La Macronie, un pouvoir sans repères

vendredi 28 juillet 2023.
 

Déni des violences policières, silence sur le rachat du « JDD », soutien minimal et tardif du ministre de l’éducation nationale… Ces derniers jours, le pouvoir macroniste a semblé plus que jamais inconséquent, quitte à se mettre dans la roue de l’extrême droite.

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Il faudrait ressusciter Voltaire pour raconter comment la patrie dite « des droits de l’homme » a peu à peu sombré dans la nuit démocratique. Passer par la naïveté feinte d’un Candide pour nous extraire de l’habituation lente et nous aider à prendre la juste mesure de ce monstre politique qui n’en finit pas de grossir sous nos yeux.

Il faut ainsi regarder attentivement ce qu’il s’est passé ces derniers jours au sein d’une « Macronie » en plein effondrement politique et moral. Un pouvoir où, par lâcheté ou petits calculs politiciens, pas un ministre n’est venu à la rescousse de Pap Ndiaye, harcelé comme jamais par la fachosphère et cloué au pilori à une heure de grande écoute par la journaliste Laurence Ferrari. Sa faute ? Avoir osé qualifier d’extrême droite un média… d’extrême droite – en l’occurrence, CNews.

Mardi 11 juillet, c’est sous le regard fuyant d’Élisabeth Borne, assise au banc des ministres, que le ministre de l’éducation nationale a dû, seul, rendre des comptes face au député Les Républicains (LR) Philippe Gosselin qui l’accusait de jouer au « censeur » et au « philosophe de bas étage ». Et c’est dans un silence de plomb, à peine rompu par quelques salves d’applaudissements émanant principalement de la gauche de l’hémicycle, que le même s’est « étonné » que quelqu’un puisse être « surpris par [un] constat, somme toute banal ».

Rare députée à s’être risquée à prendre la parole, mercredi, dans Libération, Caroline Janvier a « regrett[é] que le gouvernement ait décidé de ne pas soutenir Pap Ndiaye » et dit « trouve[r] [l]a position [du ministre] courageuse ».

Jeudi, lors d’un conseil des ministres, Emmanuel Macron est finalement lui aussi sorti de son silence pour une expression minimale de soutien à Pap Ndiaye au nom de « la liberté d’expression » et a reconnu que « rien ne justifi[ait] de s’attaquer à un ministre », car cela « ne serait pas un bon signe pour la démocratie », a indiqué Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, avant de préciser toutefois qu’il ne « revient pas [au gouvernement] de commenter l’action de tel actionnaire dans un groupe de médias privés ».

Qu’un ministre se voie, pendant des jours et des jours, froidement abandonné à son sort par un gouvernement qui a, pêle-mêle, refusé de condamner les bras d’honneur de son garde des Sceaux en plein hémicycle, soutenu un ministre de l’intérieur qui suggérait de couper les vivres à la Ligue des droits de l’homme, et montré son peu d’appétence à réprouver les propos clairement homophobes de sa ministre des collectivités locales, a certes de quoi étonner. Mais sur le fond, difficile de parler de « surprise ».

Cela fait en effet bien longtemps que le petit monde macronien a perdu les repères les plus élémentaires. Pourtant reconduit au pouvoir en 2022 pour faire barrage à l’extrême droite, le voilà qui, depuis un an, met le même enthousiasme à diaboliser une « extrême gauche » (sic) – en l’espèce, La France insoumise –, devenue, selon les mots d’un député de la majorité, « un problème démocratique dans le pays », qu’à normaliser une extrême droite qui, peut-être parce qu’elle vote sans broncher la grande majorité des textes gouvernementaux, ne semble, elle, plus du tout poser de « problème ».

On se souvient ainsi d’un Emmanuel Macron rabrouant en plein conseil des ministres sa première ministre pour avoir rappelé les « origines pétainistes » du parti lepéniste. Ou du ministre du travail, Olivier Dussopt, estimant que le Rassemblement national (RN) s’était montré « plus républicain » que LFI pendant l’examen de la réforme des retraites.

