L’inflation remonte, la crise du niveau de vie continue

vendredi 15 septembre 2023.
 

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La hausse des prix a de nouveau accéléré en août, sous la pression des tarifs de l’énergie. Ce rebond vient encore réduire le niveau de vie des Français alors que les salaires peinent à suivre et que les profits grimpent. Pendant ce temps, le gouvernement s’agite, mais n’agit pas.

1) L’inflation remonte

Pour beaucoup de Françaises et Français, la rentrée sera encore dominée par l’angoisse des prix. En août, l’indice des prix à la consommation affiche, selon la première estimation de l’Insee publiée jeudi 31 août, une accélération de l’inflation à 4,8 % sur un an, après 4,3 % en juillet. Sur un mois, les prix augmentent de 1 %, ce qui représente un véritable coup de bambou pour les ménages, dans la mesure où cette hausse mensuelle était de 0,1 % en juillet et 0,2 % en juin. Une telle hausse mensuelle ne s’était plus vue depuis février.

Le principal élément d’explication de ce rebond réside dans les prix énergétiques qui, en glissement annuel, passent en un mois de − 3,7 % à + 6,8 %. Une reprise qui a plusieurs explications : le rebond des prix du pétrole et du gaz à partir de juillet et la hausse des factures d’électricité avec la fin du bouclier tarifaire au 1er août dernier.

Certes, la hausse des prix s’apaise un peu en dehors du secteur énergétique, ce qui représente une petite inversion de tendance par rapport au mois précédent, où les prix de l’énergie reculaient et ceux du reste de la consommation accéléraient. Mais cela n’est qu’à moitié rassurant, pour deux raisons.

D’abord, parce que cette évolution confirme que l’inflation est là pour rester. La crise énergétique est loin d’être terminée et le comportement des entreprises – on y reviendra – crée les conditions d’une inflation durablement plus élevée qu’au cours des quatre dernières décennies. Lorsque les prix généraux entament une stabilisation, l’énergie prend le relais, conduisant à une nouvelle vague de hausses sur le reste des prix.

Ce phénomène semble assez général en Europe. L’inflation de la zone euro en août, dévoilée dans sa première estimation par Eurostat le 31 août, montre une stabilisation de l’inflation à un niveau élevé (5,3 %), alors qu’elle baissait depuis un an. En Allemagne, l’inflation est encore à 6,1 % sur un an en août.

Surtout, du point de vue des ménages, la situation reste critique. Sur un an, la hausse des prix des produits essentiels demeure significative. Les prix alimentaires affichent ainsi une hausse annuelle de 11,1 % en août. C’est certes moins que les 12,7 % de juillet, mais c’est encore bien davantage que les 7,9 % d’août 2022. Par ailleurs, la hausse annuelle des prix des biens manufacturés et des services recule légèrement en août, mais demeure proche de 3 % (+ 3,1 % pour les biens et + 2,9 % pour les services).

2) La réalité de la crise du niveau de vie

Ces chiffres peinent cependant à refléter la réalité concrète de ce que vivent les ménages. Les indices des prix à la consommation ne sont, en effet, pas des indices de niveau de vie. Ils traduisent l’évolution des prix d’un panier moyen de biens et services. Ce panier peut d’ailleurs donner lieu à des calculs divergents. Ainsi, au niveau européen, l’indice des prix harmonisé calcule une évolution « nette » des remboursements des administrations, principalement dans la santé, alors que l’indice français, lui, mesure l’évolution des prix bruts payés par le consommateur.

De ce point de vue, il est intéressant de noter que l’indice européen est nettement supérieur à l’indice de l’Insee et augmente plus vite : 5,7 % en août, contre 5,1 % en juillet. La hausse des prix ainsi calculée sur un mois est de 1,1 %. Or, du point de vue des ménages, cet indice traduit mieux le « poids » de la hausse des prix sur son budget puisqu’il réfléchit en dépenses « nettes ». En passant, on remarquera qu’avec cette hausse, l’inflation harmonisée française repasse largement au-dessus de la moyenne de la zone euro.

