Pour Rima Hassan, ce qui se passe à Gaza est un « carnage » qui relève d’une logique de « génocide »

jeudi 9 novembre 2023.
 

https://www.mediapart.fr/journal/in...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20231029-191534%20&M_BT=1489664863989

Rima Hassan, 30 ans, est une Palestinienne dont toute la vie s’est déroulée en exil. Apatride jusqu’à ses 18 ans, aujourd’hui française, elle suit la guerre depuis la Jordanie, où elle séjourne actuellement pour une recherche à travers plusieurs pays sur les camps de réfugié·es palestinien·nes. Juriste autrice d’un mémoire de master en droit international sur la qualification du crime d’apartheid en Israël, dans une approche comparative avec l’Afrique du Sud, cette fondatrice de l’Observatoire des camps de réfugiés dénonce aujourd’hui un « génocide » et la responsabilité d’Israël dans la création du Hamas. Elle répond par téléphone à Mediapart samedi après-midi, alors que toutes les communications avec Gaza étaient coupées depuis la veille au soir.

Mediapart : Qu’avez-vous comme informations sur ce qu’il se passe depuis vendredi soir à Gaza ?

Rima Hassan : Les seules informations dont je dispose sont celles des journalistes d’Al Jazeera. C’est un carnage qui est en train de se passer. Jusqu’ici, l’armée israélienne prévenait tout de même avant de bombarder : Tsahal larguait des centaines de petits coupons de papier sur la population gazaouie, pour avertir et donner quelques heures aux civils pour évacuer. Mais cette nuit-là, d’après Al Jazeera, il n’y a même pas eu d’annonce. Ce sont des attaques indiscriminées, par tous les moyens dont dispose l’armée israélienne. Il faudra mettre en perspective le nombre de responsables du Hamas tués par rapport au nombre de victimes civiles. D’après l’UNRWA, l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés palestiniens, 1,2 million de personnes de la bande Gaza ont par ailleurs déjà été déplacées.

Ce qui se passe est inédit, paralysant, il est très compliqué de réfléchir. Depuis vendredi en fin de journée, on ne peut plus joindre personne dans la bande de Gaza.

Comment qualifier les événements ?

Cela relève du génocide.

On n’a pas encore les chiffres précis, les Palestiniens ne sont plus en mesure de compter leurs morts. Ce vendredi 27 octobre était de toute façon une nuit sans précédent en termes d’intensification des bombardements, dans l’un des territoires les plus densément peuplés au monde.

Mais au-delà des morts, c’est tout ce qui entoure cette offensive qui caractérise le génocide : le fait de ne pas laisser de passages sûrs accessibles aux civils pour pouvoir fuir les combat, d’empêcher les humanitaires de passer, de ne pas prévenir les lieux qu’on cible, et le blackout. En coupant toutes les communications, les autorités israéliennes veulent minimiser l’écho international de ce qui s’est passé dans la nuit de vendredi à samedi à Gaza. Je rappelle que 34 journalistes ont été tués dans le territoire depuis le 7 octobre.

On fait tout pour concentrer une population sur un même espace, et précisément au moment où une résolution est adoptée à la majorité à l’ONU en faveur d’un cessez-le feu, on intensifie les bombardements, tout en bloquant tous les canaux de communication : tout est mobilisé pour que les dégâts soient maximaux.

Israël a tué bien plus à Gaza depuis le 7 octobre qu’au cours des vingt dernières années.

Estimez-vous qu’il y a une intention génocidaire ?

Il suffit d’écouter les déclarations des officiels israéliens. L’animalisation du sujet palestinien est constante, de la même manière que les Juifs et les Tutsis étaient comparés à des animaux. Toutes les catégories des groupes ayant fait l’objet de massacres ont été déshumanisées dans le but de justifier leur exclusion de la communauté humaine ; c’était un préalable à leur extermination. « Nous combattons des animaux humains », a dit le ministre israélien de la défense Yoav Gallant le 9 octobre…

Les médias israéliens répandent en outre l’idée qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza : les civils tués sont assimilés au Hamas, à des terroristes – dans ces circonstances, un dommage collatéral n’est pas très grave. Les propos tenus sont sans ambiguïté : « incinération totale », « Gaza doit revenir à Dresde », « annihiler Gaza maintenant », etc. Voilà ce qu’a pu dire jeudi Moshe Feiglinun, ancien membre de la Knesset, sur un plateau télé.

On a entendu dire également par Benyamin Nétanyahou que les Palestiniens pouvaient être accueillis dans le Sinaï [territoire égyptien frontalier d’Israël et de la bande de Gaza – ndlr], ce qui renvoie, là aussi, à une logique de disparition : c’est une population indésirable que l’on souhaite exclure.

Toute cela s’inscrit dans une logique colonialiste de la part d’Israël, depuis sa création. Depuis longtemps on observe, chez les officiels israéliens, une constante à déshumaniser les Palestiniens, qui, bien avant le 7 octobre 2023, ont été comparés à des cafards ou à des sauterelles. « Les Palestiniens seront écrasés comme des sauterelles (…) leurs têtes éclatées contre les rochers et les murs », disait le premier ministre israélien Yitzhak Shamir en 1988. « Lorsque nous aurons colonisé le pays, il ne restera plus aux Arabes qu’à tourner en rond comme des cafards drogués dans une bouteille », avait déclaré le chef d’état-major Raphael Eitan en 1983 d’après le New York Times.

Les massacres du 7 octobre ont été perçus comme quelque chose d’explosif. En termes de vies civiles perdues, c’est sans précédent. Mais il faut rappeler que cela s’inscrit dans un conflit colonial asymétrique, où les réfugiés palestiniens ont vu l’abolition de leur droit au retour, où les Palestiniens de Cisjordanie vivent sous colonisation et sous occupation, où les Palestiniens citoyens d’Israël se sont vu octroyer un statut de seconde zone après un régime militaire jusqu’en 1967, et où les Palestiniens de Gaza vivent un blocus illégal depuis dix-sept ans.

Quelle est l’importance du facteur religieux ?

Ce n’est pas un conflit religieux. Même si l’on a au pouvoir des gens liés à une radicalité religieuse, du côté du pouvoir israélien comme du Hamas. On observe une dérive religieuse dans les extrêmes des deux sociétés.

La population palestinienne ne fait pas de reproche aux Israéliens pour ce qu’ils sont – des Juifs –, mais pour ce qu’ils font : la colonisation.

Rappelons que les personnes à l’origine de la fondation de l’État d’Israël étaient des laïques, et non pas des religieux. L’identité palestinienne a par ailleurs toujours été multiconfessionnelle.

Il est inconcevable de confisquer une souffrance palestinienne vieille de 75 ans avec la récupération qui est faite aujourd’hui par le Hamas. Pour nous, c’est la double peine.

Côté israélien, c’est d’un cynisme sans nom : c’est Nétanyahou lui-même qui a soutenu le Hamas, car l’organisation islamiste était perçue comme rivale du Fatah [parti nationaliste palestinien fondé par Yasser Arafat – ndlr]. Voilà ce qu’il déclarait par exemple en mars 2019, comme l’a rappelé récemment un article d’Haaretz : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. » Israël a une responsabilité majeure dans la création de l’organisation islamiste. Ce sont les autorités israéliennes qui ont nourri le monstre.

Nous subissons avec ce blocus une punition collective. Nous qui utilisons le droit international et la voie diplomatique, qui nous battons depuis des dizaines d’années pour un État laïque, nous nous trouvons face à des autorités qui ont soutenu le Hamas... et qui aujourd’hui nous bombardent.

Amélie Poinssot


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