La plus importante porcherie bretonne condamnée pour pollution

mercredi 11 octobre 2023.
 

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La plus grosse porcherie de France a été condamnée par le tribunal de Brest à 200 000 euros d’amende pour avoir déversé entre 100 000 et 300 000 litres de lisier dans la Penzé, une rivière de la côte bretonne. Une amende record à laquelle s’ajoutent des dommages et intérêts accordés aux sept associations parties civiles (d’un euro symbolique à 25 000 euros), et surtout l’interdiction de demander des aides publiques pendant un an, ainsi que la nomination d’un expert qui aura pour mission d’établir les préjudices écologiques de la pollution.

L’affaire est emblématique à plus d’un titre et soulève des questions sur les responsabilités de l’État et du monde agricole face à ce phénomène récurrent de la pollution des rivières.

Le 2 avril 2021, les habitant·es du port de Penzé, au nord de Morlaix (Finistère), sont saisi·es par une odeur pestilentielle. La présence en nombre de poissons morts, flottant dans une eau mousseuse, au milieu de la rivière, choque les passants. C’est en remontant ce cours d’eau que des pêcheurs mettent au jour la source de la pollution. Et c’est un gros poisson : la S.A. Kerjean est tout simplement le plus gros élevage porcin de France, selon le récent classement de Greenpeace sur les fermes-usines.

Avec 34 salariés, plus de 3 700 truies et 40 000 porcs produits chaque année, cette porcherie hors norme faisait jusque-là figure d’exemple pour une filière qui ne cesse de se concentrer en favorisant des fermes de plus en plus grandes. Un modèle du genre jusque dans ses racines, puisqu’elle a été fondée dans les années 1970 par Alexis Gourvennec, ancien leader syndicaliste et figure de proue de l’agroalimentaire breton, qui a pu mettre ici en pratique ses théories ultralibérales.

Mais le 4 mai 2023, c’est Benoît Tanguy, l’actuel gérant de ce qui est devenu la S.A. Kerjean, qui se tient à la barre du tribunal brestois. Face au président, il doit justifier ce qu’il appelle un « accident » mais qui, au fil des échanges, fait apparaître une série de négligences de l’entreprise mais aussi des services de l’État.

En effet, dès 2004, un arrêté préfectoral, faisant suite à une inspection de la direction départementale de protection des populations (DDPP), obligeait l’éleveur à des travaux afin de créer un bassin de rétention et de couvrir une fosse à lisier. Mais l’arrêté est resté lettre morte, sans que l’éleveur ni l’État n’interviennent. « Si vous avez un accident avec une voiture qui n’a pas passé le contrôle technique, ce n’est plus un accident, c’est une faute. Dans ce cas, c’est la même chose », résume Mickaël Raguénès, de l’association Eau et rivières de Bretagne, pour expliquer la situation.

Après la pollution d’avril 2021, une nouvelle inspection réalisée par la DDPP en septembre 2022 permet de constater que les nouvelles mises en demeure faisant suite à la pollution n’ont pas été totalement respectées. « À cause de l’inflation », se justifie le gérant de la porcherie. Argument contredit à la lumière des débats et de la bonne santé financière de la société, qui a déclaré près d’un million d’euros de bénéfice en 2019 et 470 000 euros en 2020.

Mobilisation citoyenne

Dans la salle pleine du tribunal, un groupe écoute attentivement les débats. Ce sont les membres du collectif des habitants et habitantes du port de Penzé, qui s’est créé spontanément après la pollution. « Pour nous, c’est un lieu de vie et de baignade qui a été touché en plein cœur. On a découvert ce qui se passait près de chez nous, car, pour beaucoup, nous ne connaissions même pas l’existence de cet élevage », expliquent-ils.

Une vive émotion avait suivi cette pollution et le manque d’action des pouvoirs publics avait été mis en lumière par le collectif : « Sur les rives de la commune de Taulé, aucune information officielle ne faisait état de la situation, nous avons alors décidé de créer des pancartes avec les enfants… qui ont été retirées par la police municipale. »

Cette colère s’est alors transformée en mobilisation citoyenne et une manifestation a réuni 400 personnes. C’est cet élan qui incitera des associations locales à aller jusqu’au procès en se portant parties civiles.

« Je n’aurais pas pu remettre les pieds à Penzé la tête haute si on avait négocié une indemnisation dans un bureau », raconte Philippe Bras, président de l’Association agréée pour la pêche et la protection du milieu aquatique (APPMA) du pays de Morlaix. « Jusque-là, c’était une pratique courante lors d’un épisode de pollution : l’assureur négocie une somme d’argent avec les parties civiles pour éviter le procès, ça fait gagner du temps, mais, au final, c’est l’assureur qui paye et le responsable ne se sent pas concerné… Et les pollutions se répètent. À un moment, il faut que cela cesse », résume le pêcheur.

Si le rôle du collectif citoyen semble déterminant dans cette affaire, un autre acteur manque à l’appel. Aucune des collectivités locales touchées par la pollution n’a en effet choisi de porter plainte. « Je ne me voyais pas porter plainte au nom d’une collectivité alors que nous-mêmes sommes parfois responsables de pollutions au niveau des stations d’épuration », raconte Guy Pennec, maire de Plourin-lès-Morlaix et président de la commission locale de l’eau.

Cette absence des pouvoirs publics n’a pas découragé le parquet brestois dans ses réquisitions. Il faut dire que, sur ce point aussi, le dossier avait son importance : il était en effet instruit par le tout nouveau pôle régional environnement. « Il y a une volonté de donner une place plus grande aux dossiers environnementaux », précise Solenn Briand, substitut du procureur de Brest, qui a la charge de ce pôle environnement. « Mais il y a un décalage entre les faibles moyens que nous avons et le nombre d’affaires que nous avons à traiter. »

À la sortie du tribunal, les parties civiles ont fait part de leur satisfaction, tandis que Me Miossec, avocate de la S.A. Kerjean et de son gérant, annonçait son intention de faire appel.

Par Kristen Falc’hon


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