À Angers, la justice délivre un blanc-seing à une milice « armée » d’extrême droite

lundi 28 août 2023.
 

Le parquet avait requis une interdiction de séjour de deux ans à Angers contre des anciens de l’Alvarium, un groupuscule d’extrême droite dissous, pour des violences commises en marge des manifestations pour Nahel. Trois des quatre prévenus ont été relaxés.

Ils ne sont que quatre. Comparaissent libres. On leur reproche une simple « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens commis » et, pour l’un d’entre eux, des violences n’ayant pas entraîné d’incapacité. Une audience comme il y en a tous les jours, dans tous les tribunaux correctionnels de l’Hexagone. Une audience ordinaire. Ou presque.

Car, au-delà des faits jugés, c’est aussi l’histoire d’une petite bande de nervis qui, en un peu moins de six ans, a fait de la paisible Angers (Maine-et-Loire) un bastion de l’extrême droite et de son bras armé, l’ultradroite. En creux, ce procès se déroulant dans la torpeur aoûtienne est aussi le constat de l’impuissance de l’État à faire cesser un trouble persistant et récurrent à l’ordre public de la part de quelques dizaines d’individus au sein d’une ville de 155 000 habitants. Un trouble que le parquet d’Angers a manifestement envie de faire cesser. Outre des peines de prison allant de six mois de sursis simple à douze mois dont six ferme, sa représentante a requis à l’encontre de chacun des prévenus deux ans d’interdiction de séjour à Angers.

Aux environs de 22 h 30 ce jeudi 10 août, le tribunal correctionnel d’Angers a condamné à trois mois avec sursis l’un des prévenus pour des violences qu’il avait avouées à l’audience mais a relaxé les trois autres au nom de « l’état de nécessité », considérant qu’ils ont répondu sans excès à une menace les visant. Deux heures après avoir été prononcé, le « Force doit rester à la loi et pas aux groupes armées », concluant le réquisitoire de la procureure Béatrice Nectoux résonnait étrangement à l’issue de ce délibéré.

Mais revenons aux faits. Le vendredi 30 juin, comme un peu partout en France, Angers est le théâtre d’une manifestation contre les violences policières, après la mort de Nahel, tué par un motard de la police à Nanterre. Comme un peu partout en France, le rassemblement n’a pas été autorisé par le préfet. Comme un peu partout en France, les manifestants sont dispersés par les forces de l’ordre. Mais, à la différence de ce qui se passe ailleurs, des manifestants dispersés croisent la route des militants de l’Alvarium, un groupuscule d’ultradroite dissous en 2021. Ils sont armés de bâtons et de battes de baseball dont ils s’empressent de faire usage. Comme l’immortalisent des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.

Le lendemain, une soixantaine de personnes s’est réunie devant leur local, une trentaine d’entre eux « ont poursuivi en courant des individus, armés d’un couteau et de bâtons », puis « ont fait usage de fumigènes pour entraver l’intervention des forces de l’ordre », selon l’arrêté du maire.

« Terrorisés » par les antifas

Dans la foulée, Ouest-France révèle qu’une enquête pour « attroupement armé » a été ouverte par le parquet d’Angers et une perquisition a été effectuée, dès le lundi 3 juillet au matin, dans le local de l’Alvarium. Ce qui avait fait aussitôt réagir Jean-Eudes Gannat, l’un des fondateurs et porte-parole du groupuscule. Dans une vidéo publiée le lundi matin même sur son compte Instagram, et relayée notamment par le GUD Paris sur Twitter, il dénonçait la perquisition, dans un contexte où, dit-il, « l’extrême gauche » et « la racaille immigrée » ont « foutu le feu à un parc, des voitures, une mairie, un commissariat de quartier ». Il affirme que « les jeunes patriotes » n’ont fait que se défendre « face à des mecs armés de couteaux et de hachoirs ».

Et interrogeait : « Le but c’est quoi ? C’est qu’on se laisse faire, qu’il y ait des morts, ou qu’au contraire il y ait un jeune déséquilibré d’extrême droite qui pète un watt et qui fasse du terrorisme ? » Dans cette vidéo, il réclamait aussi du soutien financier. « On a vraiment besoin d’aide, la répression judiciaire qui s’abat […] va nous coûter très cher. Aidez-nous à vous défendre s’il vous plaît. »

Un mois plus tard, Jean-Eudes Gannat prend place en effet sur le banc des prévenus.