Mais encore une fois, ces indices peinent à saisir la réalité vécue. Les dépenses quotidiennes ne recoupent pas celles incluses dans l’indice. Les ménages n’achètent pas chaque mois le contenu du panier de ce dernier. Par exemple, ils n’achètent pas, chaque mois, un ordinateur. En revanche, une partie des dépenses sont « contraintes », soit parce qu’elles sont « pré-engagées », comme le logement ou les différents abonnements à certains services, soit parce qu’elles sont nécessaires, comme l’alimentation, la santé, les vêtements.

Cet écueil est très difficile à contourner, mais on doit l’avoir en tête lorsque l’on réfléchit à l’impact de l’inflation sur les revenus réels des ménages. Le calcul habituel du « revenu réel » qui consiste à ôter l’inflation des revenus nominaux n’est donc qu’une approximation peu satisfaisante. Cette réalité donne souvent lieu à une méprisante différence entre un supposé « ressenti » des ménages et la « vérité » de l’indice. En fait, l’indice ne mesurant pas l’évolution du niveau de vie, le « ressenti » est sans doute des plus concrets et des plus réels.

Pour se rapprocher davantage du vécu et avoir une meilleure idée de l’impact de l’inflation sur le niveau de vie, on peut regarder les indices plus précis, sachant que les mêmes problèmes se posent. Celui des produits alimentaires est un élément important, parce qu’ils représentent une dépense incontournable. La hausse de leur prix a donc un impact important sur les budgets. Or, on a vu qu’en août, à 11,1 %, l’inflation de ces produits est près de deux fois supérieure à celle de l’ensemble de l’indice.

Un autre moyen de saisir la réalité de l’inflation est de se concentrer sur les lieux de vente. La majorité des Français réalisent leurs dépenses quotidiennes dans les grandes surfaces. Or, dans ces endroits, l’inflation est aussi beaucoup plus forte que celle de l’indice général des prix. En juillet (les chiffres d’août ne sont pas connus), les prix des produits de grande consommation y avaient augmenté de 12,2 % sur un an et de 0,3 % sur un mois, nettement plus vite donc que l’indice des prix.

3) Le salaire mensuel de base a reculé en termes réels

Bref, tout laisse donc à penser que l’impact de l’inflation sur le niveau de vie est supérieur à ce que l’indice des prix suppose. Mais aucune mesure de l’inflation n’a de sens indépendamment de celle du mouvement des salaires. Or, de ce point de vue, la situation n’est guère encourageante. Les salaires nominaux ont certes progressé, mais, selon les chiffres de la Dares, le salaire mensuel de base a reculé en termes réels – c’est-à-dire en ôtant l’impact de l’indice des prix à la consommation – entre le deuxième trimestre 2021 et le premier trimestre 2023. Entre avril et juin 2023, ce salaire mensuel de base a progressé marginalement de 0,1 %, principalement en raison de la baisse de l’indice des prix.

Cette situation a plusieurs conséquences. D’abord, les revenus réels sont très sensibles à l’évolution des prix. Toute remontée de l’indice, comme celle du mois d’août, vient donc frapper directement le niveau de vie des ménages.

Ensuite, les revenus réels ont baissé considérablement depuis deux ans. La capacité de dépense des ménages est ainsi réduite par rapport, par exemple, à la rentrée 2021. En conséquence, le poids relatif des dépenses de rentrée scolaire est plus lourd cette année que l’an passé et encore plus qu’il y a deux ans.

Cela nous amène au dernier point notable. Il y a bien un effet cumulatif important de l’inflation. Même si les prix augmentaient moins vite qu’auparavant, comme c’était le cas durant le premier semestre ou comme on le voit pour les prix hors énergie en août, le niveau des prix resterait élevé au regard de l’évolution des revenus.