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Rien d’anodin, donc, à ce que le week-end dernier, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, se vante d’avoir rebaptisé La France insoumise en « la France incendiaire », soit l’expression exacte utilisée par le président du RN, Jordan Bardella, une semaine plus tôt.

Mardi 11 juillet, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui a toujours répété être un combattant acharné de l’extrême droite, s’est retrouvé, en pleine séance de questions au gouvernement, à conseiller très tranquillement à un député RN de s’adresser au procureur de la République pour sanctionner ses opposants politiques.

Leur faute ? Avoir participé, samedi dernier à Paris, à une manifestation pacifique, mais interdite par la préfecture, contre les violences policières. De quoi valoir à ces dix dangereux humanistes insoumis et écologistes d’apparaître listés un à un dans un courrier signé par les présidents des trois groupes du camp présidentiel (Renaissance, MoDem et Horizons). Un courrier où ces derniers réclament des « peines disciplinaires » à l’encontre de leurs collègues à une présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, déjà recordwoman toutes catégories de la sanction parlementaire sous la Ve République, qui a finalement accusé une fin de non-recevoir aux députés de son camp, jugeant que « ces comportements paraiss[aient] relever pleinement de l’autorité judiciaire ».

Silence dans les rangs Très diserts sur leurs adversaires politiques de gauche qui auraient quitté « l’arc républicain » du fait de leur participation à une manifestation, les mêmes se montrent toutefois d’une prudence de Sioux sur des sujets que l’on imaginerait pourtant indispensables au bon fonctionnement d’une République, à commencer par la pluralité de la presse.

Rien à redire, ainsi, sur la reprise du Journal du dimanche – hebdomadaire dans les colonnes duquel ils ont pourtant eux-mêmes abondamment communiqué – par un milliardaire qui se targue de se « servir des médias pour mener [son] combat civilisationnel contre l’invasion migratoire ».

C’est aussi avec la bénédiction de la députée Renaissance du Nord, Violette Spillebout, que la chanteuse de variété Izïa Higelin s’est vue interdite de représentation par le maire LR de Marcq-en-Barœul pour avoir imaginé Emmanuel Macron en piñata géante durant l’un de ses concerts. Quant à Olivier Véran, également ministre délégué chargé du renouveau démocratique, il a dénoncé la « démagogie » de la chanteuse sur France Info, avant d’expliquer que les élus locaux étaient « libres » d’annuler ses concerts.

© Vidéo Mediapart Sorties fracassantes ou mutisme coupable... Pendant ce temps-là, le silence règne au sein de cette introuvable « aile gauche » de Renaissance qui, terrée on ne sait où, se montre de moins en moins à l’Assemblée nationale mais rechigne toujours à formuler la moindre critique publique un peu conséquente sur la pente inquiétante prise par le pouvoir.

Il faut dire qu’au sein de la majorité ils sont de plus en plus nombreux à le confier en privé : les Insoumis empêchant « par leurs outrances » la gauche d’accéder durablement aux responsabilités, il ne servirait plus à rien de courir après un électorat devenu minoritaire dans le pays. « La France est très à droite, beaucoup plus que ce que l’on pense, on doit lui parler en conséquence », expliquait, avant même le déclenchement des émeutes, un député du camp présidentiel, comme pour justifier l’inéluctabilité de l’extrême-droitisation des discours et des actes.

En face, la gauche, sans cesse renvoyée dans les cordes, et en crise interne permanente, se retrouve contrainte de dépenser davantage d’énergie à se défendre des tirs de barrage qu’à bâtir un espace politique alternatif. Quant au RN, qui voit une à une ses thèses légitimées dans l’opinion sans même avoir besoin de les défendre, il attend, silencieux, que son heure vienne.

Pauline Graulle


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