Les racailles foutent la France à feu et à sang en toute impunité, mais le parquet d’Anger décide de poursuivre nos camarades du @RedAngers pour avoir défendu leur local. Nous partageons donc la cagnotte de soutien. Face à la répression, la solidarité ! https://t.co/9eSW0xjFlq pic.twitter.com/fC8PgFHYwt

— GUD Paris (@GUDparis) July 3, 2023

Même si ce n’est pas sur lui que pèsent les charges les plus lourdes, Gannat aimante tous les regards. Ce jeune homme de 28 ans, fils d’un ex-conseiller régional du Front national, a d’abord milité dans les rangs du FN : il fut candidat aux élections municipales en 2014, puis aux départementales en 2015 à Angers, et responsable nord-ouest de l’équipe de Riwal en 2017 – l’agence de communication prestataire, pendant des années, des campagnes frontistes. Marié et père de trois enfants, il est aujourd’hui traiteur. « Suite à la dissolution de l’Alvarium j’ai quasiment décidé d’arrêter de militer », assure-t-il à la barre.

Ce n’est pas tout à fait vrai. Cette année, alors que l’extrême droite se mobilisait, en n’hésitant pas à utiliser un vocabulaire empreint d’antisémitisme et autres expressions racistes, dans la cadre de batailles locales contre l’accueil de réfugiés à Callac et Saint-Brevin-les-Pins, Gannat déclare au site d’extrême droite Breizh-info : « [Ceux qui soutiennent le projet] font le jeu d’une élite mondialiste qui tire profit financièrement de tout cela. »

Jean-Eudes Gannat est de tous les combats récents de l’extrême droite et une de ses figures montantes. Avant la dissolution, il se serait rendu, d’après ses dires, à Lesbos, signant à son retour un article pour le journal d’extrême droite Présent. Après l’annonce de l’ouverture des frontières par Ankara aux migrants voulant rejoindre l’Europe, l’île grecque était devenue en 2020 le centre de la communication des groupes d’extrême droite européens. Pendant ce temps, son groupe, l’Alvarium, relayait la photo d’une affiche : « Aujourd’hui Lesbos, demain Angers ! Contre la guerre, vive les frontières ! Soutien aux Grecs. »

En 2021, Solidarité Arménie, une association qu’il a co-fondée, se démultiplie à l’occasion du conflit au Haut-Karabakh. « En tant que militant nationaliste et catholique, c’est un pays qui me parlait particulièrement », confiait à l’époque Gannat à Mediapart. Son association « a fait des dons aux hôpitaux, distribué des couvertures, etc. » Gannat et son association ne sont pas les seuls dans cette entreprise humanitaire. Dès la reprise du conflit opposant l’Arménie à l’Azerbaïdjan pour le contrôle de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, plusieurs groupes identitaires français se sont emparés de la situation du Caucase pour appeler à la défense de l’Arménie en tant que « premier royaume chrétien du monde », transformant un conflit territorial postsoviétique en affrontement millénaire entre l’islam et la chrétienté.

Bref, l’homme ne fuit pas les médias (même Mediapart), s’exprime bien et assume ses positions et un discours qui sait rester aux frontières de la légalité. Du moins, le concernant.

Inauguré en janvier 2018, l’Alvarium (« la ruche », en latin), un local et bar associatif d’extrême droite devenu un groupuscule se revendiquant à la fois d’un courant catholique identitaire et nationaliste-révolutionnaire, a été dissous le 17 novembre 2021, en raison de ses appels « à la violence et à la discrimination » et parce qu’il « alimente un discours de haine assumée ». À l’origine, l’Alvarium se définissait comme « un centre communautaire d’actions sociales et culturelles en Anjou », s’était fait connaître en occupant illégalement un immeuble vacant en 2020, sur la façade duquel avaient été accrochées des banderoles « La France aux Français » et « Logement : appliquons la préférence nationale ».

Au lendemain de la dissolution du Bastion social, le groupe dominant à la fin de la décennie, plusieurs groupuscules qui partagent « son patrimoine idéologique et militant autant que son identité visuelle », prennent sa place, notera dans un rapport consacré à l’ultradroite le parquet général de Paris. L’Alvarium figure dans le lot. Mais les membres de ces divers groupuscules « qui veulent se donner un vernis social », considère dans un réquisitoire le Parquet national antiterroriste, se rendent aussi coupables d’actions violentes.

