L’humain perturbe le "cycle du sel" à l’échelle mondiale, selon une synthèse scientifique

dimanche 12 novembre 2023.
 

La "salinisation" de l’environnement concerne l’eau des rivières mais aussi les sols et même l’air, ont conclu les auteurs d’une synthèse scientifique. L’utilisation du sel devrait selon eux être régulée à l’échelle mondiale.

La plupart de ces composés remontent naturellement depuis les profondeurs de la Terre vers la surface, à la faveur de processus géologiques et hydrologiques tels que l’altération de la "roche mère" (sur laquelle reposent les sols) par l’eau de pluie qui ruisselle jusqu’à elle.

Le sel, une "menace existentielle"

Très lent, ce mouvement perpétuel du sel semble néanmoins s’accélérer à cause de l’intervention humaine, principalement à travers l’exploitation minière, l’agriculture, la construction, le dessalement de l’eau de mer ainsi que le salage des routes – le sel que l’on répand sur le bitume pour éviter la formation du gel et réduire le risque d’accident.

Rien que pour cet usage routier, la France en déverse chaque hiver environ 1 million de tonnes (Actu Environnement, 2011). Végétation brûlée, eaux souterraines chargées en sodium, manque d’oxygène pour la faune aquatique, appauvrissement des sols en oligo-éléments… Les conséquences de la salinisation de l’environnement sont nombreuses.

Dirigée par le professeur de géologie à l’université du Maryland Sujay Kaushal et publiée dans la revue Nature Reviews Earth & Environment (31 octobre 2023), une synthèse scientifique révèle l’accélération du cycle du sel et tire la sonnette d’alarme : ses auteurs estiment que cela pourrait constituer une "menace existentielle" si les tendances actuelles se poursuivent.

"Si l’on considère la planète comme un organisme vivant, l’accumulation d’une telle quantité de sel peut affecter le fonctionnement des organes vitaux, c’est-à-dire des écosystèmes." Pr Sujay Kaushal, géologue, université du Maryland.

Un milliard d’hectares de sol contaminé par l’excès de sel

Quel est l’apport de cette étude ? "Il y a vingt ans, nous ne disposions que d’études de cas : nous pouvions dire que les eaux de surface étaient salées ici à New York, ou là, dans l’approvisionnement en eau potable de Baltimore", explique dans un communiqué Gene Likens, coauteur de l’étude et écologue à l’université du Connecticut. "Nous montrons désormais qu’il s’agit d’un cycle – des profondeurs de la Terre à l’atmosphère – qui a été considérablement perturbé par les activités humaines".

Pour arriver à ce constat, l’équipe s’est penchée sur les différents sels trouvés notamment au niveau des sols et des eaux de surface. "Lorsque les gens pensent au sel, ils ont tendance à penser au chlorure de sodium, mais nos travaux au fil des ans ont montré que l’humain a perturbé d’autres types de sels, y compris ceux liés au calcaire, au gypse et au sulfate de calcium", détaille le Pr Kaushal.

D’après la synthèse, la salinisation affecte environ un milliard d’hectares de sol dans le monde, soit une superficie équivalente à celle des États-Unis. Les concentrations en sels ont également augmenté dans les ruisseaux et les rivières au cours des 50 dernières années, ce qui coïncide avec une hausse de l’utilisation et de la production de sels à l’échelle mondiale.

Cocktails chimiques Nous envoyons du sel dans la terre, dans l’eau… et même dans l’air ! Dans les régions enneigées, les sels de déneigement répandus sur la voirie peuvent se transformer en aérosols. Or, ces particules volatiles de sodium et de chlorure accélèrent la fonte des neiges et menacent par conséquent l’approvisionnement en eau douce des populations humaines, notamment dans l’ouest des États-Unis.

En outre, du fait de leur structure, les ions salins se lient facilement aux contaminants présents dans les sols et les sédiments, formant ainsi des "cocktails chimiques" qui circulent dans l’environnement et ont des effets néfastes.

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Les États-Unis produisent chaque année 20 millions de tonnes de sels de déneigement, lesquels ont représenté 44 % de la consommation de sel du pays entre 2013 et 2017, ont calculé les auteurs. Ce sel représente près de 13,9 % du total des solides dissous qui pénètrent dans les cours d’eau américains, d’où une concentration "substantielle" de sel dans les bassins hydrographiques.

Le sel, nouvelle limite planétaire ?

Pour éviter que les cours d’eau ne soient "inondés de sel" dans les années à venir, les chercheurs recommandent des politiques visant à "limiter les sels de déneigement" ou à "encourager les solutions de remplacement". Washington et plusieurs autres villes américaines ont ainsi commencé à traiter les routes avec… du jus de betterave, qui a le même effet contre le gel.

"Il y a certes le risque de blessure à court terme [par les accidents de la route], qui est sérieux et auquel nous devons penser, mais il y a aussi le risque à long terme de problèmes de santé associés à une trop grande quantité de sel dans notre eau", argumente le Pr Kaushal dans le communiqué. "Il s’agit de trouver le bon équilibre."

Les auteurs de l’étude préconisent de considérer "l’utilisation sûre et durable du sel" comme une limite planétaire, à l’instar des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. "Le sel n’est pas considéré comme un contaminant primaire de l’eau potable aux États-Unis, et le réglementer serait donc une entreprise de grande envergure", reconnaît le géologue. "Mais est-ce que je pense qu’il s’agit d’une substance qui augmente dans l’environnement à des niveaux nocifs ? La réponse est oui."


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