MACRON ET LA LOGIQUE DU CHAUDRON

mercredi 26 juillet 2023.
 

Par Gérard Miller, psychanalyste, professeur des universités, écrivain.

Le 17 avril dernier, Emmanuel Macron a annoncé dans une allocution officielle qu’il ouvrait « une période d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France ». A cette période, il décida d’associer un chiffre rond, éminemment symbolique depuis 1815, c’est-à-dire depuis la reconquête du pouvoir par Napoléon : 100 jours. Et il précisa alors très clairement que le 14 juillet, date non moins symbolique pour tous les Français, lui permettra de « faire un premier bilan ».

Apprenant que le président de la République ne prendrait finalement pas la parole ledit 14 juillet, un journaliste l’interrogea. Il lui demanda naïvement si c’était la crainte de nouvelles « émeutes » qui l’avait « contraint à repousser (son) adresse aux français pour faire le bilan des 100 jours qui devaient être ceux de l’apaisement ». Piqué au vif, Macron lui répondit en trois points :

Premièrement, « je n’ai pas coutume de repousser des choses qui ne sont pas programmées ».

Deuxièmement, « oui, j’ai dit que je ferai un point autour du 14 juillet ».

Troisièmement, non, « je n’ en ai donné ni la date ni la forme ». Cette réponse a surpris, mais n’a peut-être pas été commentée comme elle le mérite.

Depuis Freud, en effet, cette étrange logique présidentielle a un nom, c’est la logique du chaudron. Dans deux de ses livres, « L’interprétation des rêves » et « Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient », Freud raconte l’histoire d’un homme qu’on appellera A.

A emprunte à B un chaudron de cuivre et après l’avoir rendu, il voit B piquer une colère parce que le chaudron a un grand trou qui le rend inutilisable. Très calmement, A lui dit :

Premièrement je ne t’ai absolument pas emprunté de chaudron.

Deuxièmement, quand tu me l’as prêté, le chaudron avait déjà un trou.

Troisièmement, quand je te l’ai rendu, le chaudron était intact.

A quoi tient l’effet comique de cette histoire ? C’est que prise isolément, chacune des affirmations énoncées par A pour sa défense est possible, vraisemblable, mais comme chacune contredit les deux autres, elles ne peuvent être formulées « en même temps ». D’où l’interprétation de Freud : le raisonnement que suit A ressemble à ce qui se passe dans nos rêves où n’existe justement pas le principe de contradiction. Je peux rêver que c’est la nuit et en même temps il fait jour. Je peux rêver que quelqu’un est mort et en même temps il me parle. Je peux être en même temps à Paris et à Londres, un personnage peut être en même temps grand et petit, l’inconscient ne choisit pas, il laisse coexister ensemble le vrai et le faux. Je peux avoir annoncé que je ferai un bilan le 14 juillet et ne jamais l’avoir dit.

Voilà donc bien, me semble-t-il, ce que révèle cette histoire d’allocution ratée. Depuis 2017, nous sommes gouvernés par un rêveur. Pour lui, les lois logiques de la pensée ne sont pas opérationnelles, il ne connaît pas la contradiction, comme l’inconscient il n’obéit qu’à ses propres règles. Personne ne le prendra jamais en défaut puisqu’il n’a qu’une loi, la sienne. Ah, tiens, vous savez comment Freud définissait l’inconscient, tel qu’on le voit en action dans le rêve : « le royaume de l’illogisme ». Eh bien, grâce à Emmanuel Macron notre République est devenu ce royaume-là.


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