jugé devant une cour d’assises en France, et non devant le tribunal correctionnel (nous avions par exemple couvert le procès de l’OAS, groupuscule d’extrême droite qui voulait décapiter Christophe Castaner et brûler Jean-Luc Mélenchon au lance-flamme, ndlr). Non seulement la cour décide de la levée du huis-clos, mais va accepter la constitution de parties civiles de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et de Jean-Luc Mélenchon.

Son avocate, Jade Dousselin, souligne qu’il est essentiel que l’ancien candidat à la présidentielle puisse connaître le niveau de danger auquel il a été exposé. Le leader insoumis est de plus en plus souvent visé par cette nouvelle forme de terrorisme, le terrorisme d’extrême droite. Il semble important ici de rappeler que les services de renseignement estiment à plus de 300 le nombre de membres de groupuscules néonazis possédant légalement une ou plusieurs armes à feu. Parmi eux, près de 150 font l’objet d’une fiche sûreté de l’État, la célèbre « fiche S ».

En prison, Alexandre Gilet serait devenu ami d’Hervé Ryssen, essayiste d’extrême droite qui a travaillé pour Rivarol, militant ouvertement « raciste », « antijuif », « antisémite », et négationniste

Après la levée du huis clos et la constitution des parties civiles, le président invite Alexandre Gilet à se lever. Seul dans le box, le principal accusé reconnaît sa part de responsabilité, souligne la source de sa radicalisation, les attentats de 2015, et affirme qu’il ne « se sentait pas psychologiquement de passer à l’acte ». Le principal accusé, qui voulait « faire au moins 50 morts, faire pire que le bataclan », affirme aujourd’hui vouloir se réinsérer « par un emploi qui l’attend dans une carrière à Valence » à côté de chez sa sœur. Nombreux dans la salle d’audience doutent de sa sincérité.

L’avocate de la Licra l’interroge sur ses amis en prison. Alexandre Gilet reconnaît qu’il s’en est fait mais ne veut pas donner de noms. L’avocate fait remarquer qu’il est ami d’Hervé Ryssen, essayiste d’extrême droite qui a travaillé pour Rivarol, militant ouvertement « raciste », « antijuif », « antisémite », et négationniste, en prison depuis septembre 2020. L’avocat général demande à l’enquêtrice qui a vu Alexandre Gilet le 12 mai dernier, si l’accusé se revendique toujours « d’ultradroite ». S’il ne reprend pas ce mot à son compte, quand Alexandre Gilet parle de ses convictions, « il parle au présent » affirme l’enquêtrice. Et cite notamment Donald Trump comme figure appréciée.

Après les enquêtrices et enquêteurs de personnalités, vient le tour des parents d’Alexandre Gilet. Une mère agent d’entretien, un père cuisinier, qui vont se séparer à ses 3 ans. Premier élément qu’il va d’ailleurs citer à la barre pour parler de son enfance. Les autres accusés ont eu des enfances chaotiques : mères bipolaires ou décédées, pères violents ou absents échec scolaire…Mais pas Alexandre Gilet, à première vue en tout cas. La mère de l’accusé : « il a eu une enfance très très bien, il avait beaucoup de copains qui venaient jouer à la maison. Au collège, ça se passait bien ».

Un usage problématique des écrans et une difficulté à nouer des liens d’amitiés, fascination pour la période des croisades et la Seconde guerre mondiale

Mais un élément ressort des différents témoignages : l’importance des écrans dans la vie d’Alexandre Gilet et la solitude qui en découle. L’enquêtrice de personnalité : « un usage [des écrans] qui s’est amplifié avec le temps et au fur et à mesure qu’il s’intensifiait, il désinvestissait les liens créés dans la vraie vie ». Interrogé sur ses difficultés à nouer des liens d’amitié à partir du collège, évoquées par plusieurs témoins, Alexandre Gilet répond : « j’étais dans un mode de vie solitaire. Ce n’était pas une difficulté à aller vers l’autre. C’est juste que ça ne m’intéressait pas ». Selon ses deux parents, Alexandre Gilet « était discret, calme, introverti depuis son enfance, il ne se livrait pas du tout et passait beaucoup de temps sur son ordi ».

Et sa fascination néo-nazie ? Ses parents tombent de haut. « Je n’aime pas tout ce qui est nazi » dit sa mère, provoquant des sourires de la cour. Son père souligne qu’il a des amis de toutes les origines, que ce n’est pas du tout l’éducation et les valeurs qu’il a essayé de transmettre. Le père d’Alexandre Gilet raconte qu’il a emmené son fils sur la tombe de son arrière grand père, tué par des nazis. Une piste ? « Je me suis toujours intéressé à l’Histoire depuis mon plus jeune âge, surtout aux croisades et à la période du Moyen Age, à la Seconde guerre mondiale ». Son surnom sur le forum « Projet WaffenKraft » ? « FrenchCrusader », en référence « aux soldats chrétiens du Moyen Âge luttant contre les envahisseurs islamiques ». Au sein de l’extrême droite, le Saint Empire romain germanique est souvent assimilé à un âge d’or perdu, la figure du preux chevalier exaltée.

Un autre sujet est mis sur la table : sa formation de chauffeur poids lourd. L’accusation fait le lien entre cette formation et l’un des 2 manifestes rédigés par Alexandre Gilet. Il parle d’attaque au camion-bélier pour faire « un maximum de morts ».

Fin du premier épisode de notre récit du procès WaffenKraft.

Par Pierre Joigneaux.


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