Palestine « Si il y a quelqu’un qui prend les armes contre l’occupation, nous le soutiendrons »

jeudi 30 novembre 2023.
 

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Un raid de l’armée israélienne a fait 13 morts dont une majorité de jeunes et d’enfants dans le camp de réfugiés de Nour Shams. Une colère de cette jeunesse envers l’occupant de moins en moins dissimulée.

Tulkarem (Cisjordanie)

Ils sont plusieurs centaines, de tous âges, réunis dans le petit cimetière de Nour Shams à l’entrée de Tulkarem. Dans les tombes fraîchement creusées, les corps de 13 jeunes du camp sont recouverts de terre. Légèrement en retrait, surplombant le cimetière, des rangées de militants, fusils d’assaut à la main et le visage souvent masqué, sont venus rendre un dernier hommage aux martyrs de la veille. Au milieu des prières, les coups de feu saccadés saturent l’atmosphère, alors que flottent de concert les drapeaux verts, noirs et jaunes du Hamas, du Jihad islamique et des Brigades des martyrs d’al-Aqsa - la branche armée du Fatah.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, des unités d’élite Douvdevan soutenues par des réservistes de l’armée israélienne ont mené un raid d’une ampleur inédite dans le camp de Nour Shams, où s’entassent plus de 15 000 réfugié·es. Une opération militaire visant à arrêter plusieurs membres du Hamas suspectés d’être impliqués dans les attaques sur le sol israélien le 7 octobre dernier. Face à la résistance acharnée des katiba locales, ces brigades armées luttant contre l’occupation, les affrontements ont duré plus de 24 heures.

Dans le quartier de Manshia, assis de chaque côté de la rue en ce vendredi, les hommes sont réunis autour des familles des victimes. Derrière eux les éclats des fenêtres brisées et les impacts de balles témoignent de la violence de l’assaut. Sous les voiles noirs désormais en lambeaux, installés pour éviter la surveillance des drones, Mamoun Abu Odei fixe le trou de l’engin explosif qui a tué son fils de 15 ans, Odei. « J’ai entendu l’explosion et quand je suis sorti de l’immeuble, j’ai vu mon fils qui ne bougeait plus. Ils disent qu’ils cherchent des terroristes, mais mon fils jouait dans la rue, il n’était pas armé. Ils ont largué la bombe dans une rue avec des enfants », éclate le père soutenu par deux voisins.

Nous ne pouvons rester assis sans rien faire et attendre qu’Israël élimine tous les Palestiniens jusqu’au dernier

Un Palestinien de Cisjordanie

« Depuis 20 ans que je fais ce métier, c’est la première fois que je vois autant de morts à Tulkarem. Certains sont encore entre la vie et la mort », explique le docteur Firas al-Zabn, l’un des directeurs de l’hôpital public Martyr Dr. Thabet Thabet. « Nous avons reçu des dizaines d’appels pour des blessures graves mais les Israéliens ont interdit aux ambulances de se rendre sur place », ajoute Firas al-Zabn.

Dans les couloirs surchargés de l’hôpital, le noir du deuil contraste avec le blanc médical. Des dizaines de jeunes, l’arme parfois en bandoulière, viennent se renseigner sur le sort de leurs camarades. Devant la morgue de l’hôpital où sont habillés les corps des martyrs, la foule se presse pour porter un défunt jusqu’à Nour Shams. Ici, tous soutiennent les jeunes militants qui ont affronté l’armée israélienne. « Nous ne pouvons rester assis sans rien faire et attendre qu’Israël élimine tous les Palestiniens jusqu’au dernier », confie l’un d’eux sous couvert d’anonymat. Une colère que la jeunesse palestinienne laisse de plus en plus exploser.

Le retrait de l’armée israélienne laisse un camp en désolation, les habitants découvrant médusés les rues détruites et les vestiges de bâtiments éventrés. « Celui-là, c’était un immeuble de magasins avec une salle des fêtes. Au dernier étage il y avait un espace de loisirs pour les jeunes, explique Omar, un vieux maçon de 70 ans, qu’avaient-ils besoin de le détruire ? »

Les décombres, Nidal les retire lentement, sans trop savoir par où commencer. En pleine nuit, l’armée israélienne a dynamité le rez-de-chaussée de l’immeuble où vit une partie de sa famille. « Heureusement tout le monde était au premier étage. Mais ils ont fait ça sans même nous prévenir. Ma fille qui dormait près de la fenêtre a été blessée par des éclats de verre », déplore ce père qui n’a pour le moment pas les moyens de reconstruire.

Un peu plus loin, derrière la mosquée Abou Bakr as-Sadiq, épicentre des combats, la porte d’entrée de Nour Erete est criblée d’impacts de balles. Les rafales nocturnes de l’armée israélienne ont traversé murs et fenêtres, pour venir se loger au milieu du salon. Avec sa femme et ses quatre enfants, Nour est resté cloîtré dans une pièce au fond de l’appartement : « À cause du bruit des tirs, impossible de dormir ni de sortir acheter à manger. Ils nous ont aussi coupé l’eau et l’électricité. Au milieu de la nuit, des soldats ont défoncé ma porte et sont rentrés à la recherche de jeunes, mais ils n’ont trouvé que mes enfants terrifiés. »

Située le long de la ligne verte, Tulkarem a longtemps bénéficié d’un climat propice pour le commerce. Une localité réputée calme face aux villes rebelles de Jénine et Naplouse. Dans le camp, un dixième des habitants travaillent en Israël. Mais la ville n’est désormais plus épargnée par les violences entre militants armés et forces d’occupation israéliennes qui agitent la Cisjordanie ces dernières années. « Il y a eu par le passé des attaques sur le camp, une demi-douzaine dans les cinq derniers mois. Il y a même eu deux morts en septembre. Mais là un cap a été franchi, ils ont utilisé des drones explosifs », ne décolère pas Mohamed Abdallah, l’une des figures du camp de Nour Shams.

Depuis le début de la guerre, Tsahal a intensifié sa chasse aux partisans du Hamas et de son allié le Jihad islamique en Cisjordanie, arrêtant plus de 80 personnes. Pour l’armée israélienne, l’opération de Tulkarem a permis d’interpeller près de 20 terroristes du Hamas et d’en tuer 12 autres. Parmi ces terroristes supposés, Adi el-Higa, un jeune garçon âgé de 10 ans. « C’est une punition et une vengeance des Israéliens car ils n’arrivent pas à vaincre Gaza », répète-t-on dans les ruelles du camp.

À Nour Shams comme dans le reste de la Cisjordanie, le soutien croissant au Hamas traduit un ras-le-bol de la population. « Avant tout le monde était du côté du Fatah, mais depuis huit mois environ de plus en plus de gens se sont tournés vers le Hamas et le Jihad islamique », confie Ahmad, un jeune de 30 ans employé dans une usine israélienne.

En Cisjordanie, les élections universitaires de 2022 ont vu le bloc Wafa, affilié au Hamas, remporter une majorité de sièges dans de nombreuses villes du pays. « Nous sommes abandonnés par tout le monde, les Occidentaux et les chefs arabes qui obéissent à Israël et puis Abou Mazen [surnom de Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne – ndlr] », lâche Mohamed Abdallah.

La semaine dernière, l’Autorité palestinienne a violemment réprimé des manifestations en soutien à Gaza faisant deux morts à Jénine. Alors, « qu’importe que ce soit le Hamas ou un autre, si il y a quelqu’un qui prend les armes contre l’occupation, nous le soutiendrons », assène Mohamed Abdallah.

Bastien Massa


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