Fête du 14 Juillet : le blanchiment d’agents sales

dimanche 23 juillet 2023.
 

La fête nationale était à l’origine conçue par et pour le peuple. Ce symbole démocratique est devenu l’apanage d’un président prépotent, qui invite de funestes fripouilles à venir se refaire une beauté politique au pays des droits de l’homme et du citoyen.

Ça ressemble aux titres de films à sketchs italiens : Les Monstres et Les Nouveaux Monstres. Le 14 Juillet s’avère en effet, désormais, prétexte à convier quelques sagouins choisis parmi les chefs d’État de la planète. Celle-ci, certes, ne compte pas uniquement des saints au sommet : raison de plus pour que la fête demeure nationale ! Non pas du fait d’un quelconque renfermement xénophobe. Plutôt en vertu d’une aversion contre les glissements progressifs du plaisir antidémocratique.

Nous barbotons dans une contradiction aussi pénible que patente. Qu’est-ce que le 14 Juillet ? Réponse de la voix de la France au-dehors, le pourtant très gourmé Quai d’Orsay, à travers, par exemple, le site de notre ambassade au Costa Rica : « La fête nationale se construit sur le souvenir et la signification de deux événements révolutionnaires qui placent le peuple au cœur de l’action, à la fois acteur et objet, sujet et finalité. »

On prend la Bastille en 1789 mais on invite l’embastilleur indien Modi en 2023 ? On raccourcit Louis XVI mais on rehausse sur tapis rouge, à la tribune officielle, une tripotée de despotes ? Et ce, au mépris de la canaille (ainsi le peuple est-il redevenu), priée d’assister sans mot dire (alors que la Révolution avait porté la délibération au sommet), selon le bon plaisir (stigmate de l’Ancien Régime) d’un président monarchien au possible…

Le pli ne date pas d’hier. Dès le 14 juillet 1945, sentant le vent de la décolonisation qu’il entendait prévenir en dépit de son discours de Brazzaville, le général de Gaulle invitait à passer les troupes en revue le bey de Tunis – « le bey des Français » selon les nationalistes tunisiens.

Histoire d’agrémenter la mystification coloniale, Charles de Gaulle profitait de cette première fête nationale, au sortir de la guerre, pour élever à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur quatre bachagas algériens – c’est-à-dire quatre collaborateurs suprêmes de la domination française, sous couvert du système du caïdat.

Une fois perché à l’Élysée en 1958, Charles de Gaulle se voulut le gardien fort intransigeant d’un pré carré forcément français – pour des raisons tenant davantage à sa fibre nationaliste qu’à son messianisme démocratique. D’où le refus gaullien de participer, le 6 juin 1964 – il s’était déjà abstenu le 6 juin 1945 –, à la commémoration, en Normandie, de ce « débarquement des Anglo-Saxons » dont la France (c’est-à-dire lui-même) fut exclue…

C’est à François Mitterrand que revint l’idée d’inviter lesdits Anglo-Saxons à débarquer, royalement, un sacré 14 juillet. Celui du bicentenaire de la Révolution française, avec tout le tralala goudo-langien, qui transforma le défilé en fête un rien déjantée, sinon populaire. Le tout sous les yeux plus ahuris que conquis de Bush le Vieux et surtout de Mrs Thatcher, pas révolutionnaire pour un sou.

Le dévoiement pouvait alors commencer. D’abord moderato. Dix ans après, en 1999, Jacques Chirac conviait à présider à son côté les cérémonies du 14 Juillet notre ami le roi Hassan II du Maroc, personnage qui mêlait à la raison d’État un sadisme personnel à toute épreuve. Se profilait de la sorte un rôle de président-paillasson, priant quelques escarpins ensanglantés de bien vouloir venir s’essuyer sur la République française.

Le pompon revient à Nicolas Sarkozy, en 2008 : une folle invite, dans un confusionnisme surchauffé le disputant à une mégalomanie galopante. Était mandé cette année-là un parterre sans précédent de dirigeants étrangers : Bachar al-Assad, en particulier avait choqué par sa présence. Il y avait également l’Égyptien Hosni Moubarak ainsi qu’une pléiade de dirigeants du Proche-Orient (le Palestinien Mahmoud Abbas et l’Israélien Ehud Olmert en particulier). Paris avait lancé la veille l’Union pour la Méditerranée et l’heure paraissait propice à un « Embrassons-nous Folleville » levantin, aux yeux de l’Élysée d’alors.

Pour finir, Macron vint Tirant profit de l’embrouillamini comme il l’a toujours fait – ainsi subtilisa-t-il le sommet de l’État lors de présidentielles dupeuses –, Emmanuel Macron en vint à soumettre le 14 Juillet à ses desiderata passant pour ambition.

On le vit inviter le président Trump en 2017 (centenaire de l’entrée en guerre des troupes du général Pershing), persuadé que son charme insensé allait opérer subito : le Donald deviendrait moins déraisonnable l’espace d’un défilé sur les Champs-Élysées.

C’est donc aujourd’hui le tour de Modi, l’un des piliers les plus retors de l’autoritarisme planétaire, qui ambitionne de mettre au pas les démocraties subsidiaires en ce bas monde ; avec l’aide d’autres dirigeants « illibéraux » – de Viktor Orbán à Benyamin Nétanyahou.

Et voilà comme le huitième président de la Ve République, auteur d’un livre d’esbroufe antithétique intitulé Révolution, transforme le 14 Juillet en « saturnales républicaines » – tel était le reproche qu’adressait la droite monarchiste quand fut instituée cette fête nationale, en 1880.

Ainsi va le retournement réactionnaire révélateur d’Emmanuel Macron, qui aura passé son « en même temps » élyséen à brûler ce qu’il avait adoré tout en adorant ce qu’il avait brûlé. À ce compte, il lui reste trois 14 Juillet pour solliciter la présence d’une brute absolutiste en quête de réhabilitation : le prince héritier du royaume d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, une sorte de Louis XVI qui se serait approprié la guillotine.

Peut-on rêver boucle plus souverainement bouclée ?

Antoine Perraud


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