En la matière, l’Alvarium est même la tête de pont.

Son bar, situé dans une ruelle jouxtant le centre-ville piéton, sert de point de fixation et ses environs sont régulièrement le lieu d’échauffourées avec les militants antifascistes locaux. Comme le chroniquera Ouest-France, notamment cette fois où trois membres de l’Alvarium avaient organisé une expédition punitive contre ceux qui auraient eu l’outrecuidance de poser un autocollant moqueur sur la devanture de leur cher bar. Au nom d’un soi-disant « droit à l’autodéfense », ils avaient passé à tabac sept personnes. Parmi les trois militants d’extrême droite qui seront condamnés pour ces faits, François-Aubert Gannat, le frère de Jean-Eudes, qui sera écroué pour l’occasion.

Le fait d’être dans un local, on est affublé de l’étiquette de fasciste. On risque sa santé rien qu’en se promenant dans la rue.

Un des prévenus

À entendre ce jeudi les quatre prévenus à la barre et leurs avocats, la renommée « de ce local » - chacun prend bien soin à l’audience d’éviter de prononcer le nom - leur vaut de vivre un enfer et expliquerait les délits qu’on leur reproche ce jeudi.

« Le fait d’être dans un local, on est affublé de l’étiquette de fasciste. On risque sa santé rien qu’en se promenant dans la rue », dit l’un. « On est systématiquement fiché. Des sites d’extrême gauche répertorient nos identités, parfois nos adresses, les articles de presse qui parlent de nous », se plaint un autre. Un avocat produit une menace de mort adressée sur un réseau social à son client. « Voilà je vous explique ce qu’ils subissent ! », insiste le conseil qui questionne ensuite son client déjà condamné à une peine d’amende dans le cadre des violences ayant eu cours lors de la Marche du souvenir vendéen organisée au Mans :

« Isolé en ville, dans votre voiture, vous courrez un danger réel si vous croisez des antifas ?

– Oh oui ! »

Le 30 juin et les jours suivants, les prévenus qu’un de leurs avocats qualifie comme faisant partie de « la mouvance de droite affirmée », auraient été victimes d’un piège tendu par ces « gens d’extrême gauche » qui auraient attiré les « jeunes de banlieue [sic] » dans le centre-ville d’Angers « et plus particulièrement sur ce local »…

Le décret portant dissolution de l’Alvarium donnait à voir une autre lecture de l’histoire de ces militants d’extrême droite. Il soulignait parmi les faits d’armes du groupuscule : une agression fin 2018 au cours de laquelle la victime, après avoir essuyé des coups, sera contrainte à effectuer un salut nazi ; des jets de projectile sur des policiers lors de la Marche du souvenir vendéen organisée au Mans en 2019 ; une descente dans un squat antifasciste d’Angers en 2020 au cours de laquelle des membres de l’Alvarium démolissaient à l’aide d’une masse plusieurs vitrines et ont visité les cinq étages de l’immeuble. Le décret soulignait enfin que les membres de l’association (comptant près de 130 membres s’acquittant d’une cotisation annuelle) s’entraînent régulièrement à des sports de combat dans une salle installée en sous-sol d’un appartement.

Bonnet brun et brun bonnet

Comme souvent, la dissolution n’a pas empêché l’activité du groupuscule. Son local accueille désormais les membres du « RED Angers » (pour Rassemblement étudiant de droite), son nouvel avatar. Début avril 2022, un peu plus d’un mois après l’invasion de l’Ukraine, RED Angers organisait un convoi en direction de Lviv. Sur les réseaux sociaux, les militants assuraient avoir livré « du matériel médical et des casques » et prenaient la pose aux côtés d’un drapeau du parti ultranationaliste ukrainien Secteur droit.

