Au cinéma ce soir : Le Juge et l’Assassin de Bertrand Tavernier

samedi 3 novembre 2007.
 

Bon, là vous allez me dire, c’est pas de jeu, Tavernier n’a fait QUE des chefs d’œuvre, trop fastoche de mettre un article. Oui, mais en même temps, s’il fallait ne parler que des navets, pas drôle non plus, mais ça c’est une idée : si on lançait un concours de navets ? Pas sûr non plus que ça soit une bonne idée, il n’ y aurait plus que ça sur tous les sites !

Alors ce soir, dans la série Voir et Revoir, un grand moment de gravité, un grand moment de cinéma. L’histoire de Bouvier, chemineau (et pas cheminot...) de son état. C’est la fin du XIXème siècle, après la Commune, on se doute, il y a des indices ici et là. Notre gars, amoureux fou d’une jolie petite, elle ne veut pas de lui, il lui met des balles dans la tête et essaie de se tuer aussi. Manque de chance, il se loupe. Il l’a loupée également, d’ailleurs, sa Louise. Il en gardera deux balles dans le crâne. Pas facile de vivre avec ça, surtout si tu y rajoutes le souvenir de l’affaire. Enfermé en asile, puis relâché, comme étant sain d’esprit, il s’en va errer sur les routes.

Louise le hante. Alors, accès de folie, il tue et tue encore. Des enfants, des petites, des petits aussi, qui lui ramènent sa Louise, à chaque fois, c’est elle qu’il voit, et la Vierge qui lui dit de tuer. Ces petites, il les laisse là, violées, étranglées, massacrées. Douze... Sorti des ces crises meurtrières, il est un type étrange, Bouvier. Un fou de Dieu. L’anarchiste de Dieu, qu’il se nomme lui-même. Un anarchiste de Dieu qui déteste le clergé, quand même ! Et ne manque pas une occasion de le lui faire savoir. Un juge, au fin fond de l’Ardèche, à Privas, va le traquer. Un des premiers portraits-robots, qu’on diffuse, et voilà Bouvier arrêté, confondu. Le juge ? Un juge...

Un juge de ce temps-là. Anti-dreyfusard, un peu porté sur les demoiselles, du haut de la grandeur de sa fonction, ambitieux et intolérant, et ambigu, encore plus ambigu que l’assassin... L’assassin qui lui dit « Mon juge », comme il lui dirait « Mon Dieu ». Bouvier clamera sa folie, mais un fou ne peut pas être condamné, alors, on s’arrangera pour le déclarer sain d’esprit. Parce que la justice, n’est-ce pas, ne peut admettre qu’on soigne les assassins. Et la guillotine gagnera contre la psychiatrie. Tavernier inscrit son récit dans l’Histoire. Rien n’est anodin, depuis la petite maîtresse du juge, un moment tentée par un « ascenseur social » en forme de lit respectable, celui du juge, bien sûr, mais qui rejoindra finalement « sa » classe, jusqu’à la fugitive image d’un hôpital de pauvres, un cafard courant sur l’oreiller, en passant par un fonctionnaire de retour des colonies, dissimulant mal sa passion des petits Annamites, comme on dit à l’époque...

La fin ? Une fin comme seul Tavernier nous les sert : un soulèvement ouvrier, un appel à l’union avec les soldats, une chanson de Caussimon, des enfants qu’on abat...

L’histoire poursuit son chemin après Bouvier, les notables gagnent, les travailleurs perdent, déjà... La jolie fille, entretenue par le juge, est en tête des révoltés. Elle continue la chanson que l’assassin chantait pendant son terrible périple. Derrière les grilles, une ouvrière et son petit frère (peut-être), étranges doubles de ceux qui fermaient déjà le générique du film précédent : « Que la Fête commence ». Et cette phrase terrible, nous rappelant qu’en même temps que douze enfants étaient massacrés par Bouvier, plus de deux mille autres mouraient dans les mines du capital et dans les usines des patrons, ce capital et ces patrons qu’une justice de classe protège.

Le juge, Philippe Noiret, parfait, distant et trouble, fils aimant, mais amant brutal et malheureux. L’assassin, Michel Galabru, dont on n’avait pas encore soupçonné quel acteur il est, lorsqu’on lui donne des rôles à sa mesure, loin des sous-doués en vadrouille, Galabru halluciné, habité. Brialy, nostalgique du Tonkin, qui finira, étrange osmose, par se mettre lui aussi une balle dans la tête, peut-être trop honteux d’amours interdites ? Isabelle Huppert, douce et résignée, mais qui montrera le chemin, aux deux sens du mot. On va même apercevoir Marcel Azzola (oui, LE Marcel de Brel), gapette en tête, accordéonnant la chanson du film. À coup sûr un grand film. Une histoire dans l’Histoire, des crimes au milieu de tant de crimes, des hommes différents, des classes opposées qui ne peuvent se rejoindre que dans l’affrontement, inévitable...


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