Selon les données de la Dares et de l’Insee, l’indice des prix harmonisé a progressé depuis juillet 2021 de 13,42 %, tandis que le salaire moyen de base a, lui, augmenté sur la même période de 6,77 %, soit un décalage cumulé de 6,65 points. Décalage qui n’est, rappelons-le, qu’approximatif.

4) Le gouvernement s’agite, mais se garde bien d’agir

La crise de niveau de vie de ces deux dernières années ne sera donc pas réglée par un simple « ralentissement » de l’inflation. Il faudrait soit une récupération par une hausse notable des salaires réels, soit une réduction du niveau des prix.

Dans ce contexte, le rebond de l’inflation en août est donc une très mauvaise nouvelle pour le niveau de vie des Français, qui va connaître un nouveau décrochage. Le gouvernement sent bien qu’il va devoir faire face à un mécontentement au sein de la population. Aussi s’agite-t-il beaucoup. Bruno Le Maire multiplie les réunions avec les grands groupes de la distribution pour tenter de convaincre qu’il est à la recherche d’une « solution ».

Comme à son habitude, le ministre des finances a « demandé » aux industriels et aux distributeurs de baisser leurs prix. Pour faire bonne figure, il a haussé le ton lors du journal de 13 heures de France 2 le 31 août, clouant au pilori de « grandes marques » comme Nestlé, Unilever ou PepsiCo (uniquement des groupes étrangers, donc) qui « ne jouent pas le jeu ». Mais ce « name and shame » risque de n’avoir que peu d’impact sur les prix finaux. Le ministre a même menacé les groupes d’une « taxation » s’ils n’obtempéraient pas.

Mais tout cela relève principalement du théâtre. Une taxation ciblée sur les hausses de prix ne tiendrait pas juridiquement, puisque les prix sont libres et qu’il y aurait rupture de l’égalité devant l’impôt. Et comme, par ailleurs, le même Bruno Le Maire ne cesse de revendiquer sa stratégie de baisses d’impôts sur les entreprises et a démenti toute hausse en 2024, on peut imaginer le peu de sérieux de ladite menace.

La réalité est plus sérieuse que ne le laissent penser les gesticulations stériles de Bercy. Les prix à la production ont, sur un an, baissé de 1,5 % en juillet dans l’industrie et n’ont augmenté que de 8,6 % dans l’agroalimentaire. Les salaires ont, au mieux, stagné en termes réels.

L’inflation s’explique donc par des décisions des grands groupes de jouer sur l’inflation pour améliorer les marges. Ce que les résultats semestriels des groupes du CAC 40 ont confirmé, autant que les derniers chiffres de l’Insee qui, pour le deuxième trimestre, signale une hausse de 1,5 point des marges des sociétés non financières et précise que 73,3 % de cette hausse (soit 1,1 point) s’explique par les prix.

Par conséquent, la situation est simple. Pour contrer l’effet du ralentissement de la productivité (qui n’a contribué que pour 0,2 point à cette hausse des marges) sur leurs profits, les entreprises comptent sur les aides publiques, les baisses d’impôts et… les hausses de prix. Le gouvernement ne peut réellement agir puisque toute sa politique vise à soutenir la rentabilité du secteur privé.

Le seul moyen de freiner cette logique serait un contrôle des prix et une indexation salariale. Mais ce serait faire le choix du travail sur le capital. Car l’inflation est toujours un phénomène qui pose directement la question de la distribution entre les facteurs de production. C’est ce que le gouvernement, qui mène résolument une politique en faveur du capital, refuse de reconnaître.

Dans les faits, cela revient à laisser les Français isolés face à l’inflation à court terme. Et à moyen terme, cela revient à laisser la Banque centrale européenne (BCE) durcir sa politique monétaire. Au risque de la récession et de l’austérité. Cette rentrée s’annonce décidément particulièrement difficile.

Romaric Godin

• Mediapart. 31 août 2023


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