Mais l’Alvarium et RED Angers seraient deux mouvements distincts. Le RED serait « un mouvement étudiant » et « politique-politique », quand l’Alvarium serait « métapolitique » et « pas réservé aux jeunes », expliquait l’an dernier à Libération Jean-Eudes Gannat tandis que le porte-parole du RED, Gaspard Beaumier jurait en écho : « On n’a pas du tout les mêmes vocations, on ne vise pas du tout le même public, ce n’est pas du tout les mêmes personnes ». Un discours visant à réfuter l’accusation de reconstitution de ligue dissoute qui sonne faux ce jeudi dans le prétoire. Gaspard Beaumier a pris place sur le banc des prévenus aux côtés de Jean-Eudes Gannat. Ils étaient côte à côte aussi lors des violences du 30 juin dernier…

À l’étudiant Beaumier en troisième année de Master de droit privé qui a été vu en train de lancer une canette de bière, le président du tribunal correctionnel, Guillaume Bocobza-Berlaud, demande :

« Pourquoi des personnes se postent devant le local masqués ? Vous faites souvent ça dans les réunions étudiantes ?

– Je ne sais pas.

– Je veux bien que ce soit un local étudiant mais pourquoi les gens sont armés de bâtons et de battes de baseball ? » persiste le magistrat qui, avec ses questions simples, déstabilise les prévenus, sans que ceux-ci offrent toutefois des réponses satisfaisantes.

En « état de stress », il frappe un homme à terre

Il est vrai que lors des manifestations à Angers ayant suivi la mort de Nahel, un tract appelait à venir en découdre avec ceux de l’Alvarium. Ce qui conduit les prévenus à brandir une « légitime défense » pour justifier leurs actes.

Côme Jullien de Pommerol est identifié sur des vidéos comme étant celui portant des coups de pied à un manifestant.

« Comment expliquer cette violence ?, lui demande le président.

– C’est déjà l’attroupement antifasciste qui vient vers nous, se défend le jeune homme âgé de 23 ans. Je vois un camarade qui se fait agresser, j’arrive pour le défendre. On se doute bien que vu le stress, je n’ai pas fait une hiérarchie du danger, j’ai essayé de défendre mon collègue. Oui, je l’ai frappé [le militant antifa - ndlr] mais au seul but de mettre fin à son agression. Il n’y a pas eu d’acharnement. »

Un peu plus tard dans le cour de l’audience, le président Bocobza-Berlaud ironisera : « Vous avez eu tellement peur pour un camarade que vous avez frappé quelqu’un à terre… »

Le magistrat du siège fait un sort à la légitime défense brandie par tous les prévenus, en rappelant qu’elle doit être « immédiate, proportionnée et nécessaire ».

Quand on donne un coup à quelqu’un au sol, ce n’est pas de la légitime violence, moi j’appelle ça de la vengeance

La procureure Béatrice Nectoux

À la barre, Jean-Eudes Gannat jure lui que ses intentions n’étaient pas délictuelles.

« Moi, je n’y vais pas pour me battre. J’y vais plutôt pour y apaiser les esprits. »

À sa décharge, sur les images de vidéosurveillance de la ville, on le voit non masqué et non armé. Il ne commet aucune violence.

« En même temps vous êtes là, fait remarquer la procureure Nectoux.

- Oui, mais à l’arrière !

- À l’arrière, à l’arrière… Les généraux sont souvent à l’arrière. »

Le profil bas de Gannat à l’audience fait contraste avec ses déclarations passées, comme quand il déclarait le jour de la dissolution de l’Alvarium : « Tout se paiera un jour. »

Ou quand, au printemps 2021, le compte Instagram du groupuscule se justifiait de ses précédentes actions violentes : « Pour la défense de notre local, nous ne craignons ni les attaques organisées ni la prison. »

Dans un réquisitoire qui se voulait pédagogique, Béatrice Nectoux fait la leçon aux militants d’extrême droite.

« La violence engendre la violence. Ils y participent, ils créent cette insécurité. Ils y courent à l’affrontement. On va vous dire que s’ils ont agi ainsi c’est parce qu’ils étaient provoqués et qu’ils avaient besoin de se défendre. Lorsqu’on sort d’un local armé et à demi-masqué, en groupe, si ce n’est pas en vue de commettre des infractions, il faut qu’on m’explique… Quand on donne un coup à quelqu’un au sol, ce n’est pas de la légitime violence, moi j’appelle ça de la vengeance ! »

À l’issue de son délibéré, le tribunal correctionnel d’Angers en a jugé autrement.

Matthieu Suc


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